Guerre des chefs au PS

Longtemps sourde, la querelle au sein de l’ancien parti au pouvoir éclate au grand jour. Et menace de tout faire imploser.

Publié le 17 janvier 2006 Lecture : 6 minutes.

Cinquante-huit ans après sa création par Léopold Sédar Senghor, le premier président du Sénégal indépendant, le Parti socialiste (PS) a rarement été aussi proche de l’implosion. Pas moins de dix grosses pointures du bureau politique (BP, le collège d’une trentaine de membres qui dirige la formation), pour la plupart d’anciens ministres aujourd’hui maires de grandes villes ou présidents de conseils régionaux, ont publié, le 4 janvier, un manifeste au vitriol qui dénonce la gestion du parti par son premier secrétaire, Ousmane Tanor Dieng – Tanor, pour la plupart de ses compatriotes.
Un document de 8 pages titré « Manifeste de création du courant « Démocratie-Solidarité » du Parti socialiste », et signé par un panel de personnalités qui ont marqué la vie politique du pays, de Senghor à son successeur, Abdou Diouf : l’ancien vice-président de l’Assemblée nationale Amath Cissé ; l’ex-maire de Dakar et actuel édile de Yoff, Mamadou Diop ; son homologue de Passy et ancien ministre et directeur de cabinet d’Abdou Diouf, Moustapha Kâ ; le premier magistrat de Tambacounda et ci-devant ministre de la Ville, Souty Touré ; le président du conseil régional de cette métropole de l’Est, Cheikh Abdou Khadre Cissokho ; l’inamovible ministre sous Diouf et maire de Ziguinchor, Robert Sagna ; le député du PS pendant plusieurs décennies, longtemps resté à la tête de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS, principale centrale du pays affiliée au défunt régime socialiste), Madia Diop…
Ils épinglent « la gestion patrimoniale » du parti par Dieng depuis la chute de Diouf, en mars 2000, fustigent « le manque de débats internes », demandent la réactivation du conseil d’orientation (une structure créée au lendemain de la défaite pour remplir les fonctions de président du parti laissées vacantes par Diouf), la collégialité dans la prise des décisions, l’audit du patrimoine du PS, la tenue rapide d’un congrès qui n’a pas été réuni… depuis 1996.
Comme pour indiquer qu’ils n’auront pas le même sort que Djibo Kâ (ce ministre de Senghor puis de Diouf, exclu du parti en 1996 pour avoir créé le courant du renouveau démocratique), les « frondeurs » ajoutent qu’ils ne sauraient être exclus du PS dont ils constituent une bonne partie du BP.
Dernière querelle en date entre les héritiers déçus de Diouf, cette guérilla est lourde de menaces pour le plus vieux parti du Sénégal, et pour l’unité de l’opposition réunie au sein du Cadre permanent de concertation (CPC). Les proches du premier secrétaire montrent du doigt le chef de l’État, l’accusent d’être le véritable inspirateur de la « fronde destinée à casser le PS ». Ils se fondent sur un propos du chef de l’État qu’ils refusent de prendre pour une simple prémonition. En septembre 2005, au cours de sa rencontre au palais avec les leaders de Clarté (Comité de lutte et d’action pour la régularité et la transparence des élections), Abdoulaye Wade interpelle Ousmane Tanor Dieng : « Vous dites que mon parti est en lambeaux. On va voir, dans un avenir proche, comment sera le vôtre. Des dissensions en son sein vont vous empêcher de procéder aux renouvellements et d’organiser un congrès. »
Comme pour confirmer les supputations de nombre de socialistes, Wade reçoit Robert Sagna, le 7 janvier, au plus fort de la polémique. Interrogé par J.A.I. sur les soupçons qui fusent de toutes parts, Sagna explique : « Je rencontre Abdoulaye Wade une fois tous les mois. Nous nous concertons sur la crise qui secoue la Casamance depuis plus de deux décennies. Si je voulais rallier le chef de l’État, j’aurais accepté un poste de vice-président qu’il m’a proposé plus d’une fois. Nous avons librement créé le courant « Démocratie-Solidarité » qui a vocation à demeurer une force de proposition au sein du PS, et qui n’envisage pas la moindre collaboration avec Wade. Notre objectif est clair : reconstituer la famille socialiste, rassembler toutes les formations issues de l’éclatement du PS historique pour reconquérir le pouvoir. »
Des propos oecuméniques, qui cachent un détestable climat de règlements de comptes au sein du parti de Senghor, depuis une décennie.
1996. Au cours d’un « congrès sans débat », Abdou Diouf impose au poste de premier secrétaire son jeune directeur de cabinet de l’époque, Ousmane Tanor Dieng. Au grand dam des « historiques » du parti. Déçu, Djibo Kâ ira jusqu’à la rupture. Moustapha Niasse le suivra. Ces deux défections contribuent à sceller le destin de Diouf au sommet de l’État. Entre les deux tours de la présidentielle de février-mars 2000, des caciques du parti, dont Robert Sagna, lui demandent de « sacrifier » Tanor. Il refuse. Trois jours seulement après la défaite de Diouf, Robert Sagna, Mamadou Diop et Moustapha tentent un « coup d’État » contre le premier secrétaire. Une mémorable tribune de Kâ parue dans Sud Quotidien, intitulée : « Changeons de cap et de capitaine », l’ancêtre du « Manifeste » du 4 janvier 2006. Un compromis permet d’éviter l’affrontement : le fameux « conclave de Savanna » institue un comité d’orientation réunissant les têtes des structures régionales et départementales, avec pour mission de diriger le parti jusqu’au congrès. Lequel est toujours attendu.
Le « trésor de guerre » – supposé ou réel – légué par Diouf après sa défaite vient corser un cocktail déjà explosif. Estimé par les initiateurs de Démocratie-Solidarité à 10 milliards de F CFA (dont 6 milliards destinés aux dix unions régionales, à raison de 600 millions pour chacune, et 4 milliards affectés au fonctionnement de la direction du parti) et à une cinquantaine de 4×4 offerts par des amis saoudiens de Diouf, ce patrimoine aurait été géré, à les entendre, comme ses biens personnels par Tanor. Ce que contestent les proches de ce dernier. « Abdou Diouf a laissé vides les caisses du parti, soutiennent-ils. Les fonds que lui ont remis ses amis à l’occasion de la présidentielle de 2000 ont été entièrement dépensés pour les besoins de la campagne. Depuis qu’il a perdu le pouvoir, le PS s’est appauvri. Quarante-cinq employés de son siège ont été licenciés. La plupart de ses cinquante 4×4 acquis entre 1996 et 2000 sont en panne. En 2005, le parti n’a même pas pu honorer sa contribution annuelle de 10 millions de F CFA au budget de l’Internationale socialiste. »
S’il n’est pas évoqué en public, sans doute par pudeur, l’argent constitue l’aspect le plus sensible du contentieux et le facteur qui a aggravé la tension. Mais l’escalade remonte à novembre 2005, avec une pétition circulant sur le Net et demandant le retour de Diouf aux affaires « pour sauver le Sénégal de la dérive ». Le débat gagne le pays. Deux proches de Tanor, Abdoulaye Wilane (président du Cercle des jeunes cadres socialistes) et Aminata Mbengue Ndiaye (tête de file des femmes du parti) montent au créneau, déclarent – avec quelques nuances, certes – que Diouf est du passé. C’en est trop pour le camp d’en face, qui estime que Tanor ne doit pas cautionner des attaques contre l’ex-chef de l’État qui l’a fabriqué de toutes pièces. D’idée latente, le Manifeste se retrouve sur le papier, par les soins de Moustapha Kâ, après quelques réunions des « dix » au domicile dakarois de Mamadou Diop.
Reste à savoir quel sort réserver au courant né de ces conclaves. En l’absence d’une disposition qui le prévoit dans les statuts du parti, le premier secrétaire envisage de soumettre la question au bureau politique. Mais il reviendra aux quelque 300 membres encore en exercice du comité central de trancher. En cas de rejet, le parti risque l’implosion. Car même s’ils ne le proclament pas, les initiateurs de Démocratie-Solidarité sont résolus à déboulonner l’équipe de Tanor à la tête du PS. Objectif ? Imposer Robert Sagna comme patron du parti et son candidat à la présidentielle de 2007.

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