[Classement] Ces Africains en pointe contre le coronavirus (1/3)

Ils et elles font partie de notre classement des 100 personnalités africaines incontournables de 2020. Soignants, décideurs politiques, scientifiques… La situation sanitaire a braqué les projecteurs sur ces hommes et ces femmes du continent, dont certains étaient très peu connus il y a un an.

Le Prix Nobel de la paix Denis Mukwege (à g.) et Tedros Adhanom Ghebreyesus, patron de l’OMS.

Le Prix Nobel de la paix Denis Mukwege (à g.) et Tedros Adhanom Ghebreyesus, patron de l’OMS.

Publié le 10 août 2020 Lecture : 9 minutes.

Classement des 100 © Jeune Afrique
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[Classement] Les 100 Africains les plus influents en 2020

Dirigeants de grandes entreprises, sportifs, artistes en vue, scientifiques ou politiques : qui sont les 100 personnalités africaines incontournables en cette année hors norme ? Jeune Afrique vous livre son classement.

Sommaire

La scène se déroule fin avril, lors du point presse hebdomadaire des responsables Afrique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’institution fait l’objet de violentes attaques de la part des autorités tanzaniennes qui, après avoir refusé d’appliquer certaines mesures barrières pour ralentir la propagation du Covid-19, accusent maintenant l’OMS de leur avoir fourni des kits de test contaminés, qui transmettent le virus aux patients…

Logiquement interrogée sur le sujet, Matshidiso Moeti, médecin originaire du Botswana qui dirige depuis 2015 la branche Afrique de l’organisation, peine à cacher son malaise. « Nous avons vu certains pays prendre des mesures qui ne sont pas celles que nous recommandons, lâche-t-elle avec réticence. La Tanzanie a mis du temps à appliquer la distanciation sociale et cela a dû augmenter le nombre de cas. Nous travaillons auprès des gouvernements. Nous les informons et les encourageons à tenir les chiffres à jour… »

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Propulsés sur tous les écrans

Une réponse creuse, diplomatique, qui illustre bien la situation dans laquelle médecins, chercheurs, scientifiques et responsables des organisations internationales se sont trouvés plongés lorsque la pandémie a commencé à prendre de l’ampleur sur le continent. Du jour au lendemain, l’Afrique s’est découvert une foule d’hommes et de femmes de talent, ultra-qualifiés, souvent formés dans les meilleures universités européennes ou américaines. Et en pointe dans la lutte contre le Covid.

Sans atteindre la notoriété d’un Didier Raoult, le Camerounais Christian Happi (spécialiste en génomique) ou l’Ivoirien Michel Yao, les Sud-Africains Zweli Mkhize et Salim Abdool Karim, le Congolais Jérôme Munyangi ou le Camerounais John Nkengasong ont été propulsés sur tous les écrans et à la une de tous les quotidiens, du continent mais aussi parfois au-delà.

Consultés tels des oracles, ils ont répondu mille fois aux mêmes questions sur l’exceptionnelle résilience que l’Afrique, durant de longs mois, a semblé afficher face au Covid.

D’autres, comme Tedros Adhanom Ghebreyesus ou Denis Mukwege, étaient déjà des célébrités. L’actualité sanitaire a renforcé leur notoriété, quoique de façon très contrastée : tandis que le premier, en tant que patron de l’OMS, multipliait les prises de parole solennelles et faisait face aux attaques, le second, auréolé de son récent prix Nobel de la paix, se joignait à l’effort collectif initié en RDC avant, finalement, de claquer bruyamment la porte, estimant que les autorités de son pays n’étaient pas à la hauteur de l’enjeu.

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Influence ou pouvoir ?

Car si la période a fait sortir de l’ombre ces éminents hommes et femmes de sciences, ces soignants courageux, elle a toutefois aussi rappelé les carences dramatiques des systèmes de santé du continent. Elle a aussi permis de comprendre qu’influence et notoriété ne riment pas forcément avec pouvoir, ce qui est particulièrement vrai dans le cas des dirigeants de l’OMS.

Placés en première ligne, sommés de coordonner la riposte contre un virus inconnu à l’échelle planétaire, Tedros Ghebreyesus et ses collaborateurs n’ont pas été épargnés par les critiques. À commencer par celles des États-Unis, qui ont choisi de rompre – au moins provisoirement – avec l’OMS en pleine crise sanitaire.

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L’occasion pour les hauts responsables de l’institution de rappeler à certains de leurs détracteurs que s’ils ont pour rôle de formuler des recommandations et d’élaborer des protocoles de test et de soin, ils ne disposent d’aucun pouvoir de contrainte sur les États membres de l’OMS – qu’il s’agisse de la Chine, de la Tanzanie ou des États-Unis.

Ce qui permet de conclure sur ce constat paradoxal : en Afrique comme sur les autres continents d’ailleurs, l’« influence » est parfois plutôt entre les mains des spécialistes de terrain qu’entre celles des hauts dignitaires internationaux, aussi compétents et médiatisés soient-ils.

Jérôme Munyangi, médecin (RDC)

Jérôme Munyangi, le médecin pro-artemisia congolais (d.), lors de sa rencontre avec le président Félix Tshisekedi, le 12 mai 2020.
DR : présidence RDC

Ce médecin de 35 ans, spécialiste de l’artemisia, s’est réfugié en France en mars 2019, déclarant faire l’objet de pressions en RDC. À Paris, il continue de vanter les bienfaits de la plante médicinale pour soulager les malades du paludisme. Sitôt connus les premiers cas de coronavirus, il fait partie des chercheurs suggérant de tester la plante contre la maladie, adressant courriers et notes détaillées à l’OMS, à l’Union africaine et à l’ensemble des pays du continent.

Ce qui lui vaut finalement d’être rappelé au pays par le président Félix Tshisekedi. De retour à Kinshasa, il intègre la task force présidentielle chargée de lutter contre la pandémie, et sa notoriété devient vite internationale. Il dirige depuis le mois de juin le tout premier essai clinique randomisé dans le but de démontrer que le principe actif de l’artemisia peut être bénéfique face au Covid-19.

Salim Abdool Karim, épidémiologiste (Afrique du Sud)

Salim Abdool Karim
Matthew Henning/CAPRISA

S’il n’a acquis une notoriété mondiale qu’à la faveur de la pandémie de coronavirus, le Dr Salim Abdool Karim, qui vient tout juste de fêter ses 60 ans, est depuis longtemps une sommité en Afrique du Sud et au sein de la communauté scientifique internationale.

Épidémiologiste, il s’est d’abord distingué dans la recherche sur le VIH, au point d’être nommé à la tête du panel d’experts de l’Onusida. Une première consécration qui venait récompenser le travail effectué aux côtés de Quarraisha Abdool Karim, son épouse, mais également de son ancien camarade d’université Zweli Mkhize, aujourd’hui ministre de la Santé.

C’est le Covid-19 qui les réunit au printemps 2020 : lorsqu’il met sur pied un conseil scientifique chargé de guider la riposte du gouvernement, le ministre fait logiquement appel à son prestigieux camarade. Salim Abdool Karim devient, dès lors, l’un des principaux visages de la lutte contre le Covid en Afrique du Sud, et sur le continent.

Sans langue de bois, il est le premier à prédire, alors que beaucoup croient encore que l’Afrique ne sera que peu touchée par le virus, que le pic de la pandémie pourrait ne survenir qu’en septembre. Et répète dans les médias que ses concitoyens doivent s’habituer à l’idée de vivre durablement avec le Covid.

Denis Mukwege, médecin (RDC)

Le docteur Denis Mukwege à Paris, en 2016
Bruno Levy pour JA

Denis Mukwege est un homme intransigeant. Dès le mois de mars, le médecin, Prix Nobel de la paix 2018, s’engage dans la lutte contre le coronavirus au sein d’un comité ad hoc dans sa province du Sud-Kivu (est de la RDC). Il préconise alors la mise en place d’une stratégie : tester, identifier, isoler, traiter. Trois mois plus tard, dénonçant le manque de moyens et le « déni des réalités » de l’épidémie dans son pays, il claque la porte du comité, condamnant les « faiblesses organisationnelles de la riposte ».

Denis Mukwege n’en est pas à sa première colère froide. Le gynécologue de 65 ans en a même fait sa marque de fabrique. La médecine est sa mission, pas la diplomatie.

Dénonçant sans relâche l’impunité du viol comme arme de guerre, ne mâchant pas ses mots face aux États, selon lui « complices », Denis Mukwege est à la fois respecté et craint. Placé sous protection depuis qu’il a fait l’objet d’une tentative d’assassinat, en 2012, le pasteur pentecôtiste se taille peu à peu une stature de vieux sage, la voix posée mais le verbe haut.

Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique (Botswana-Afrique du Sud)

Matshidiso Moeti, directrice Afrique de l'OMS, à Genève, le 1er février 2019.
Salvatore Di Nolfi/AP/SIPA

Le Dr Matshidiso Moeti est la première femme à être directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique, dont le siège est à Brazzaville. Nommée en février 2015, elle a été reconduite dans ses fonctions au début de 2020. À ce poste, la Botswanaise a dû faire face aux épidémies d’Ebola et de choléra avant d’affronter le Covid-19.

Travaillant pour le département Afrique de l’OMS depuis près de vingt-deux ans, Matshidiso Moeti est à l’origine de l’initiative des chefs d’État africains, lancée en février 2019, qui vise à accroître les investissements dans le domaine de la santé en vue d’instaurer la couverture santé universelle à l’échelle du continent.

John Nkengasong, directeur des Centres africains de prévention et de lutte contre les maladies (Cameroun)

John Nkengasong, directeur des Centres africains de prévention et de lutte contre les maladies au siège de l'Union africaine, à Addis-Abeba, en mars 2020.
REUTERS/Tiksa Negeri

John Nkengasong est le premier membre de sa famille à avoir poursuivi des études supérieures. Aujourd’hui sexagénaire, il pilote à l’échelle continentale la réponse sanitaire à la pandémie de Covid-19.

Depuis Addis-Abeba, où il dirige les Centres africains de prévention et de lutte contre les maladies (Africa CDC), un organe de l’Union africaine (UA) créé il y a seulement trois ans, il conseille gouvernements et populations. Il y coordonne aussi l’acheminement des tests de dépistage et des équipements de protection individuelle.

Virologue de formation, ce spécialiste du VIH a passé vingt ans au sein des CDC américains, en poste à Abidjan puis à Atlanta, où il a acquis une connaissance fine des questions de santé publique. Calme et pédagogue, il s’insurge néanmoins contre le manque de moyens alloués à la prévention des maladies.

Il lutte actuellement pour généraliser le port du masque et ne ménage pas ses efforts pour que l’Afrique prenne part à la création d’un vaccin efficace contre le coronavirus.

Zweli Mkhize, ministre de la Santé (Afrique du Sud)

Le ministre sud-africain de la Santé, Zweli Mkhize, à Johannesburg, le 1er mars 2020.
AP Photo/Denis Farrell

Il est l’une des figures majeures du monde médical en Afrique du Sud. En tant que ministre de la Santé, le Dr Zweli Mkhize est, à 64 ans, en première ligne pour combattre l’épidémie de Covid-19. Natif de la région de Pietermaritzburg, il a suivi sa formation à l’Université du KwaZulu-Natal, l’un des rares endroits où, dans les années 1970, les Noirs pouvaient étudier la médecine.

En marge de son parcours dans le domaine de la santé, Zweli Mkhize s’est engagé très tôt en politique pour lutter contre le régime de l’apartheid. En 1976, il participe au Mouvement de la conscience noire, de Steve Biko, avant de rejoindre trois ans plus tard le mouvement syndical au sein duquel Cyril Ramaphosa prend peu à peu son envol.

Dans les années 1990, Zweli Mkhize intègre l’ANC. En février 2018, il est nommé ministre de la Gouvernance coopérative et des Affaires traditionnelles. Quinze mois plus tard, il devient ministre de la Santé.

Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS (Éthiopie)

Le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, à Genève, le 10 février 2020.
Salvatore Di Nolfi/AP/SIPA

Étonnant destin : le premier Africain à occuper le poste de directeur général de l’OMS affronte la première crise sanitaire mondialisée de l’Histoire.

Étonnant paradoxe également quand on sait que celui que l’on surnomme le Docteur Tedros n’est pas médecin. C’est la biologie qu’il a étudiée au Royaume-Uni pour décrocher un doctorat en santé communautaire et un master en immunologie des maladies infectieuses.

En 2017, cet ancien ministre éthiopien de la Santé et des Affaires étrangères s’est fait élire à la tête de l’une des agences les plus importantes des Nations unies sur un programme clair : « Les gens ne doivent pas mourir parce qu’ils sont pauvres. » Auparavant, son action à la tête du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme avait été saluée, tant son implication s’apparentait à une croisade.

La personnalité et l’itinéraire de Tedros Adhanom Ghebreyesus, 55 ans, ne peuvent être compris qu’à la lumière d’une enfance meurtrie par la disparition dramatique de son frère. Il n’a que 7 ans quand son cadet meurt d’une maladie virale, faute d’avoir reçu les traitements nécessaires. Il évoquera ce drame lors de la présentation de sa candidature à l’OMS, promettant de « travailler sans relâche pour garantir une couverture sanitaire universelle et veiller à ce qu’il y ait des ripostes solides dans les situations d’urgence ».

Personne n’aurait prédit que, trois ans plus tard, le monde entier serait confronté à une telle situation et que ce père de cinq enfants se retrouverait sur le front. À la fois loué pour sa réactivité et fustigé pour sa lenteur ou sa complaisance supposée à l’égard des autorités chinoises, sous le feu des critiques acerbes de certains, mais admiré par d’autres pour ses prises de parole, le directeur de l’OMS ne pouvait qu’occuper la première place de notre classement des 100 personnalités africaines les plus influentes en 2020.

Face à un virus méconnu, sans réel pouvoir de contrainte sur les pays membres de l’organisation qu’il dirige, l’Éthiopien est et restera le visage et la voix d’une humanité confrontée à une menace aussi dramatique qu’inédite.

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