Genève, j’y étais

Publié le 15 décembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Ce lundi 1er décembre, à l’aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv, nous étions deux cents Israéliens à prendre l’avion pour Genève. Il y avait là des représentants de la société civile : Lova Eliav, un des premiers Israéliens à avoir organisé des contacts avec l’OLP de Sartawi au début des années 1970 ; la journaliste Tamar Golan ; l’ancien chef des services secrets Avraham Shalom ; les écrivains Avraham Yekochoua, Amos Oz, David Grossman ; la chanteuse Zahava Ben, qui se produit dans certaines capitales arabes ; Vicky Knafo, dont l’initiative de famille monoparentale ébranla quelque peu l’establishment ; le célèbre chef Israël Aharoni, qui, à son retour de Tunisie, consacra sa rubrique culinaire dans le magazine du Yedioth Aharonot, à cette cuisine tunisienne qu’il aime tant ; Tsvia Walden, la fille de Shimon Pérès, qui soutient l’Accord. La liste serait longue de ceux qui sont venus dans cette ville de négociations le coeur plein d’espoir.
L’image la plus connue de Genève est ce jet d’eau sur le lac Léman, symbole de force et de fragilité. L’eau n’est-elle pas « l’or blanc » du Moyen-Orient ? Mais le centre des curiosités, dans l’avion, fut l’exemplaire – la photocopie, pour être exact – de Jeune Afrique/ l’intelligent que j’avais reçu et qui fut apprécié de tous. Une réussite qui fit dire à l’un des participants : « Il aurait fallu distribuer ce numéro à Genève. »
L’arrivée dans cette ville fut l’occasion de repenser à cet autre événement, qui a marqué mon adolescence à Tunis : Pierre Mendès France, la fin de la guerre d’Indochine et sa visite historique à Carthage pour l’octroi de l’autonomie interne. « Lorsqu’on veut faire l’éloge de mon gouvernement, disait « PMF », on parle souvent de l’Indochine, trop peu de la Tunisie. On a tort. Je suis beaucoup plus satisfait de ce que j’ai entrepris en Tunisie que de ce que j’ai pu faire en Indochine. »
Un tel exemple devrait inspirer tous ceux qui s’attachent à régler les conflits. Ce « contrat de confiance » entre Tunisiens et Français a vu triompher la raison et la paix. Il faut rappeler ce que Mendès disait de Bourguiba : « Il a manifesté une fois de plus autant d’intuition que de sens politique et de réalisme. » On en vient à regretter que, lors de son séjour tunisien, Arafat ne se soit inspiré de cet exemple. Voilà à quoi je pensais dans cette salle de l’avenue Sécheron où se côtoyaient des ministres, anciens, nouveaux et à venir, des Prix Nobel, des journalistes du monde entier. Il faut d’ailleurs féliciter la chaîne Al-Jazira, qui a retransmis en direct toute la cérémonie.
Oui, les opinions publiques commencent à le comprendre : « When there is a will, there is a way. » Quand on veut, on peut. La volonté de paix cependant, ne doit pas faire oublier la lutte contre le terrorisme. Au fil des discours, il faut le remarquer, personne – ni Palestiniens ni Israéliens – n’a prononcé le nom d’Arafat. Une fois achevée la cérémonie menée de main de maître par l’acteur américain Richard Dreyfuss, il reste une émotion intense et d’énormes espoirs.
Se peut-il qu’une pareille journée demeure sans lendemain ? J’en doute, car plus que la cérémonie, ce qui importe, c’est le contact des hommes. Les acteurs de cet Accord voient les choses non sous le coup de l’émotion du moment, mais en tenant compte du facteur temps, qui marque l’échelle exacte des nécessités. En politique, gagner du temps, c’est en réalité le perdre : c’est gâcher d’avance le temps qui sera vécu par nos enfants. La détermination des négociateurs est importante. Et nous devons écouter tous ceux qui proclament que le véritable combat est entre ceux qui veulent la paix et les autres. Il faut être des « faucons de la paix », selon l’heureuse expression du président Ezer Weizmann. Au lendemain de la guerre de Kippour, en 1973, j’avais promis à mes enfants la colombe. Depuis, je lutte de toutes mes forces pour que mes petits-enfants voient cette colombe. Ce risque de la paix, il faut le courir impérativement.
Je citerai en conclusion ce texte de Mendès France, Nahum Goldman et Philip Klutznick, paru en 1982 : « La paix ne se conclut pas entre amis, mais entre ennemis qui ont souffert… Il faut mettre fin au débat stérile dans lequel le monde arabe conteste l’existence d’Israël [depuis, l’Égypte, la Jordanie et la Mauritanie ont noué des relations diplomatiques avec Israël] et les Juifs contestent le droit des Palestiniens à l’indépendance [depuis, il y a eu Oslo, la « voix du peuple » avec Seri Nusseibeh et Ami Ayalon, et Genève]. La véritable question n’est pas de savoir si les Palestiniens ont ce droit, mais comment le réaliser tout en garantissant la sécurité d’Israël ainsi que la stabilité dans la région… Ce qui s’impose maintenant, c’est de trouver un accord politique entre les nationalismes israéliens et palestiniens. »
Inch’Allah, ou comme l’écrivait si pertinemment ce grand penseur de la Renaissance, Erasme : « Si tu veux la paix, prépare la paix. » Car, au Moyen-Orient, seule la paix est révolutionnaire.

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