Mourir pour Bakassi ? Non, merci !

En dépit de l’enjeu que représente le pétrole du golfe de Guinée, le règlement pacifique des différends frontaliers paraît en bonne voie.

Publié le 15 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

La guerre de Bakassi n’aura pas lieu. Les 2 et 3 décembre, à Yaoundé, la réunion de la commission mixte Cameroun-Nigeria concernant le différend territorial entre les deux pays s’est déroulée dans une atmosphère très détendue. Résultat : amorcée le 8 décembre, la première phase de la rétrocession au Cameroun des territoires contestés devrait s’achever avant le 21 de ce mois, conformément à l’arrêt rendu par la Cour internationale de justice (CIJ) le 10 octobre 2002. Même si le noeud du problème – à savoir la zone maritime autour de la presqu’île de Bakassi – n’a pas encore été vraiment abordé, les deux parties ont ainsi marqué leur volonté d’aboutir à un règlement pacifique. On revient de loin : il y a un an, les Camerounais ne cachaient pas leur crainte de voir dégénérer le contentieux avec leur puissant voisin.
Pour l’heure, les négociateurs sont tombés d’accord sur les modalités du retrait des Nigérians d’une trentaine de villages camerounais proches du lac Tchad, dans l’extrême Nord. Le principe en avait été décidé lors de la dernière réunion de la commission mixte, fin octobre à Abuja. Cette zone d’environ 800 km2 située en territoire camerounais était autrefois recouverte par les eaux. Leur niveau baissant régulièrement, le rivage du lac a reculé d’une cinquantaine de kilomètres depuis la fin des années 1960. Les terres ainsi découvertes ayant été occasionnellement occupées par des pêcheurs nigérians, les autorités d’Abuja avaient cru pouvoir en revendiquer la possession.
Dans son arrêt, la CIJ se prononce également pour une rectification de la frontière entre les deux pays, longue de 1 700 km, conformément aux accords conclus entre les ex-puissances coloniales (Allemagne, France et Royaume-Uni) au début du XXe siècle. Certaines zones camerounaises vont donc devenir nigérianes – et inversement. Au total, le Nigeria gagnera dans l’opération environ 290 km2. Le Cameroun y a d’autant plus volontiers consenti qu’il a obtenu gain de cause sur ce qui est, à ses yeux, l’essentiel : les 1 000 km2 de la presqu’île de Bakassi. Cette bande de terre marécageuse regorge en effet de pétrole. Et ses eaux territoriales sont très poissonneuses. Seul problème, le 23 octobre 2002, le président Olusegun Obasanjo a rejeté l’arbitrage de la CIJ sur ce point, sous le prétexte qu’il risquait de léser les populations concernées (environ vingt mille personnes). Alors en pleine campagne pour sa réélection à la tête de l’État fédéral, il ne pouvait risquer de prendre à rebrousse-poil l’opinion nigériane… Il en a résulté une grave crise diplomatique avec le voisin camerounais.
Depuis, Obasanjo a été réélu et les relations se sont améliorées. Très économe de ses apparitions sur la scène diplomatique régionale, Paul Biya a néanmoins tenu à faire le voyage d’Abuja pour assister à l’investiture de son homologue nigérian, au mois de mai. Il y est retourné le 4 décembre, à l’occasion du sommet du Commonwealth.
Pour tenter d’accélérer le processus, le Mauritanien Ahmedou Ould Abdallah, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Afrique de l’Ouest, a été nommé à la présidence de la commission mixte. Jusqu’ici, Kofi Annan peut se féliciter de la tournure des événements : le transfert de souveraineté entre Camerounais et Nigérians n’a pas posé de difficulté particulière dans la région du lac Tchad. Mais la suite s’annonce plus délicate.
La commission mixte a besoin d’argent pour, dans un premier temps, déployer une mission d’observation, pendant un an, dans la zone du lac Tchad. La prochaine étape du règlement concernera la matérialisation de la nouvelle frontière au moyen de quelque trois mille bornes distantes d’environ 500 mètres les unes des autres. Coût estimé de l’opération : entre 12 millions et 15 millions de dollars. Un appel d’offres sera prochainement lancé. Les membres de la commission ont prévu de rendre visite aux bailleurs de fonds potentiels, en février et mars prochains.
Reste le cas de Bakassi. Les membres de la commission devraient se rendre dans la péninsule dans le courant du mois prochain. Puis évoquer à nouveau le problème lors de leur réunion des 10-11 février, à Abuja. En attendant, le chef de la délégation camerounaise, le ministre de la Justice Amadou Ali, se montre raisonnablement optimiste : « Nous avons pu constater qu’en l’espace d’une année le langage de la partie nigériane a considérablement évolué. Nos interlocuteurs eux-mêmes le reconnaissent. Bien des préjugés ont été levés entre nos deux délégations [celle du Nigeria est conduite par l’ancien ministre de la Justice Prince Bola Ajibola, aujourd’hui procureur général]. Pour notre part, nous répétons que l’arrêt de la CIJ n’est pas négociable. Une médiation a été suggérée par Kofi Annan, bien que les arrêts de la CIJ soient exécutoires sans aucune possibilité de recours. Si l’un des protagonistes refuse de s’y soumettre, la partie lésée n’aura d’autre solution que de saisir le Conseil de sécurité de l’ONU. »
Fort heureusement, on n’en est pas encore là, même si le tracé de la frontière maritime entre les deux pays s’annonce délicat, les ressources pétrolières de Bakassi suscitant bien des convoitises… Des représentants de la Nigeria National Petroleum Corporation (NNPC) ont d’ores et déjà pris contact avec le ministère camerounais des Mines et de l’Énergie. Ils souhaitent notamment évoquer l’éven-tualité d’une exploitation conjointe des richesses d’une partie de la zone contestée. Réponse des responsables camerounais : « Nous ne sommes pas fermés à la négociation, mais la frontière maritime entre nos deux pays a été clairement fixée par la CIJ. Les accords d’exploitation conjointe négociés par Abuja avec la Guinée équatoriale et São Tomé ne l’ont pas été à l’avantage de ces deux pays. Il n’est pas question que le Cameroun soit privé des ressources qui lui appartiennent. »
Le 8 décembre, lors de la cérémonie organisée à l’occaion de la rétrocession au Came-roun du village de Naga, dans l’extrême nord, Jacob Haile Mariam, chef de la délégation de l’ONU et conseiller juridique de la commission mixte, s’est félicité de cette « belle leçon » donnée au monde par le Cameroun et le Nigeria. Puisse le règlement de la question de Bakassi être aussi exemplaire !

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