« Moi, Mansour el-Nogaidan, wahhabite repenti »

Pour cet éditorialiste du quotidien « Al Riyad », l’Arabie saoudite est gangrenée par l’extrémisme islamique. Il le connaît bien… puisqu’il en était.

Publié le 15 décembre 2003 Lecture : 4 minutes.

« Le 20 novembre, j’étais censé me présenter au commissariat de Sahafa, à Riyad, pour recevoir soixante-quinze coups de fouet. J’avais été condamné à cette peine par un tribunal religieux à cause d’articles où j’avais défendu la liberté d’expression et critiqué le wahhabisme, la doctrine politico-religieuse officielle de l’Arabie saoudite. À la dernière minute, j’ai décidé de ne pas y aller. Le pays étant à ce moment paralysé par les fêtes de l’Aïd el-Fitr, je suis en sursis. Je m’en remets au destin.
Avant même les attentats contre les résidences étrangères de Riyad, en mai, beaucoup d’intellectuels du royaume, y compris moi-même, avions été bombardés de lettres, de courriels et de coups de téléphone débordant de haine. Nous recevons encore des menaces de mort des sympathisants d’el-Qaïda.
J’ai informé les autorités de ces menaces et leur ai fourni les noms et les numéros de téléphone de quelques-unes des personnes concernées, contre lesquelles j’ai également porté plainte. Jusqu’ici, aucune poursuite n’a été engagée. Les dernières mesures officielles prises contre les individus soupçonnés de terrorisme sont un coup d’épée dans l’eau.
Le véritable problème est que l’Arabie saoudite est gangrenée par un extrémisme islamique profondément enraciné dans la plupart des écoles et des mosquées, qui sont devenues des pépinières de terroristes. Il nous sera impossible de résoudre le problème du terrorisme tant que cet extrémisme sévira de manière endémique dans nos institutions religieuses et nos établissements d’enseignement.
Et pourtant, le ministère de l’Éducation et le ministère des Affaires islamiques ont créé une commission chargée de traquer les enseignants suspects de progressisme. Cette commission, qui a le droit d’exclure et de punir tous les enseignants qui n’observent pas un wahhabisme pur et dur, a tout récemment encore interrogé un professeur, l’a déclaré « coupable » de s’intéresser à la philosophie et l’a placé sous surveillance.
Durant le mois du ramadan, les imams ont fulminé leur haine contre les progressistes, les défenseurs du droit des femmes et de la laïcité, les chrétiens et les juifs. Je n’ai pas entendu de prêcheurs dénonçant les responsables des attentats de Riyad. La raison en est que ces chefs religieux penchent plutôt du côté des poseurs de bombes. Je me demande comment nos dirigeants et nos maîtres à penser peuvent continuer à répéter que notre société n’a que la plus haute considération pour les autres pays quand des prédicateurs payés sur les deniers publics continuent d’appeler à l’élimination de tous les non-musulmans.
Comme le montrent les derniers attentats, nous avons plus que jamais besoin du soutien des autres pays pour nous aider à combattre notre culture religieuse extrémiste, qui ne tolère même pas ses propres minorités, telles que les chiites et les soufis. Mais nous devons savoir que cet extrémisme religieux sera très difficile à extirper. Je le sais parce que j’en sors.
Pendant onze ans, à partir de l’âge de 16 ans, j’ai été un extrémiste wahhabite. J’ai mis le feu à des magasins de vidéo qui vendaient des films occidentaux. J’ai même incendié le siège d’une association pour la protection de la veuve et de l’orphelin parce que nous étions convaincus qu’elle favorisait la libération des femmes. Puis, au cours de mon second séjour de deux ans en prison, ma soeur m’a apporté des livres et, dans la solitude de ma cellule, j’ai découvert des penseurs musulmans qui acceptaient la modernité. C’est avec un déchirement affreux que j’ai pris conscience que, l’islam, ce n’était pas seulement le wahhabisme, et que d’autres formes d’islam prêchaient l’amour et la tolérance. Pour me soulager, je me suis mis à écrire des textes dénonçant le wahhabisme. J’ai ainsi retrouvé la paix de l’âme en expiant mon ignorance et ma violence passée.
Et c’est ce qui est nécessaire à l’Arabie saoudite : une refondation. Nous devons assumer cette épreuve et apprendre à accepter le changement. Nous devons trouver la force nécessaire pour supporter les conséquences des crimes que nous avons commis depuis vingt ans. C’est seulement quand nous nous verrons comme le reste du monde nous voit – un pays qui est une pépinière de terroristes – et quand nous chercherons à savoir pourquoi il en est ainsi et ce que cela signifie que nous pourrons commencer à corriger cette image et à en éliminer les causes.
Quelles chances y a-t-il que se produise un tel changement ? Certains princes de la jeune génération, tel Abdelaziz, le fils du roi Fahd, ont essayé de nouer entre les ailes religieuse et moderniste de la société une alliance qui pourrait jouer un rôle pivot pour l’avenir du pays. Mais y a-t-il parmi ces jeunes gens quelqu’un qui puisse devenir un grand leader de la taille du fondateur de l’Arabie saoudite, le roi Abdelaziz Ibn Saoud, ou de son fils, le roi Fayçal ?
Les dirigeants de notre pays doivent être conscients que pour échapper au désastre nous aurons à payer le prix très élevé des réformes, à accepter les sacrifices qu’exigera une renaissance. C’est à ces conditions seulement que je peux envisager avec quelque optimisme l’avenir de l’Arabie saoudite. »

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