La controverse de « Munich »

Avec sa dernière réalisation autour de l’affaire des J.O. de 1972, Steven Spielberg, lui-même juif, est accusé de donner une mauvaise image d’Israël…

Publié le 16 janvier 2006 Lecture : 6 minutes.

« Je ne peux rien vous dire… sinon ils vont me briser les jambes ! » L’individu qui prononçait cette phrase il y a six mois à Budapest n’était pas un membre de la mafia repenti recherché par ses anciens complices, mais tout simplement un acteur britannique répondant à l’invite d’un journaliste qui voulait l’interviewer sur le tournage auquel il participait. Il ne faisait qu’obéir à des consignes de discrétion totale du producteur et du réalisateur. Des consignes qui avaient déjà conduit ces derniers à faire confisquer tous les portables des figurants de peur qu’ils ne prennent clandestinement des photos sur le plateau.
Ce film n’était autre que le dernier Spielberg, Munich. Celui-ci, qui vient de sortir aux États-Unis et sera bientôt projeté dans le monde entier, raconte l’histoire d’une vengeance meurtrière opérée par un commando israélien après la plus célèbre des opérations terroristes palestiniennes. Le Mossad, sur instruction du Premier ministre Golda Meir, avait en effet décidé en 1972 de faire supprimer physiquement un à un, à n’importe quel coût, tous les Palestiniens qui avaient participé de près ou de loin à la prise en otages puis au massacre de onze sportifs israéliens lors des jeux Olympiques qui s’étaient déroulés cette année-là dans la capitale de la Bavière. Et c’est la traque de ces hommes inscrits hâtivement sur une liste noire de douze noms – au Liban, dans divers pays européens et même aux États-Unis – et le meurtre de beaucoup d’entre eux qui constituent la matière du long-métrage, réalisé un peu à la manière d’un thriller.
Pourquoi fallait-il maintenir à ce point le secret autour du film, inspiré du livre intitulé Vengeance d’un journaliste canadien, George Jonas, qui avait prétendu dévoiler toute la vérité sur cette opération ? Peut-être en partie pour des raisons de marketing : un film entouré de mystère est forcément très attendu et bénéficiera par là même d’une publicité gratuite lors de sa sortie. Mais aussi parce que les producteurs du film n’ignoraient pas qu’il y a des sujets qui se prêtent particulièrement à la polémique. Si on laisse les critiques fuser avant même qu’on puisse montrer le résultat du tournage sur l’écran, la controverse peut parfois non seulement décourager le grand public, mais surtout ruiner la réputation du film en décrédibilisant son scénario.
De fait, malgré la stratégie du secret mise en oeuvre, ou précisément à cause d’elle, la polémique a fait rage plusieurs mois avant le jour où l’on a procédé au final cut à Hollywood, fin novembre. Et elle a rebondi dans la presse, avec une certaine violence, après la sortie du film sur les écrans américains. Mais, contrairement à ce qui s’est passé lors des premières projections d’autres films controversés ces derniers temps, comme La Passion du Christ de Mel Gibson, le débat n’a guère pris d’ampleur ni au niveau des intellectuels ni à celui du grand public.
Seuls se sont exprimés avec vigueur, sauf rare exception, des adversaires du film, tous particulièrement pro-israéliens quand ils n’étaient pas des représentants officiels de l’État hébreu, qui ont adressé au réalisateur deux reproches complémentaires. Le premier : le film donne une mauvaise image d’Israël et des Israéliens, dirigeants et agents du Mossad en tête, en les présentant comme des commanditaires ou des exécutants de meurtres accomplis de sang froid par pure vengeance, ce qui est difficilement justifiable sur le plan moral. Le second : le film, en donnant quelquefois la parole à des Palestiniens qui expliquent au passage le sens de leur combat patriotique, place en quelque sorte sur le même plan, comme des « équivalents moraux », selon la formule employée par plusieurs chroniqueurs, les terroristes de Septembre noir et leurs victimes.
Ce qui est vrai, c’est que Spielberg et son scénariste, le détenteur d’un prix Pulitzer Tony Kushner, n’ont pas voulu réaliser un film totalement manichéen à la gloire d’Israël et de ses services secrets. En montrant par exemple des scènes de meurtre comme celles où sont exécutés froidement un écrivain et enseignant spécialiste des Mille et Une Nuits ou un diplomate débonnaire et père d’une petite fille qui n’ont certes pas l’air de dangereux terroristes, ils ne cachent pas leur réticence – le mot est faible – devant les méthodes expéditives du Mossad. Et en consacrant toute la fin du film à raconter les états d’âme du chef du commando qui, après la fin de sa mission, se réfugie avec sa famille aux États-Unis, l’esprit tourmenté jour et nuit par ces meurtres qui lui paraissent finalement immoraux, persuadé que le Mossad entend désormais se débarrasser du témoin encombrant qu’il est devenu, ils ne légitiment assurément pas le principe même du contre-terrorisme.
Partisan depuis toujours d’une politique de négociations pouvant conduire à la paix, Spielberg a d’ailleurs répondu que « les adversaires du film qui l’attaquent en évoquant la prétendue théorie des « équivalents moraux » sont ceux qui pensent que l’exercice de la diplomatie suppose aussi d’accepter cette théorie et qu’il n’y a donc pas d’autre voie que la guerre pour résoudre le conflit israélo-palestinien ».
Il n’en reste pas moins, pour qui en douterait, que l’auteur de La Liste de Schindler, lui-même juif tout comme son scénariste d’ailleurs, n’a bien entendu aucun parti-pris anti-israélien. Tout son film, par construction, est d’ailleurs vu strictement du point de vue israélien, même quand il ne l’épouse pas. Les personnages les plus « élaborés », donc les plus susceptibles de faire éprouver au spectateur une certaine empathie, sont les cinq membres des commandos du Mossad et certains de leurs « complices » européens qui les aident à « loger » leurs cibles, tous les Palestiniens apparaissant plutôt comme des figurants, au mieux comme de petits seconds rôles. Et aucun des nombreux conseillers qui se sont penchés sur le scénario ne venait du côté palestinien, comme l’a fait remarquer un témoin pour le moins informé de toute l’affaire puisqu’il s’agit… d’Abou Daoud, le principal organisateur de la prise d’otages, toujours vivant.
Voilà pourquoi les critiques les plus sérieuses qu’on peut adresser au film sont en réalité d’un autre ordre. La principale est que ce film, certes présenté comme une fiction, se veut – c’est écrit sur l’écran – « inspiré de faits réels ». Or si l’opération décrite a effectivement eu lieu, il semble bien qu’elle ne s’est pas du tout déroulée comme Munich, inspiré d’un ouvrage que beaucoup disent « bidonné » en grande partie, le laisse supposer. Non seulement elle a conduit à plusieurs « bavures » tragiques, ce que le film montre à peine, mais elle a pour l’essentiel échoué si elle avait bien pour objectif d’éliminer tous les protagonistes de la prise d’otages : les quelques Palestiniens présents sur les lieux et restés vivants après le dénouement n’ont pas tous disparu, c’est certain, et la plupart des responsables qui ont conçu ce qui se voulait « une action d’éclat » sont restés indemnes, ou sont morts sans que le commando vengeur ait joué un rôle à cet égard.
Par ailleurs, et ce n’est pas un détail vu la suite des événements, il paraît établi que la majorité des sportifs israéliens tués lors de l’opération ont péri lors de la fusillade qui a éclaté à l’aéroport de Munich où ils avaient été conduits avec les Palestiniens. Ils auraient succombé sous des rafales tirées non pas par ces derniers, mais par les policiers allemands, qui, en accord avec les autorités israéliennes, avaient décidé de ne pas laisser décoller l’avion qui devait emporter dans un pays arabe les otages et leurs ravisseurs.
Mais on peut aussi faire état de réserves devant Munich tout simplement pour des raisons cinématographiques. Il ne s’agit pas, loin de là, d’un des meilleurs Spielberg. Voulant peut-être trop prévenir les éventuelles critiques de tous bords, ou étaler son credo humaniste, le réalisateur propose un film qui, bien que souvent efficace, est émaillé de scènes peu convaincantes. Et il impose une interminable scène finale très moralisante qui laisse le spectateur sur une impression mitigée. Les bons sentiments, on le sait, font rarement les bons films.

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