Profession : médecin-gestionnaire

À l’initiative d’Aventis Pasteur, une formation de troisième cycle dispensée à des praticiens de district leur permet d’optimiser leur travail.

Publié le 15 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Il faisait très chaud à Ouidah, au Bénin, ce 29 novembre. Même la brise marine venant de l’Atlantique ne parvenait pas à adoucir l’atmosphère. Dans l’amphithéâtre de l’Institut régional de santé publique (IRSP), où la climatisation ne fonctionnait pas et où certains officiels se faisaient attendre depuis bientôt deux heures, l’air était encore plus oppressant. Pourtant, les quarante-cinq élèves de la première promotion du diplôme universitaire de troisième cycle (DU) Epivac, tous médecins-chefs de district, ne montraient aucun signe d’exaspération. Pour eux, la remise imminente du certificat prévalait. Un diplôme qui venait conclure une année d’études, pas toujours faciles. « Seul le rythme trop soutenu était à déplorer », explique Flore Ogoubiyi, une des lauréates, visiblement ravie d’endosser, à l’approche de la cinquantaine, une nouvelle casquette, celle de gestionnaire.
Car là réside toute l’originalité de la formation conjointe à l’université de Cocody (Abidjan) et à celle de Paris-Dauphine : les « stagiaires », choisis par les autorités nationales de la santé, reçoivent une double formation. En vaccinologie et en gestion. S’adressant à des médecins diplômés, ce cursus a été créé pour répondre à un constat simple : un système de vaccination pérenne étant indispensable au développement, les équipes nationales doivent être en mesure de gérer à la fois l’aspect matériel, médical et humain de ces programmes. Et c’est là que, souvent, le bât blesse. À peine sortis des écoles de médecine, les jeunes diplômés se retrouvent bombardés « médecins-chefs de district ». Le praticien, seul pour un district de plusieurs dizaines de milliers de personnes, doit faire face à des épidémies, des urgences chirurgicales, mais aussi au tout-venant, comme les accouchements et les vaccinations. De quoi y perdre son latin de jeune médecin. D’autant que bien souvent les budgets sont décentralisés, et qu’en conséquence il doit également gérer les démarches administratives, le budget, les ressources humaines ou encore le stock. Résultat, il ne parvient pas à assumer tous ces postes, et encore moins ceux pour lesquels il n’a reçu aucune formation.
Or pour répondre aux exigences des bailleurs de fonds, mais aussi à celles de l’Alliance internationale pour les vaccins et la vaccination (GAVI), qui finance les programmes d’immunisation, les pays en développement doivent améliorer la formation de leur personnel. Une lacune que ne cache pas Jacques Tossou, le directeur du programme élargi de vaccination (PEV) béninois, qui estime que « Epivac va fournir du personnel compétent ». De quoi relancer une institution un peu chaotique, comme il le résume : « Au début des années 1980, explique-t-il, nous avions pour ambition d’obtenir une couverture vaccinale de 85 % en cinq ans. Mais au terme de ce quinquennat, seuls 11,5 % des enfants étaient immunisés. » Il faudra attendre vingt-trois ans pour qu’un taux de couverture vaccinal de 84 % soit atteint. Pour Jacques Tossou, c’est la « supervision qui a flanché ». Et encore, le Bénin est un très bon « élève ». Dans la sous-région, les résultats ne sont pas aussi performants. Le besoin en formation était crucial. Pour y répondre, et à l’initiative du laboratoire pharmaceutique Aventis Pasteur qui a financé le programme pour cinq ans à hauteur de 2,7 millions d’euros, Epivac a donc été créé et mis en oeuvre par l’Association pour l’aide à la médecine préventive (AMP). Dénomination officielle de ce diplôme de troisième cycle : « organisation et management des systèmes publics de prévention vaccinale dans les pays en développement ». Pratiquement, l’année d’études se scinde en deux blocs. Un premier de quatre semaines à l’IRSP de Ouidah, puis un second de onze mois, au cours duquel les stagiaires doivent assurer leur travail quotidien de médecin dans leurs pays respectifs tout en assimilant les cours d’Epivac, dispensés, cette fois, via un CD-Rom. Régulièrement, les étudiants reçoivent la visite de superviseurs qui viennent évaluer les progrès accomplis. En gestion, il est demandé aux stagiaires d’assimiler des bases. Ce que Flore Ogoubiyi a fait avec un plaisir évident, expliquant que « nos connaissances ne sont jamais parfaites et que nous traversons tous des périodes de petits laisser-aller. Le cours permet de relancer la machine ». La gestion du personnel a visiblement déjà eu des répercussions sur son travail puisqu’elle estime désormais mieux communiquer avec son équipe, qui a en outre été priée de participer aux leçons électroniques.
Du côté des cours de vaccinologie, l’ambition est de « débanaliser l’acte vaccinal, explique Philippe Stoeckel, le président de l’AMP. Car si l’immunisation est une pratique courante, les médecins doivent en connaître les fondements scientifiques afin de prendre conscience du bien-fondé de l’acte. » Ainsi les équipes médicales seront en mesure de mieux communiquer avec les patients et de leur faire comprendre l’importance du geste. Pour valider l’année, il faut réaliser un mémoire, dont le sujet doit permettre de régler un problème de couverture vaccinale dans le district. Les thèmes abordés par les élèves, du respect de la chaîne du froid aux questions de stock en passant par les aspects culturels expliquant la désaffection des mères aux séances de vaccination, « sont, en matière d’informations, une mine d’or », a souligné Alfred Da Silva, directeur exécutif de l’AMP. Et, de l’avis de tous les jurés, les élèves ont vraiment bien travaillé. Résultat, sur une promotion de quarante-cinq élèves issus de quatre pays (Côte d’Ivoire, Bénin, Mali, Burkina), seuls six ont été ajournés. Ils soutiendront leur mémoire en novembre prochain, avec les stagiaires de la seconde promotion, regroupant cette fois cinquante élèves. Un peu plus nombreux puisque deux pays ont été ajoutés à la liste : le Togo et le Sénégal. À terme, tous les pays subsahariens francophones devraient bénéficier de cet enseignement. Et c’est justement dans la pérennité d’Epivac que réside le réel enjeu. Le financement initial prend en charge l’intégralité des dépenses de mise en oeuvre, ainsi que la formation des deux premières promotions. Ensuite, l’objectif est de déléguer, petit à petit, la gestion d’Epivac aux pays participants. Idéalement, ce DU devrait être intégré aux cursus universitaires des facultés nationales, et non plus proposé comme une formation annexe.
Il subsiste toutefois une inquiétude légitime : mieux formés, ces médecins pourraient intéresser des institutions régionales ou internationales ou encore des entreprises privées, et se retrouver en poste, par exemple, à Genève. Adrien Hounsa, le chef du service de logistique de la direction béninoise des vaccinations, ne le cache pas : la fuite des cerveaux est un réel problème. Bien formés mais peu et irrégulièrement payés, ces médecins pourraient répondre aux sirènes d’un salaire meilleur et d’un poste administratif. Epivac a contourné cet écueil en signant un « contrat moral » avec ses stagiaires : une fois diplômés, ils doivent rester en poste pendant au minimum deux ans, histoire de transmettre ces nouveaux outils et méthodes de travail à leur équipe. Un aspect très important pour toute l’équipe à l’origine du programme. De l’élaboration d’un réseau entre les diplômés d’une part, et des diplômés envers leurs équipes d’autre part dépendra en partie la pérennisation de ce programme original fondé sur une triple coopération : interétatique, interuniversitaire et interstatutaire.

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