L’autre Sahel

Le sud et l’est du continent sont à leur tour touchés par la famine. Une situation alarmante pour l’ex-grenier africain.

Publié le 17 janvier 2006 Lecture : 4 minutes.

« C’est déjà trop tard. » Peter Smerdon, le porte-parole du bureau kényan du Programme alimentaire mondial (PAM), est inquiet. Les trop faibles pluies de la saison sèche, au nord mais aussi – et c’est beaucoup plus surprenant – à l’est du Kenya, menacent de famine quelque 2,5 millions de personnes s’il ne se passe rien dans les six mois à venir. Mwai Kibaki, le chef de l’État, a tiré la sonnette d’alarme le 31 décembre 2005 et appelé la communauté internationale au secours. Celui-ci a besoin d’une enveloppe de 140 millions de dollars – pas moins pour faire face à l’urgence. Les habitants des régions sinistrées, dépourvus de tout revenu, sont déjà sur les routes, tandis que les fermiers se nourrissent de leurs dernières graines et subissent l’invasion des éléphants venus des parcs naturels avoisinants, à la recherche d’eau et de nourriture.
Non loin de Nairobi, la Tanzanie est également confrontée à ces aléas climatiques. Jakaya Kikwete, le président tanzanien nouvellement élu, a déjà averti : plus de 600 000 de ses compatriotes auront besoin de 21 500 tonnes d’aide alimentaire d’urgence d’ici au mois prochain. Au Burundi, les populations pauvres des zones rurales sont aussi en danger. Le président Pierre Nkurunziza a décidé de baisser les taxes à l’importation sur les produits alimentaires de 30 % à 5 % pour enrayer les problèmes de nutrition. D’autres pays d’Afrique de l’Est – la Somalie et l’Éthiopie, en particulier – devraient également se trouver rapidement dans une situation similaire. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que 11 millions de personnes sont au bord de la famine dans la Corne de l’Afrique. Ils auront besoin de 64 000 t d’aide alimentaire, alors que seulement 16 000 t ont été amassées.
Au sud du continent, la saison sèche bat son plein et les difficultés se font sentir de façon encore plus dramatique. Au Malawi, en Zambie, au Zimbabwe, au Lesotho et au Botswana, le PAM nourrit déjà 9,2 millions de personnes. Et les prévisions de la FAO estiment qu’il faudra apporter une aide d’urgence à 3 millions d’individus supplémentaires ces prochains mois.
Alors qu’elle a longtemps été considérée comme le grenier du continent, la sous-région australe souffre aujourd’hui autant que les autres des dérèglements climatiques, des difficultés économiques et de la mauvaise gouvernance. Au moins sept des quatorze pays de la SADC (Communauté des États de l’Afrique australe) continueront ainsi à dépendre de l’aide alimentaire étrangère en 2006. Un bureau du PAM a été ouvert à Johannesburg, en Afrique du Sud – seul pays réellement autonome sur le plan alimentaire – en 2002, au plus fort de la crise. Censé répondre surtout à l’urgence de la famine, il a fini par s’installer durablement dans la région, désormais victime de famines chroniques, à l’image du Sahel.
La faillite de l’agriculture zimbabwéenne a beaucoup contribué au développement de cette situation. Auparavant, Harare fournissait le PAM pour subvenir aux besoins des pays comme le Malawi, l’Angola ou le Mozambique, régulièrement confrontés à un déficit alimentaire. Désormais, celui-ci ne compte plus que sur Pretoria et sur l’aide étrangère.
« Vingt et un pays dans le monde ont vu leur indice de développement humain [IDH, calculé par le Pnud] décliner, entre 2000 et aujourd’hui. Et un tiers d’entre eux sont en Afrique australe », explique Michael Huggins, le porte-parole du PAM à Johannesburg. « Les crises alimentaires qui se répètent ici s’expliquent par de nombreux facteurs : la pauvreté, la crise économique ou le climat, comme partout ailleurs. Mais si elles atteignent des proportions si importantes, c’est surtout en raison du virus du sida. »
La pandémie ne laisse pas seulement des millions de morts derrière elle, elle touche tous les pans de la vie sociale et économique des pays d’Afrique australe. Le sida a volé une partie des forces vives de ces nations, laissé les champs sans agriculteurs, les gouvernements et les organisations humanitaires sans bras, et plus d’un million d’enfants orphelins, sans ressource pour se nourrir. « Il faut aller dans les dispensaires ou les villages, voir des grands-mères seules avec une dizaine d’enfants à charge, s’insurge Huggins. Comment voulez-vous qu’elles trouvent toute la nourriture nécessaire, sans aide extérieure ? »
Pour les années 2006-2007, le PAM comptait sur un budget de 404 millions de dollars pour nourrir 5,5 millions de personnes dans la région. C’est, en fait, plus de 12 millions qui seront dans le besoin, et ce dès le début de 2006. Il faudra donc trouver de l’argent frais. « Notre problème, ici, c’est que les crises alimentaires ne sont pas médiatiques, explique, presque à regret, Michael Huggins. Nous ne sommes pas en situation de famine aggravée comme on a pu le voir en Somalie ou en Éthiopie. À cause du sida, les gens meurent chez eux, dans des coins reculés, loin des caméras. » Une forme beaucoup plus insidieuse de privation et de misère où 14 millions de personnes ont eu recours à l’aide alimentaire en 2002, 7 millions en 2004 et peut-être encore plus en 2006. En ce début d’année, face à l’affluence des appels au secours qui proviennent de nombreux pays africains, nul ne sait d’où les fonds nécessaires vont venir.
Selon la FAO, quatorze pays du continent doivent aujourd’hui faire face « à une situation alimentaire dramatique » et treize autres auront prochainement besoin d’une aide d’urgence. L’appel au secours sera-t-il entendu ? Plus que dans toute autre situation, les pays africains confrontés à des conditions climatiques difficiles et aux famines qui en découlent dépendent du bon vouloir des donateurs, de l’agenda médiatique et des images misérabilistes que transmettent les télévisions occidentales. Alors, une fois encore, faut-il attendre que des photos d’enfants squelettiques mourant sur le bord du chemin inondent les écrans des pays développés pour que les dons parviennent jusqu’à Johannesburg ou Nairobi ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires