Produire sans pouvoir transformer

Photographie d’un secteur embryonnaire, où les entreprises sont d’abord des PME.

Publié le 15 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

L’Afrique est en retard d’une révolution industrielle, voire de deux. Le constat des spécialistes de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), réunis à Vienne du 1er au 5 décembre pour leur sommet mondial, est accablant. Pour espérer un jour voir prendre racine un développement durable, il faut que la transformation des matières premières en produits industriels à plus forte valeur ajoutée représente au moins 16 % du Produit intérieur brut (PIB). Or, en Afrique subsaharienne, les candidats sérieux au décollage se comptent sur les doigts d’une main. Seuls le Burkina Faso, le Tchad, Maurice, le Rwanda, la Zambie et le Zimbabwe peuvent raisonnablement rêver de meilleurs lendemains pour leur secteur secondaire.
À quoi ressemble cette « industrie » africaine ? Sur le continent, il est très rare de trouver des entreprises comptant plus de cinquante salariés. Le tissu industriel africain est en grande partie composé d’une kyrielle de petites unités travaillant bien souvent dans l’informel (transformation du bois, emballage alimentaire, maroquinerie…). En face de ces structures familiales, quelques mastodontes constituent l’essentiel des profits de l’industrie. L’agroalimentaire (alimentation, boisson, tabac) emporte la palme en termes d’emplois, mais c’est le pétrole qui rapporte le plus de bénéfices aux géants africains comme la Nigerian National Petroleum Corporation ou la Société ivoirienne de raffinage. Les sociétés d’extraction d’or ou de diamant fleurissent en Afrique du Sud (AngloGold), au Botswana (Debswana Diamond Co.) ou au Mali (Société des mines de Morila). De son côté, le coton fait vivre des poids lourds industriels comme la Sofitex au Burkina ou la Dagris (ex-CMDT) au Mali.
Reste que la somme des chiffres d’affaires (CA) des cent premières sociétés africaines équivaut au CA de la deuxième entreprise du monde, General Motors ! Pour se convaincre que les sociétés industrielles africaines ne jouent pas dans la cour des grandes, il suffit de comparer le chiffre d’affaires de la première entreprise industrielle africaine, l’algérienne Sonatrach qui réalise 18 milliards de dollars de CA, à son équivalent mondial, le groupe Shell, qui affiche un insolent CA de 180 milliards de dollars. « Les entreprises locales restent trop souvent de simples entreprises d’extraction de minerais, déplore Yves Ekoué Amaïzo, économiste à l’ONUDI. Les vraies industries de transformation du continent appartiennent aux étrangers. » L’Afrique est certes riche (elle détient presque le dixième des réserves mondiales de pétrole, un tiers de celles d’uranium et plus du tiers du capital hydroélectrique), mais ce sont les firmes multinationales qui exploitent l’essentiel de ce patrimoine.
Comment faire pour que la part de l’Afrique dans le commerce mondial dépasse la barre des 2,3 % et sa part dans la production industrielle planétaire celle des 1 % ? Alors que les produits manufacturés représentent 78 % des exportations mondiales, leur part ne dépasse pas 33 % des exportations africaines. « Développer l’industrie africaine ne suffit pas, estime Yves Ekoué Amaïzo. Il faut avoir ce que j’appelle une capabilité industrielle, c’est-à-dire l’addition du savoir-faire et de l’esprit d’entreprise. » Une « capabilité » pas toujours facile à atteindre, quand on sait par exemple qu’il faut plus de deux cents jours en moyenne pour monter une entreprise sur le continent.
« Pour créer une industrie, il faut aussi des consommateurs potentiels de produits manufacturés, explique François d’Adesky, président adjoint du bureau Afrique de l’ONUDI. Un marché est considéré comme solvable quand plus de 6 millions de personnes disposent en moyenne de 6 000 dollars de revenu par an. Et dans la mesure où le revenu annuel moyen par habitant est de 600 dollars en Afrique, la seule échelle viable est régionale. » L’idée, lancée officiellement par le bureau Afrique de l’ONUDI le 28 novembre, consiste ici à unir, autour de quelques grands secteurs d’activité, les efforts de pays voisins disposant d’un fort potentiel de la même ressource naturelle, comme le coton en Afrique de l’Ouest. Avantage de cette formule : renforcer la coopération Sud-Sud, faire travailler la sous-traitance locale, mettre en réseau les chefs d’entreprise, éviter une déperdition des investissements, être plus crédible vis-à-vis des bailleurs.
Pour preuve, depuis l’expertise réalisée en Afrique de l’Ouest par l’ONUDI, des crédits bancaires locaux sont attribués à taux préférentiel aux entrepreneurs désirant transformer le coton sur place et l’École supérieure des industries du textile à Ségou va rouvrir ses portes. Et le président de l’ONUDI Carlos Magarinos de s’étonner : « Comment peut-on exiger des pays africains que leurs institutions soient parfaites avant d’envisager tout développement technologique, alors que nos démocraties du Nord ont profité du progrès pour établir leurs bases politiques ? »

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