Bremer vend la mèche

Publié le 16 janvier 2006 Lecture : 3 minutes.

L’ancien administrateur civil pour la reconstruction de l’Irak refuse d’endosser seul la responsabilité de la gestion calamiteuse de l’après-guerre en Irak. Dans un livre coécrit avec Malcolm McConnell et paru la semaine dernière aux éditions Simon & Schuster, My Year in Iraq : The Struggle to Build a Future of Hope (Mon année en Irak : Combat pour un avenir d’espoir), l’ancien diplomate révèle, à travers le récit de sa mésaventure irakienne, l’inconscience et la légèreté avec lesquelles les responsables américains ont géré l’Irak de l’après-Saddam. Bremer affirme, par exemple, que ses collègues de l’administration Bush n’ont pas vu venir l’insurrection déclenchée durant l’été 2003, attribuant les premiers actes de résistance à un petit groupe d’anciens partisans du président déchu. Ils avaient pourtant pris connaissance d’un rapport des services de renseignements irakiens, préparé quelques mois avant l’invasion américaine, analysant les moyens d’organiser la résistance et de créer des cellules clandestines.
Aveuglement ? Auto-intoxication ? Quoi qu’il en soit, Washington a toujours refusé d’augmenter ses troupes déployées dans le pays, alors que son « proconsul » en avait fait plus d’une fois la demande auprès du secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, et même du président George W. Bush, notamment en juin 2003, au cours d’une réunion du Conseil national de sécurité à laquelle Bremer s’était joint par vidéoconférence. Le chef de la Maison Blanche, qui craignait l’effet désastreux sur l’opinion américaine et internationale d’une augmentation des troupes américaines en Irak, avait alors répondu qu’il tenterait d’obtenir des renforts d’autres membres de la coalition. Mais sans donner suite.
Bremer affirme également qu’il avait fait parvenir à Rumsfeld, son patron direct, en mai 2003, une étude de la Rand Corporation estimant à 500 000 hommes les effectifs nécessaires pour stabiliser l’Irak, mais il n’a reçu aucune réponse. Pis : en novembre de la même année, l’administrateur civil avait fait part au vice-président Dick Cheney de ses inquiétudes devant la volonté du Pentagone de réduire ses effectifs dès le printemps 2004. Là aussi, sans susciter de réaction.
Reste la décision de dissoudre l’armée de Saddam, que les analystes considèrent comme la principale cause de la recrudescence de la résistance. S’il la défend – parce qu’elle s’imposait, car nombre d’unités s’étaient déjà dissoutes d’elles-mêmes et toute tentative pour les reconstituer aurait pu consolider la mainmise des Arabes sunnites sur les troupes irakiennes -, Bremer refuse de l’assumer seul. Selon lui, la décision avait été prise par Paul Wolfowitz, actuel patron de la Banque mondiale, numéro deux du Pentagone à l’époque, avant de recevoir l’aval de Rumsfeld et de Bush. Il n’en fut donc que l’exécutant zélé.
Dans son livre témoignage, Bremer ne s’est pas contenté de rappeler à ses anciens patrons leur part de responsabilité dans la désastreuse aventure irakienne, mais a aussi critiqué les alliés des États-Unis, notamment les Britanniques, qui ont beaucoup hésité à arrêter le jeune leader chiite Moqtada Sadr, de crainte de provoquer une révolte des chiites dans les zones sous leur contrôle. Les Espagnols en ont pris aussi pour leur grade : « Alors que leurs homologues américains étaient soumis au feu nourri des milices de l’Armée du Mahdi à Nadjaf, les soldats espagnols restaient confinés dans leurs campements, avec leurs blindés, et ne faisaient rien. » Quant aux membres de l’opposition irakienne, « ils ne pouvaient même pas organiser un cortège, comment pouraient-ils diriger un pays ? » C’est donc à une bande d’« incapables », rassemblés dans un « gouvernement intérimaire », que Bremer a transmis ses pouvoirs, le 28 juin 2004. À défaut d’être une révélation, c’est là un rappel utile.

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