Lula, ou la stratégie du grand large

Le chef de l’État fait de l’Afrique un axe majeur de sa diplomatie et de sa politique économique. Chinois, Américains et Européens n’ont qu’à bien se tenir !

Publié le 17 janvier 2006 Lecture : 5 minutes.

« Lula l’Africain. » Largement utilisé par la presse, le terme est loin d’être vide de sens. Au contraire, il reflète un état d’esprit, une stratégie mûrement réfléchie. Tout au long de son premier mandat, le chef de l’État brésilien n’a cessé de peaufiner cette image. Homme de pouvoir, brillant orateur et habile tacticien, Luiz Inácio « Lula » da Silva est aujourd’hui l’un des plus fidèles défenseurs de l’Afrique. Pour des raisons de politique intérieure aussi bien qu’extérieure. Lorsqu’il sollicitera des électeurs, au mois d’octobre, le renouvellement de son mandat, il ne manquera sûrement pas de rappeler qu’il est l’un des très rares présidents brésiliens à avoir nommé un Noir dans son gouvernement : en l’occurrence, le ministre de la Culture (et musicien) Gilberto Gil.

Le Brésil est le deuxième pays noir du monde, après le Nigeria : 75 millions de Brésiliens (sur 160 millions) ont de lointaines origines africaines. Lula sait fort bien que cette frange importante de l’électorat peut faire à nouveau pencher la balance en sa faveur lors de la prochaine consultation présidentielle. Et il ne manquera donc pas d’exploiter au maximum ses voyages sur le continent.
Son prochain périple – le cinquième depuis son élection, en octobre 2002 – doit le conduire, le mois prochain, en Algérie, en Éthiopie, au Kenya, en Afrique du Sud et, sans doute, en Tanzanie. Et il devrait par ailleurs se rendre au Maroc dans le courant du second semestre. À la fin de cette année, Lula aura ainsi visité une vingtaine de pays africains. En trois ans, l’ancien leader syndical a plus fait pour l’Afrique que tous ses prédécesseurs au palais de Planalto : conclusion de nombreux accords de coopération, octroi de dons et de bourses d’études, etc.

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L’expertise brésilienne est particulièrement appréciée dans le domaine de l’agriculture. Le Centre brésilien de recherche agricole (Embrapa) collabore avec de nombreux instituts agronomiques africains, particulièrement au Kenya et au Mozambique, au développement des cultures tropicales (manioc notamment) et à la formation des paysans. Et un partenariat a été mis en place avec le Centre (français) de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, plus connu sous le nom de Cirad. En matière de santé, le Mozambique, la Namibie, le Kenya et le Gabon ont demandé l’aide brésilienne pour la mise en place d’unités de production et la fourniture de médicaments génériques destinés à la lutte contre le sida et le paludisme. C’est sans doute le secteur où la percée du Brésil est le plus remarquable, d’autant que chaque projet est assorti d’un programme de transfert de technologie et d’une politique de bas tarifs adaptée aux économies locales.
Outre ses arrière-pensées de politique intérieure et ses aspirations internationalistes, l’intérêt de Lula pour l’Afrique se nourrit de fortes motivations économiques et diplomatiques. Lors de chacune de ses visites, il sollicite le soutien de ses hôtes à la candidature brésilienne à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. En échange, il défend l’idée que deux pays africains devraient obtenir le même privilège. Le 3 janvier, le Brésil a annoncé le remboursement de l’intégralité de sa dette à l’égard de l’ONU (135,1 millions de dollars). Ce qui le met en meilleure position pour faire avancer la réforme de l’institution.

À l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Lula a pris la tête de la croisade des pays du Sud contre le Nord protectionniste. Même si, naturellement, il défend avant tout les intérêts des grands exportateurs agricoles brésiliens, sa victoire sur la superpuissance américaine, condamnée pour les subventions qu’elle verse à ses producteurs de coton, a considérablement renforcé son prestige auprès des dirigeants africains. Un succès qu’il ne manque pas d’exploiter pour conquérir de nouveaux marchés. Lors de toutes ses tournées, il emmène avec lui des dirigeants de grandes compagnies pétrolières, minières et industrielles. Résultat : les exportations brésiliennes de biens de consommation et de produits agricoles (sucre, soja, poulets congelés, produits chimiques, cuirs et peaux, médicaments génériques, etc.) grimpent en flèchent depuis plusieurs années. Le montant des échanges entre les deux parties est passé de 5 milliards de dollars en 2002 à près de 11 milliards l’an dernier. Près de la moitié des transactions se font avec le Nigeria, mais le commerce avec le Ghana a augmenté de plus de 600 % entre 2002 et 2004. Au Gabon, la Companhia Vale do Rio Doce (CVRD), premier producteur mondial de fer, a obtenu des permis d’exploitation du manganèse sur deux sites très prometteurs dans les régions de Franceville et de l’Okondja, dans l’est du pays. Selon les responsables du groupe, la production pourrait atteindre 4 millions de t par an d’ici à 2010. Une usine expérimentale de traitement du manganèse a été inaugurée à Franceville, en novembre 2005, par le président Omar Bongo Ondimba.
L’or noir reste néanmoins l’enjeu majeur. Les dirigeants de Petrobras, le géant pétrolier brésilien, accompagnent presque systématiquement Lula lors de ses voyages sur le continent. « Nos importations de brut africain, notamment nigérian et algérien, sont en forte progression, explique l’ambassadeur Fernando Jacques de Magalhães Pimenta, directeur Afrique au ministère des Affaires étrangères. La compagnie nationale explore actuellement de nouveaux champs en Tanzanie et en Libye, et a engagé des pourparlers avec São Tomé et la Guinée équatoriale.

L’ambassadeur a sous ses ordres onze diplomates chevronnés répartis dans les trois départements qui s’occupent de l’Afrique. L’équipe ne chôme pas en ce début d’année. En plus de la préparation des tournées présidentielles, elle doit finaliser les visites de nombreux diplomates africains et organiser la deuxième conférence des intellectuels d’Afrique et de la diaspora qui se tiendra en milieu d’année, deux ans après la première édition de la manifestation, à Dakar. La conférence est préparée en étroite collaboration avec l’Union africaine et devrait être consacrée à un thème culturel ou social.
Brasília prévoit par ailleurs d’ouvrir à brève échéance de nouvelles ambassades, notamment en Guinée équatoriale et au Soudan, alors que le Kenya s’apprête à faire de même, en sens inverse. Depuis 2003, le Brésil a créé une ambassade à São Tomé et rouvert plusieurs représentations en Tanzanie, en Éthiopie, au Cameroun et au Congo. À la demande du Nigeria, il étudie actuellement avec ses partenaires latino-américains un nouveau projet : la tenue régulière d’un sommet Amérique du Sud-Afrique. Bref, tout indique que son rôle sur le continent est appelé à se renforcer. Chinois, Européens et Américains savent à quoi s’en tenir.

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