Le budget, première épreuve du futur gouvernement tunisien
Tunis aura besoin de 1,2 milliard d’euros pour boucler un budget malmené par l’endettement structurel du pays, les conséquences du Covid-19 et la crise politique.
« La situation est très grave », avait prévenu le 13 juillet, Nizar Yaïche, ministre des Finances, lors de l’annonce du plan de sauvetage de l’économie tunisienne, quelques heures après que le parti musulman-conservateur Ennahdha, première formation au parlement, a retiré sa confiance au gouvernement d’Elyes Fakhfakh, provoquant un remaniement.
Devant ces mouvements politiques, les mauvais chiffres n’en paraissent que plus catastrophiques : le pays cherche encore 3,9 milliards de dinars (1,2 milliard d’euros), soit 9 % du budget prévu dans la loi de finance 2020, et le déficit budgétaire devrait atteindre 7 % du PIB à la fin de l’année.
Des mesures critiquées
Quelques jours auparavant, Nizar Yaïche – qui continuera de gérer son portefeuille jusqu’à la nomination du futur gouvernement, attendue fin août – avait évoqué un trou de 13 milliards de dinars (4 milliards d’euros) au titre des impayés de l’État et de l’effondrement de l’économie lié au coronavirus. « Nous n’allons pas tout rembourser cette année. Mais nous allons tenir nos engagements, il n’y aura pas de rééchelonnement des dettes en cours », avait insisté le ministre, qui promettait également de ne pas toucher aux investissements de l’État, à la fiscalité, aux aides sociales et de ne pas recourir à un financement international.
Pour ce faire, le ministre, qui doit désormais se contenter d’expédier les affaires courantes et n’a plus la possibilité de déposer de nouveaux projets de loi, avait lancé ces dernières semaines une batterie de mesures : émissions de Bons du trésor, soutien de la Banque centrale de Tunisie (BCT), prêts syndiqués en devises auprès des banques ou encore emprunt obligataire de solidarité destiné aux grandes fortunes du pays.
Une initiative dont Nizar Yaïche espérait « plusieurs centaines de millions de dinars », mais jugée ubuesque par beaucoup. « Ça s’apparente à l’emprunt russe. Le ticket d’entrée est à 100 000 dinars, combien de personnes peuvent souscrire ? Le taux proposé – 4 % défiscalisé – est bien trop bas. Et les investisseurs devront attendre dix ans avant de récupérer leur mise et leurs profits. La Tunisie en sera où dans dix ans ? En appelant à la solidarité, l’État a décidé d’utiliser une forme de contrainte légale pour renflouer ses caisses », critique Radhi Meddeb, PDG fondateur de Comete Engineering et expert économique.
L’espoir d’une embellie exogène
En outre, toutes ces mesures sont insuffisantes, estime Bassem Naifar, analyste financier chez AlphaMena, selon qui la récession à venir sera pire que les -6,5 % avancés par l’ancien gouvernement. L’expert pointe notamment la baisse de 51 % des dépenses en capital (investissements) de l’État à la fin avril : comment atteindre l’équilibre d’ici décembre, comme promis ?
Le recours massif aux Bons du trésor assimilables (BTA) s’avérera-t-il suffisant ? « Oui, à condition que la Banque centrale nous refinance. Nous n’avons pas les liquidités nécessaires pour soutenir les entreprises et l’État », alerte Ahmed el-Karm, membre du bureau de l’association professionnelle des banques et établissements financiers, qui sont les principaux acheteurs de BTA.
Mais fin avril, les emprunts intérieurs avaient déjà atteint 720 millions d’euros, sur les 750 millions autorisés par la loi de finance, qui sera rectifiée au dernier trimestre de l’année.
Des facteurs exogènes, tels la reprise économique des partenaires français et italien, une baisse du prix du pétrole ou encore une saison touristique moins désastreuse que prévu, pourraient venir éclaircir ce sombre tableau.
Refinancement auprès du FMI ?
Le futur gouvernement pourra aussi compter sur les confortables réserves en devises de la Banque centrale de Tunisie (BCT), équivalentes au 28 juillet à 138 jours d’importation. Pour Maher Zaanouni, dirigeant de Cap Invest Partners, le programme préparé par l’ex-gouvernement « tient la route », à condition que l’argent mobilisé ne serve pas qu’au fonctionnement de l’État. « C’est l’occasion, grâce à la loi de partenariat public-privé (PPP), de favoriser une « success-story » qui fera venir les investisseurs et les devises. »
La ligne rouge de ne pas aggraver la dette extérieure (qui représentait près de 75 % du PIB en 2019, selon le FMI) pourrait céder dès l’année prochaine. La Tunisie ne sortira pas sur les marchés internationaux – les conditions y seraient trop dures – mais l’exécutif pourrait relancer les discussions avec le FMI pour un programme quadriennal. Macro-économiquement, l’institution n’y verrait pas de problèmes majeurs, car elle considère la dette extérieure du pays « robuste à la plupart des chocs, à l’exception d’une dépréciation du taux de change ». Mais, comme tous bailleurs, le FMI exigera un interlocuteur politique stable.
Or, si les deux favoris au poste de chef de gouvernement, Fadhel Abdelkefi et Khayam Turki, jouissaient a priori de la confiance des bailleurs internationaux du fait de leur carrière dans la finance, la nomination d’Hichem Mechichi a surpris, et l’orientation économique et financière du prochain exécutif est plus incertaine.
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