Le testament d’Ariel Sharon

Publié le 16 janvier 2006 Lecture : 6 minutes.

Ariel Sharon, encore Premier ministre d’Israël en titre, aura exercé la fonction pendant près de cinq ans. Mais, de l’avis de ses propres médecins, sa très longue carrière – militaire d’abord, politique ensuite – est terminée.
L’homme suscite des sentiments forts : beaucoup l’admirent et louent sa fermeté ; d’autres, tout aussi nombreux, détestent l’homme, dont ils soulignent la brutalité et rappellent les crimes qui jalonnent son itinéraire. Mais les uns et les autres s’accordent à dire que son rôle en Israël et dans la région aura été considérable.

Considérable sans aucun doute. Mais, au total, ce rôle est-il globalement positif ou globalement négatif ? Les historiens ne se prononceront que dans vingt ou trente ans. Les journalistes, auxquels il revient « d’écrire la première mouture de l’Histoire », n’ont pas, eux, le loisir d’attendre.
Je n’attendrai donc pas et vous donnerai dès cette semaine mon évaluation.
Lorsque Ariel Sharon exerçait le pouvoir, je ne me suis jamais gêné pour écrire tout le mal que je pensais et de l’homme et de sa politique. Mais la culture dans laquelle j’ai été élevé et les valeurs auxquelles je suis attaché m’interdisent aujourd’hui, alors que l’homme se bat contre la mort, d’en parler avec la même liberté.
Et, d’ailleurs, plutôt que de vous dire ce que j’en pense, je vais laisser Ariel Sharon lui-même exposer ses vues. J’ai la chance, en effet, de disposer d’un texte de lui, très récent, rédigé en hébreu et dans lequel, se confiant à un journaliste israélien ami, il dévoile ses objectifs réels et la tactique utilisée pour les atteindre.
Ce plaidoyer pour son action, que je vous donne à lire ci-dessous, est, d’une certaine manière, son testament politique.

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Gaza, Cisjordanie. Il est faux de dire que l’évacuation de Gaza est une opération où Israël n’a rien à gagner. Mes adversaires disent que j’ai conclu un accord avec les Américains, pas avec les Arabes. C’est vrai, car je fais davantage confiance aux Américains qu’aux Arabes ! Mais cette évacuation n’a été décidée que pour le plus grand bien d’Israël.
Hors de Gaza, l’implantation de colonies [en Cisjordanie] va bon train un peu partout, et je peux vous garantir que nous continuerons à construire des logements dans les grands blocs d’implantations.
Chaque fois qu’on annonce la venue en Israël d’un haut fonctionnaire américain, les médias s’empressent de décrire à l’avance « la forte pression » que nous aurons à subir. Je peux vous assurer que je n’ai jamais subi la moindre pression de la part des Américains, ni en paroles ni en actes.
Aucune pression américaine ne s’exerce sur Israël.

Cela dit, les Américains sont-ils d’accord pour que nous continuions à construire des colonies ? Non, cela ne leur plaît pas.
Mais les premières implantations de colonies dans les Territoires datent de 1968 ; vous et moi savons que nous les avons commencées juste à la fin de la guerre des Six-Jours en 1967. Les Américains s’y sont opposés dès le premier jour et n’ont cessé de manifester leur réprobation.
Cela n’a pas empêché tous les gouvernements d’Israël de passer outre ; et ce jeu dure depuis plus de trente-cinq ans !
Aujourd’hui encore, à la fin de 2005, on construit des centaines d’appartements à Ariel, un millier de logements à Beitar Illit. Les Américains n’applaudiront pas des deux mains, mais ils ne prendront aucune mesure à l’encontre d’Israël. Et il n’y aura pas de pression de leur part.

Le soutien américain. Pour la première fois depuis le début du conflit [israélo-arabe], les États-Unis ont déclaré qu’il est hors de question que les réfugiés palestiniens – ceux qui ont fui le pays lors de la guerre d’indépendance – retournent en Israël.
Deuxième acquis : les blocs d’implantations dont je viens de parler.
Troisième gain : il n’y a plus qu’un seul et unique plan, et c’est « la Feuille de route ». Il est donc désormais impossible d’imposer à Israël tel ou tel plan concocté quelque part dans le monde. Les Américains s’y opposeront.
Autre progrès capital pour Israël : les États-Unis reconnaissent maintenant sans ambiguïté la menace existentielle qui plane sur Israël et la nécessité pour notre État d’assumer sa défense par ses propres moyens non seulement contre les dangers intrarégionaux, mais aussi extra-régionaux, c’est-à-dire face à l’Iran. C’est extraordinaire !

Tony Blair, Jacques Chirac. Israël a élargi le cercle de ses amis, et j’ai établi un lien permanent entre mon cabinet et celui d’autres chefs d’État : avec les États-Unis, et plus particulièrement la Maison Blanche, nous faisons un point quotidien. Mais nous sommes aussi en relations suivies avec le cabinet de Tony Blair et avec celui du président Jacques Chirac.

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Nos voisins. L’Irak. Il faut que les Américains restent encore quelques années en Irak. Ils ne peuvent pas s’en aller tout de suite.
Les Syriens ? Aucun allègement, aucune aide ne doivent leur être accordés. Il ne faut rien leur concéder, rien du tout !
La bande de Gaza. Il faut ouvrir ce territoire vers l’Égypte et vers la mer. Pas vers Israël, dont l’accès doit être totalement fermé – sauf pour les transactions commerciales, qui sont dans notre intérêt : Israël vend beaucoup plus qu’il n’achète dans la bande de Gaza.

Rarement un discours a mieux décrit son auteur !
Ce que dit Ariel Sharon nous révèle en effet ce qu’il est : un homme de droite, nationaliste jusqu’à la xénophobie, très content de lui et de ce qu’il pense avoir réalisé, très fier de son pays (Israël) et de son peuple (juif). Seuls lui et eux comptent, tout le reste est instrumentalisé par lui sans état d’âme.
Dans son discours à l’ONU, prononcé le 29 septembre dernier, Sharon s’est déjà montré sous ce visage d’ultranationaliste ardent : « Je suis venu de Jérusalem, la capitale du peuple juif depuis 3 000 ans, capitale unifiée et éternelle de l’État d’Israël… »
À ses yeux, le monde n’est, à de rares exceptions près, qu’incompréhension ou hostilité à l’égard d’Israël et des Juifs. Quant aux Palestiniens et autres Arabes, ils ont le tort d’être là et d’être trop nombreux pour qu’on puisse les écarter ou s’en défaire. On fera donc avec, mais le moins possible.
– Sharon est le seul homme politique israélien à avoir refusé de signer ou d’approuver tous les accords de paix conclus par son pays avec les Palestiniens ou les pays arabes voisins.
– C’est lui qui a installé, il y a trente ans, les colons israéliens à Gaza et, lorsqu’il en est arrivé à la nécessité de les évacuer, il l’a fait unilatéralement, refusant d’en convenir avec l’Autorité palestinienne ou qui que ce soit d’autre.
– Pour accéder au pouvoir, il n’a reculé ni devant le torpillage des accords de paix signés par le Premier ministre Itzhak Rabin, sous égide américaine, ni devant le recours à des actes délictuels que la démocratie israélienne va sanctionner en condamnant son fils à la prison.

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Mon opinion est qu’à la fin du siècle dernier, le conflit israélo-palestinien s’acheminait vers sa solution grâce aux efforts et à l’arbitrage de Bill Clinton. C’est l’irruption de Sharon et la faute historique d’Arafat qui, en l’an 2000, ont conjugué leurs effets pour empêcher un dénouement pacifique qui paraissait possible.
Arafat est parti il y a tout juste quatorze mois, et Sharon va s’éclipser à son tour.
Chacun d’eux nous assurait que l’autre était un obstacle à la paix, et je crois bien qu’ils avaient raison l’un et l’autre.
Nous allons voir si, sans eux, la paix est possible.
Je crains, pour ma part, qu’il ne faille attendre le départ d’un autre obstacle à la paix : George W. Bush.

Voir pages 20-22 l’analyse de Patrick Seale.

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