Juifs et Arabes à fronts renversés

Longtemps, les premiers ont majoritairement voté démocrate. Et les seconds, républicain. Depuis le 11 septembre 2001 et le déclenchement de la guerre contre le terrorisme, la tendance est peut-être en train de s’inverser.

Publié le 15 décembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Depuis Franklin Delano Roosevelt, dans les années 1930, les Juifs américains votent en majorité pour le Parti démocrate. Lors de l’élection présidentielle de 2000, près de la moitié d’entre eux ont ainsi accordé leurs suffrages à Al Gore, qui avait eu le bon goût de choisir comme colistier l’un de leurs représentants, l’austère sénateur Joseph Lieberman.
La petite communauté arabe-américaine, en revanche, accorde traditionnellement ses faveurs aux républicains. Il y a trois ans, ses membres ont été sensiblement plus nombreux (+ 14 %) à voter pour Bush que pour l’ancien vice-président de Bill Clinton. Et cette avance eût sans doute été plus importante si l’écologiste Ralph Nader, qui est d’origine libanaise, n’avait raflé 17 % de leurs suffrages.
Pourtant, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, les attentats du 11 septembre 2001 et le déclenchement de la lutte contre le terrorisme ont provoqué un véritable séisme. Au sein des deux communautés, les clivages politiques les plus accusés ont tendance à s’estomper. Ou à se déplacer.
Pourtant, le moins que l’on puisse dire est que les Juifs américains avaient accueilli l’élection de Bush avec « suspicion ». Lorsque celui-ci était gouverneur du Texas, n’avait-il pas publiquement mis en doute leur aptitude à accéder au paradis ? Et puis les choses se sont arrangées. Lors d’une visite à Auschwitz, le nouveau chef de l’exécutif a versé quelques larmes. Il a ostensiblement snobé Yasser Arafat et salué Ariel Sharon comme « un homme de paix ». « Il existe entre nous une synergie naturelle, commente Matt Brooks, le directeur de la Coalition des Juifs républicains. Nous sommes engagés dans un même combat. » « Bush est le président le plus pro-israélien de toute l’histoire de ce pays », renchérit l’un de ses amis politiques. Selon un récent sondage, près de la moitié des Juifs qui ont voté pour Gore il y a trois ans s’interrogent aujourd’hui sur la justesse de leur choix. Les jeunes urbains sont apparemment les plus sensibles aux sirènes républicaines.
L’évolution a été exactement inverse chez les Arabes-Américains, premières victimes du Patriot Act, cette nouvelle loi censée décourager toute velléité terroriste sur le territoire des États-Unis, mais qui, en pratique, s’est traduite par une inquiétante restriction des libertés publiques. « Soutenir cette administration, c’est comme se réjouir d’avoir le cancer », fulmine Khaled Saffuri, le très conservateur président de l’Institut islamique pour l’économie de marché, qui s’affirme résolu à voter pour le candidat démocrate à la prochaine élection présidentielle, en 2004. « Quel qu’il soit », insiste-t-il. Les neuf candidats à l’investiture de ce parti ont parfaitement compris le message. Tous ont récemment participé à une conférence organisée, à Detroit, par l’Institut arabe-américain. « Je suppose qu’ils n’étaient pas là pour nos beaux yeux », commente James Zogby, le président de cette association.
Il va de soi que ni les Juifs ni les Arabes ne forment une communauté monolithique. Et que les Juifs démocrates ne sont pas encore une espèce en voie de disparition. « Tous les deux ans, nos amis juifs républicains nous expliquent que le basculement de la communauté en faveur du Grand Old Party est imminent, mais la prochaine consultation démontrera une fois de plus qu’il n’en est rien », soutient l’un d’eux. De même, il se trouve des Arabes obstinément fidèles à Bush, à l’instar de Yahya Basha, l’un des leaders de la communauté, qui ne cache cependant pas le « stress » que suscite chez lui la politique de l’administration. « J’ai pris du poids et perdu des cheveux », confesse-t-il. La plupart sont d’origine irakienne. Pour eux, le renversement de la dictature sanglante de Saddam Hussein prime toute autre considération. Un Arabe de Dearborn (Michigan) qui a combattu du côté de Bagdad place Bush à la seconde place dans son panthéon personnel. Juste derrière Allah. « Si je le pouvais, je voterais vingt fois pour lui », fanfaronne-t-il. Mieux vaut sans doute le tenir éloigné des bureaux de vote !
En termes d’arithmétique électorale, ni les Juifs ni les Arabes ne constituent un enjeu majeur. Sauf localement. Les premiers ne représentent que 2,1 % de la population totale et moins de 4 % de celle de la Floride, l’État où ils sont le plus nombreux. Les seconds sont traditionnellement bien implantés dans le Michigan (à Detroit, l’industrie automobile fait appel à des immigrés moyen-orientaux depuis le début du siècle dernier). Ils représentent 1,2 % de la population de cet État, mais seulement 0,43 % de la population totale.
En termes financiers, c’est autre chose. Depuis toujours, les Juifs américains contribuent généreusement aux campagnes électorales des candidats de leur choix, beaucoup plus que les Arabes, dont l’implication dans la politique américaine est récente. En 1998 et en 2000, la moitié, au moins, des fonds versés au Comité national démocrate l’ont été par des électeurs juifs. Si leur basculement en faveur des républicains se confirme, il s’agirait évidemment d’un renfort de poids pour le président sortant.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires