Les députés et la polémique

Pour avoir refusé un article de loi les obligeant à déclarer leur patrimoine, les membres de l’Assemblée nationale ont déclenché un tollé.

Publié le 17 janvier 2006 Lecture : 5 minutes.

« Non seulement ils touchent de gros salaires et vivent dans de belles villas, mais ils refusent maintenant de déclarer leur patrimoine. Ils ont peur que le peuple connaisse la vérité sur les fortunes qu’ils ont amassées durant leur mandat ? » maugrée Fodil, employé de bureau à Alger. Ils ? Ce sont les membres de l’Assemblée populaire nationale (APN), objets de vives critiques à la suite de l’adoption, mardi 3 janvier, d’un texte de loi portant sur la lutte contre la corruption.
Avec un salaire de 18 000 dinars (180 euros), Fodil, la cinquantaine, arrive difficilement à subvenir aux besoins de sa famille. Son fils de 17 ans a même dû quitter l’école parce que l’argent manque pour supporter les frais de scolarité. Faute de moyens pour acquérir un appartement, Fodil et sa famille habitent encore chez les parents. La viande ? Fodil en achète un kilo une fois tous les mois. Les vacances ? Ils n’en ont jamais pris. Pour habiller les siens, il doit se contenter de la friperie du quartier et de vêtements usagés sentant encore la naphtaline.
Alors, lorsque Fodil a appris dans les journaux que les députés ont refusé de voter l’article de loi qui les oblige à faire une déclaration de patrimoine, il a laissé exploser sa colère. « Dire qu’ils osent se réclamer du peuple ! Quand je pense qu’un député touche dix fois mon salaire, cela me désespère de la politique. Je crois que je n’irai plus jamais voter », peste encore cet employé.
Rien, en ce début du mois de janvier, n’indiquait que l’APN allait connaître une tempête politique qui, d’une part, mettra le gouvernement en porte-à-faux face à ses engagements internationaux en matière de moralisation de la vie publique et, d’autre part, placera les députés dans une très mauvaise posture par rapport à leurs électeurs.
Mardi 3 janvier, hémicycle de l’Assemblée. Maintes fois reporté, le texte de loi sur la prévention et la lutte contre la corruption est enfin soumis aux députés pour adoption. Ce qui n’était qu’une simple formalité se transforme vite en épreuve pour le représentant du gouvernement, Tayeb Belaiz, ministre de la Justice et garde des Sceaux. Après débat, l’ensemble du document est adopté, à l’exception de l’article 7. En dépit des recommandations du ministre il exhorte les élus du peuple à voter « par conviction » , les députés du Front de libération nationale (FLN, ex-parti unique), du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas) ainsi que ceux du Parti des travailleurs (PT, trotskiste) refusent d’endosser cette fameuse disposition de loi.
Qu’a-t-elle donc de si contraignant pour qu’elle soit rejetée par les représentants du peuple ? L’article 7 fait obligation aux élus et aux cadres de l’État de déclarer leurs biens et leur fortune, dans un délai de trente jours à compter de la date de leur prise de fonctions, faute de quoi ils encourent de graves sanctions. Celles-ci peuvent aller jusqu’à la révocation du cadre récalcitrant et au retrait de l’immunité parlementaire.
Pour les députés, cette disposition est irrecevable. Messaoud Allouache, ancien procureur et député du FLN, justifie la démarche de son groupe parlementaire. « Tel que rédigé, l’article 7 renferme une arrière-pensée politique qui remet en cause les principes démocratiques. Il place les élus dans une situation de précarité face au pouvoir politique. Nous sommes pour la lutte contre la corruption, mais nous refusons que les élus se soumettent au diktat de l’exécutif », plaide-t-il.
Pour un parlementaire islamiste, l’explication est plus prosaïque. « On peut oublier de déclarer un bien, cela peut arriver à n’importe qui. Il est donc injustifié de briser la carrière d’un cadre ou d’un élu du peuple parce qu’il a fait une déclaration de patrimoine incomplète », argumente-t-il. C’est précisément ce qui est reproché aux élus : privilégier leurs carrières et soustraire leurs biens aux organismes de contrôle. « C’est faux, rétorque Allouache. Les élus du FLN ont fait leur déclaration de patrimoine. Nous sommes les victimes d’un procès d’intention. »
Bien sûr, l’attitude des députés n’a pas manqué de provoquer une certaine indignation. À l’instar de Fodil, l’employé de bureau algérois, Tahar, comptable dans une entreprise privée, n’a pas de mots assez durs pour fustiger les parlementaires. « Les députés ont peur de la transparence parce qu’ils ont des choses à se reprocher. Ils craignent de déclarer leur patrimoine parce qu’ils utilisent leur mandat pour s’enrichir », fulmine-t-il.
C’est que le député algérien souffre d’une piètre image auprès d’une partie de l’opinion publique. On lui reproche notamment de s’être octroyé un statut en or massif. Son revenu mensuel, toutes indemnités comprises, avoisine 180 000 dinars (environ 1 800 euros). Il bénéficie également d’un prêt, sans intérêt, de 1 million de dinars (10 000 euros) pour l’acquisition d’un véhicule de service. Dans un pays le SMIG ne dépasse pas 10 000 dinars (100 euros), pareils avantages, justifiés ou non, peuvent facilement choquer le citoyen lambda.
En rejetant l’article en question, les parlementaires mettent les autorités algériennes dans une posture délicate. Depuis son élection en avril 1999, le président Bouteflika n’a cessé d’afficher sa volonté de moraliser la vie publique et d’introduire des règles de transparence dans la gestion des affaires. N’a-t-il pas dénoncé la poignée d’affairistes qui détiennent le monopole de l’importation ? N’a-t-il pas signé le 19 avril 2004, au lendemain de son investiture pour un second mandat, un décret portant ratification de la convention des Nations unies contre la corruption ? Le 20 décembre 2005, une semaine avant son hospitalisation en France pour un « ulcère hémorragique », n’a-t-il pas renouvelé son engagement à lutter contre ce phénomène qui gangrène le pays ?
Devant les magistrats réunis à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire, Bouteflika sermonnait l’exécutif en des termes on ne peut plus clairs : « Le combat contre le terrorisme ne doit pas perdre de vue l’émergence et le développement, devenus préoccupants, du crime organisé sous différentes formes. Le gouvernement doit inscrire parmi ses priorités la lutte contre la corruption et les maux sociaux, qu’il s’agisse des passe-droits, du favoritisme, du népotisme ou de l’atteinte aux biens de la collectivité. »
Dans un document rendu public en septembre 2005, la Banque mondiale estimait que la corruption représente en moyenne 6 % du chiffre d’affaires des entreprises en Algérie. Dans son rapport daté de 2005, Transparency International place ce pays à la 97e place sur une liste de 158 pays, avec une note de 2,8 sur 10. Enfin, en 2005, le Fonds monétaire international (FMI) a classé l’Algérie en dessous de la moyenne dans la région Mena (Moyen-Orient et Afrique du Nord) dans les indicateurs de bonne gouvernance. Ancien ministre, Abdelaziz Rahabi déplore la polémique. « Ce n’est pas en rejetant un article de loi qui préconise la transparence que l’Algérie va contribuer à améliorer son image dans le monde. » Affaire à suivre

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