Le printemps de la presse

Même si le secteur est loin d’être florissant, les journaux se multiplient depuis août dernier, tandis que les médias publics se sont convertis au pluralisme.

Publié le 17 janvier 2006 Lecture : 4 minutes.

Il semble loin le temps où l’offre de la presse quotidienne en Mauritanie se réduisait au très officiel Chaab (« Peuple ») et à son pendant francophone Horizons. Dix autres journaux leur disputent désormais le lectorat. À l’exception de Nouakchott Info paraissant régulièrement depuis 1996, du Méhariste et de As-Safir (« L’Ambassadeur ») nés au début de 2005, tous ces titres ont vu le jour après la chute de Maaouiya Ould Taya. « Le changement du 3 août a été un catalyseur de la presse », estime Hussein Ould Mahand, qui a lancé, le 19 décembre, Al-Amal al-Jadid (« Le Nouvel Espoir »). Projet qui a été rejeté, tient-il à ajouter, « tout au long des dix dernières années par le pouvoir déchu ».
Le journal se propose d’« accompagner la transition démocratique » promise par le Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD). La même ambition est partagée par d’autres nouveaux quotidiens arabophones : Al-Alam (« Le Drapeau ») ; Al-Mijhar (« Le Microscope ») ; Al-Akhbar (« Les Informations »), fondé en novembre dernier par l’équipe de Sahara Média, premier journal électronique mauritanien ; et As-Sirg (« La Lanterne »), créé un mois plus tôt par l’aile modérée du mouvement islamiste. Son rédacteur en chef, Ahmedou Ould Ouadiaa, rentrait d’un exil de deux ans à Bruxelles. Moins pléthorique, la presse en langue française connaît la même évolution. L’Authentique, ancien hebdomadaire, est devenu quotidien, et Le Diplomatique – édition francophone d’As-Safir – a vu le jour.
Des hebdomadaires tels Le Calame, L’Éveil-Hebdo, La Tribune et le très satirique Echtary (« Quoi de neuf ? »), lancés au lendemain de l’instauration du multipartisme au début des années 1990, se restructurent et se modernisent. Leurs équipes, souvent assez réduites, ne sont pas peu fières d’avoir survécu à l’ancien régime, qui avait censuré Le Calame, par exemple, quatorze fois et commis, selon Reporters sans frontières (RSF), pas moins de 88 atteintes graves à la liberté de la presse depuis 1991.
Cependant, l’enthousiasme des dirigeants de ces titres, appelés à couvrir un marathon électoral qui commencera en juin par un référendum constitutionnel pour finir en mars 2007 par un scrutin présidentiel, ne cache pas les problèmes structurels de la presse mauritanienne. Le lectorat reste très limité dans ce pays peuplé de moins de trois millions d’âmes. Echtary a le plus fort tirage des hebdomadaires avec 3 000 exemplaires. Pour les quotidiens, Horizons vient en tête avec 1 700 exemplaires. Parmi les causes de cette contre-performance, il y a la précarité financière de publications qui dépendent souvent pour leur survie de bailleurs de fonds occultes et l’absence de structure de distribution digne de ce nom en Mauritanie. Du coup, les journaux restent pratiquement l’apanage des habitants de Nouakchott et accessoirement de Nouadhibou, les deux principaux centres urbains du pays. Les journaux souffrent également d’une flagrante carence de professionnalisme.
Cet état des lieux peu reluisant a d’ailleurs amené les nouveaux maîtres du pays à inscrire la réforme du secteur parmi leurs chantiers prioritaires au même titre que la réhabilitation de la justice ou la bonne gouvernance.
Le 15 décembre, le Premier ministre Sidi Mohamed Ould Boubacar avait installé la Commission nationale consultative pour la réforme de la presse et de l’audiovisuel (CNCRPA), dont la présidence a été confiée au journaliste Imam Cheikh Ould Ely. D’autres membres de cette instance tels Mohamed Said Ould Hamody, Kane Hamidou Baba, Hindou Mint Ainina et Brahim Ould Abdallah sont appréciés de la profession. La CNCRPA devra remettre son rapport à la fin de mars.
Les journalistes attendent des mesures comme l’exonération du matériel importé et surtout la définition du statut du journaliste. On espère en effet se débarrasser des dizaines de « Peshmergas », ces propriétaires de titres autorisés mais rarement publiés accusés de racket et de chantage, et dont l’appellation a été empruntée aux combattants kurdes d’Irak. Ils représentent une véritable plaie pour le métier. Début octobre dernier, lors de sa première rencontre avec la presse nationale, le colonel Ély Ould Mohamed Vall s’était rendu compte de l’exaspération que suscitent ces intrus au sein de la corporation. « Ces gens ont été injectés dans notre corps par l’ancien régime qui voulait discréditer et polluer la profession », soutient Mohamed Fall Ould Oumeir, directeur de La Tribune, qui ne dissimule pas sa satisfaction des décisions prises par les nouvelles autorités.
Quelques jours après son arrivée au pouvoir, le nouveau président a en effet ouvert les médias publics (radio, télévision, Agence mauritanienne d’information et les journaux Chaab et Horizons), jusque-là chasse gardée du pouvoir, à tous les partis politiques. Les Mauritaniens ont perçu ce changement quand ils ont vu, pour la première fois en dehors d’une période électorale, des ex-opposants comme Ahmed Ould Daddah, Messaoud Ould Boulkheir, Ba Mamadou Alassane et Jemil Ould Mansour défiler sur les plateaux de télévision et dans les studios de radio. Le ministre de l’Intérieur, de son côté, a reçu l’ordre de s’abstenir d’avoir recours au fameux article 11 de la loi sur la presse qui l’autorise, depuis 1991, à censurer la presse écrite. Une révolution.

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