Extrait de « Monnè, outrages et défis »

Publié le 15 décembre 2003 Lecture : 2 minutes.

La figure centrale de Monnè, outrages et défis est Djigui, roi de Soba, personnage à la longévité exceptionnelle puisqu’on le suit de l’aube de la colonisation à la veille des indépendances. Tandis que les griots chantent sa gloire, le souverain déchu mais fidèle aux traditions de sa dynastie s’enfonce dans la collaboration avec l’occupant français. Dans le passage qui suit, le style de Kourouma s’exprime dans toute sa truculence.
« Oui ! Djigui était nez à nez avec une vraie colonne française. Les Nazaréens étaient entrés à Saba par la colline Kouroufi truffée de sortilèges ! Ils l’avaient escaladée comme s’enjambent le seuil de la case et les cuisses d’une femme déhontée ; s’étaient emparés de l’arsenal. Sans tirer un coup de fusil ! Sans faire hurler un chien ! Sans tuer un poussin ! Sans effarer une seule poule couvant ses oeufs !
Le capitaine blanc, dans son langage d’oiseaux – pour une oreille malinké, le français, en raison des nombreuses sonorités sifflantes, ressemble à des chants d’oiseaux – parla au tirailleur-interprète qui avança, et dans un pur malinké du Nord, interrogea.
– Êtes-vous le roi de ce pays ?
Un vrai chef ne décline pas lui-même ses titres ; il serait incomplet par pudeur. C’est la fonction des griots, et les griots serinèrent à l’interprète tous les panégyriques de Djigui et des Keita. Mais, quand l’interprète demanda :
– Contre qui bâtissez-vous ce tata ?
Djigui se crut en devoir de répondre au défi. Il le fit en prince légitime. C’est dans de telles circonstances que se reconnaissent les vrais chefs, les authentiques. Djigui se dressa sur les éperons de toute sa hauteur – il était grand. Ses narines battaient comme les naseaux de son cheval. Courageusement, il déclara :
– Dis au Blanc que c’est contre eux, Nazaras, incirconcis, que nous bâtissons ce tata. Annonce que je suis un Keita, un authentique totem hippopotame, un musulman, un croyant qui mourra plutôt que de vivre dans l’irréligion. Explique que je suis un allié, un ami, un frère de l’Almamy qui sur tous les fronts les a vaincus […]. Répète au Blanc que c’est par traîtrise que vous avez violé la ville de Soba. Rapporte que je le défie ; le défie trois fois. Adjure-le qu’en mâle dont l’entrejambe est sexué avec du rigide, il consente un instant à repasser la colline Kouroufi ; qu’il nous laisse le temps de nous poster. Je fais le serment sur la tombe des aïeux. Nous les vaincrons malgré leurs canons. Redis, redis encore qu’Allah des croyants n’acceptera pas que la victoire finale reste aux incroyants. »

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