Dura lex sed lex

Le président confirme le décret imposant aux compagnies étrangères d’ouvrir leur capital à des actionnaires nationaux.

Publié le 16 janvier 2006 Lecture : 4 minutes.

« Toutes les sociétés qui s’établissent en Guinée équatoriale doivent admettre des partenaires nationaux… Que ceux qui n’acceptent pas notre politique aillent dans un autre pays. Le gouvernement doit aussi exiger de ces grandes sociétés qu’elles investissent une partie de l’argent dans le développement et construisent le pays. » La déclaration du président équatoguinéen, Teodoro Obiang Nguema, le 3 janvier, à la télévision nationale, a jeté un froid dans les états-majors des groupes étrangers. Elle confirme un décret présidentiel de septembre 2004, pas encore appliqué, qui impose aux compagnies étrangères, ou créées par des étrangers, d’ouvrir leur capital à hauteur de 35 % minimum aux actionnaires équatoguinéens. Les opérateurs économiques, eux, voient dans ce texte la volonté de nationaliser les activités, et donc d’entraver la liberté d’entreprendre. « En demandant aux sociétés étrangères de s’associer à des partenaires locaux, nous voulons favoriser les investissements productifs nationaux et la création d’emplois pour nos compatriotes », se défend Melchor Esono Edjo, secrétaire d’État au Trésor et au Budget. Un argument qui ne convainc pas les opérateurs économiques étrangers, notamment les pétroliers américains, qui assurent l’extraction de l’or noir équatoguinéen. Ni eux ni leurs sous-traitants n’ont envie d’ouvrir leur capital à hauteur de 35 % à des personnes physiques ou à des sociétés nationales. Également visées, les sociétés étrangères de travaux publics n’ont aucune intention de se plier à de tels accords de participation. « Ce texte est un monstre juridique et une aberration qui va à l’encontre des règles de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale [Cemac] », explique un homme d’affaires installé à Malabo.
L’autre point qui exaspère les opérateurs du BTP concerne le partage des résultats. Le nouveau décret stipule que 5 % à 10 % des bénéfices nets devront être versés aux actionnaires nationaux. Pour les entrepreneurs étrangers, il s’agit, ni plus ni moins, d’un acte de « prédation ». Malgré le tollé suscité par cet arrêté, les autorités ont organisé deux réunions en juin et juillet derniers à Malabo pour préparer son application. Le Premier ministre a convoqué lors de ces rencontres tous les opérateurs pétroliers et leurs sous-traitants. « On nous a dit clairement que la société nationale équatoguinéenne de pétrole (Gepetrol) allait bientôt frapper à notre porte pour nous demander de lui ouvrir notre capital. Nous ne comptons pas nous laisser faire », indique un opérateur, sous le sceau de l’anonymat. Les états-majors des grandes firmes ont mis en branle leurs batteries d’avocats et de cabinets de conseil pour examiner les failles du texte de loi et répondre aux autorités. À l’issue d’une réunion de crise entre ExxonMobil et ses sous-traitants, les opérateurs ont développé trois arguments phare : ce texte n’est pas compatible avec le traité de l’Ohada (Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique) ; il est anticonstitutionnel, car il a été pris par décret et n’est pas passé par le Parlement ; enfin, le montant des primes grimpera en flèche quand les assureurs apprendront que des entreprises équatoguinéennes participent au capital. Les cabinets d’audit et de conseil installés à Malabo, particulièrement Ernst & Young et PricewaterhouseCoopers, ont également entamé un travail de lobbying auprès des autorités pour qu’elles fassent machine arrière ou, du moins, aménagent le texte. Pour beaucoup, le nouveau décret a été élaboré à la va-vite dans les mois qui ont suivi la tentative de coup d’État. « Ce texte est avant tout politique. Il constitue une réaction sécuritaire aux événements de mars 2004, souligne un diplomate. Il semble difficilement applicable, mais il fait peur à tout le monde. Quoi qu’il en soit, les investissements directs étrangers [IDE] pourraient en pâtir. » Malabo constituait pourtant une destination très attractive. Les IDE ont atteint 1,7 milliard de dollars en 2004, contre 323 millions en 2002, installant le pays parmi les principaux bénéficiaires de flux entrants en Afrique subsaharienne. La majorité des investissements est allée dans le secteur pétrolier.
Les déclarations télévisées du président traduisent en tout cas sa volonté d’engager un bras de fer avec les sociétés pétrolières américaines qui ont négocié des contrats de partage de la production léonins dans les années 1990 (la part de l’État s’élevait à environ 5 %). Et de porter le combat sur la scène médiatique. D’ailleurs, sa mise en garde a été précédée, fin décembre, par une émission de la Radio-télévision équatoguinéenne (RTVGE), relais très officiel du pouvoir et d’habitude peu critique, dénonçant sans ambages la « mauvaise distribution des richesses » pétrolières. Les derniers invités de La Tertulia (la causerie) diffusée chaque semaine n’ont pas mâché leurs mots, fustigeant l’extrême pauvreté dans laquelle vit l’immense majorité du million d’habitants de la Guinée équatoriale. « Le secteur du pétrole a ruiné tous les autres. Au lieu d’en distribuer les recettes pour promouvoir la croissance des autres secteurs comme l’agriculture, […] certains ont préféré mettre l’argent dans leurs poches », s’est notamment insurgé Santiago, un agriculteur. Malabo a aujourd’hui retrouvé le sens de la négociation et fait jouer la concurrence étrangère, notamment chinoise, quitte à irriter la Maison Blanche.

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