Rubén González

Pianiste cubain, décédé le 8 décembre à 84 ans à La Havane

Publié le 15 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Cette année 2003 aura été fatale à la musique cubaine. Après Compay Segundo et Celia Cruz, disparus à trois jours d’intervalle en juillet dernier, c’est au tour de Rubén González, le pianiste aux doigts magiques de Buena Vista Social Club, de tirer sa révérence. L’élégant papy au profil en lame de rasoir, et au sourire d’enfant dès qu’il s’asseyait devant un piano, s’est éteint ce lundi 8 décembre à La Havane, à l’âge de 84 ans. Il a succombé à une maladie osseuse qui le tenait alité depuis près d’un an. Journaux et agences de presse du monde entier ont relaté l’événement. Sept ans plus tôt, sa mort aurait été saluée sans doute par ses seuls proches. Mais voilà, même si l’homme disait ne pas croire aux miracles, sa vie a été placée sous le signe d’heureuses coïncidences. Celle qui mit sur sa route le guitariste américain Ry Cooder, qui lui ouvrit, à 77 ans, les portes du succès international, ne fut pas la moins favorable.
Issu d’une famille modeste – son père était cordonnier -, Rubén González naît le 26 mai 1919 dans la localité d’Encrucijada, non loin de Santa Clara, la « ville » du Che. Mais c’est à Cienfuegos, au conservatoire privé d’Amparo Rizo, que, huit années durant, le jeune Rubén va se frotter au dur apprentissage du piano. Certains disent qu’il a attrapé le virus dès l’âge de 7 ans, d’autres à 15 ans. N’empêche. Après le lycée, on le voit hésiter sur la carrière à suivre, puisqu’il s’inscrit à la fac de médecine. Avec l’ambition toutefois d’être un Dr Jekyll et Mr Hyde tropical, qui jouerait du bistouri le jour et du piano la nuit. Mais la musique est une maîtresse jalouse. González renoncera donc à la médecine pour se consacrer à sa passion. Il monte à La Havane, commence par jouer dans l’orchestre d’un cabaret de plage.

On est en 1939 ou 1940, González lui-même ne s’en souvient pas bien. Le hasard a voulu qu’il habite à côté de chez le grand Arsenio Rodríguez, « l’aveugle merveilleux ». Et que celui-ci, connu pour avoir révolutionné le « son » cubain, cherche un pianiste. Le sens de l’improvisation du jeune voisin, qui fait ses gammes quotidiennes à la maison, ne tombera pas dans l’oreille d’un sourd. Pour González, c’est le début d’une belle aventure. Très vite, il est réclamé par les meilleurs orchestres. Côtoie des noms comme Enrique Jorrin, l’inventeur du cha-cha-cha, Benny Moré, Rita Montaner… Il passe avec un talent égal du guaracha au danzón, du mambo au boléro, renouvelle chaque soir, dans les bars des grands hôtels, les rythmes populaires de son île sonnante tout en continuant à écouter Chopin dans l’intimité. Mais ces années 1940 et 1950, qui coïncident avec l’âge d’or de la création musicale cubaine, sont aussi celles de la dictature de Batista et de la mainmise de la mafia américaine sur le pays. En 1959, l’avènement de la révolution voit certains des musiciens de cette période dorée arriver en fin de carrière ou de vie, d’autres partir pour l’exil. González, lui, qui n’a que 40 ans, reste et poursuit une carrière moins remarquée. Jusqu’à ce que le destin le rattrape.

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Il a 77 ans et coule une retraite nonchalante à La Havane. Son vieux piano, dévoré par l’humidité l’ayant lâché, il passe parfois tapoter sur le clavier au studio d’enregistrement de la rue San Miguel. Un soir de 1996, il y rencontre un gringo, Nick Gold, qui tombe amoureux de son doigté. Et là, tout s’emballe. Le voilà dans le groupe des Afro-Cuban All Stars, qui préparent un album pour World Circuit, A Todo Cuba Le Gusta. L’aventure de Buena Vista Social Club et des quatre millions d’exemplaires vendus dans le monde, sous la houlette de Ry Cooder, arrive dans la foulée. Puis le film de Wenders, les tournées internationales, l’ovation debout du public du Carnegie Hall. La suite, on la connaît. González, lui, salué pourtant comme l’un des trois plus grands pianistes cubains, à l’égal de Luis « Lily » Martínez et de Pedro « Peruchín » Jústiz, aura attendu ses 78 ans pour signer le premier disque solo, Introducing… Rubén González. Il en sort un autre, Chanchullo, en 2000. Le dernier. Avant que le destin ne vienne, une dernière fois, frapper à sa porte…

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