Conte-moi le monde

De plus en plus d’albums se proposent de faire voyager les enfants. Parfois jusqu’en Afrique, souvent par-delà les clichés. Sélection.

Publié le 15 décembre 2003 Lecture : 7 minutes.

Peut-être est-ce une mode vouée à s’estomper, mais on ne peut le nier, l’Afrique fascine. Et plus particulièrement les éditeurs, qui multiplient les livres consacrés au continent. On ne compte plus les albums de photographies sur le désert, les coutumes de telle ou telle ethnie, la migration des gnous ou encore les « exotiques paysages » et la « nature indomptée et sauvage », magnifiés sur papier glacé. De même, les récits de voyages illustrés, les uns à l’aquarelle, les autres à la gouache ou au pastel, sont nombreux sur les étals des libraires. Les clichés foisonnent, certes, mais on ne peut que se féliciter de cette ouverture sur le monde de l’édition française, où l’amateur curieux est certain de découvrir quelques perles. Ce d’autant que même la littérature jeunesse est touchée par le phénomène. De plus en plus de livres pour enfants se situent en Afrique. L’occasion pour les plus petits de voyager en lisant, de rêver et, surtout, de s’ouvrir aux différences. Voici notre sélection, évidemment subjective. Bonne lecture !

Little Lou et la route du sud
de Jean Claverie, Gallimard Jeunesse, 48 pages, 13,50 euros
Little Lou est de retour. L’adorable petit Black imaginé par Jean Claverie évolue dans l’Amérique de la ségrégation, des plantations et du blues. Dans le premier volet de son histoire(*), il faisait l’apprentissage de la musique, devenant un prodige du piano. Dans ce deuxième tome à quatre temps très boogie, il part à la découverte du Tennessee et de la Louisiane, « là où les notes poussent sur le coton ». Saint-Louis, Memphis, le bayou
Little Lou remonte aux sources du jazz. Son oncle Sonny, le guitariste qui fait du bien aux âmes, lui livre ses secrets sur fond de tensions sociales. Les images de Jean Claverie résonnent, chantent. Cette bande-dessinée délicate pleine de beaux sentiments se laisse autant « écouter » que lire. Car l’auteur-dessinateur est aussi guitariste et partage avec les lecteurs (à partir de 7 ans) toute la musique qu’il aime, qui vient de là, qui vient du blues… Un blues joyeux et réparateur qui chasse définitivement les idées noires. (* Little Lou, 1990.)

la suite après cette publicité

Le prince courageux et autres contes d’Ethiopie
de Praline Gay-Para, éditions Syros Jeunesse, 128 pages, 13 euros
Praline Gay-Para a rassemblé trois contes éthiopiens gorgés d’humour. Son histoire préférée, c’est celle de Shi-Guday : un prince qui, pour une fois, n’est pas courageux. Bien que son nom signifie « celui qui en a tué mille », « voir une lance le faisait frémir. Entendre, même de loin, le rugissement d’un lion le paralysait. Penser à la guerre le terrifiait ». Shi-Guday aura pourtant la même destinée que les princes charmants et parfaits évoluant dans les contes qui se terminent bien : il sauvera un royaume et trouvera l’amour d’une princesse. Royal. Sobrement illustré par Sophie Dutertre, le livre révèle une mise en page originale où les caractères changent de taille
comme de typographie. Les blancs, les graisses et les ruptures accompagnent et orientent le lecteur au fil de ces amusantes histoires éthiopiennes.

Un prince égyptien
de Viviane Koenig et Louise Heugel, éditions Thierry Magnier avec le musée du Louvre, 32 pages, 13 euros
Pièces de musée, avez-vous donc une âme ? Dans cet album original, les statues, statuettes et autres stèles sortent de leur cadre le département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre à Paris pour venir se promener au cur des pages. Le pharaon Séthi 1er et la déesse Hathor, représentés sur un calcaire peint (1294-1279 avant J.-C.), deviennent ainsi les héros du livre. Inspirée par un papyrus de trois mille ans
conservé au British Museum de Londres et par les croyances de l’Égypte ancienne, Viviane Koenig a inventé une histoire qui débute ainsi : « Un jour, il y a bien longtemps, les dieux accordent au roi et à la reine d’Égypte le fils qu’ils attendent depuis des années. Hélas ! peu après sa naissance, les sept Hathor, ces déesses qui connaissent l’avenir, annoncent une terrible nouvelle : « Notre prince mourra piqué par un serpent, dévoré par un crocodile ou mordu par un chien. » Le résultat : une intrigue pharaonique, un suspense antique et un graphisme magique.

L’histoire du chat qui boude
de Mohamed Dib, illustrations de Merlin, Albin Michel Jeunesse, 40 pages, 18 euros
Merlin l’illustrateur marie son talent à celui de Mohamed Dib pour offrir aux enfants une histoire qui a tout de la comptine et des illustrations poétiques, mêlant dessins, collages et découpages. Le grand chat noir boude sur la terrasse de ses propriétaires
pour protester contre une injustice : Vieille-Mère a mangé les grives que Vieux-Père lui avait demandé de cuisiner pour le dîner et elle accuse le félin ! Pour faire éclater la vérité, pas besoin de poudre de perlinpinpin, il suffit de faire du boudin Par solidarité avec le chat, le village, indigné, se met dans tous ses états : la terrasse tombe, le mur s’écaille, l’oiseau s’arrache les plumes, l’arbre se dépouille de ses feuilles, la source s’assèche, la servante casse ses cruches, la maîtresse déchire sa robe, le mari boulanger se jette dans son four et le scandale revient aux oreilles de Vieux-Père ! Le texte de Mohamed Dib date de 1974. C’est le seul livre jeunesse, avec
Baba Fekrane (paru en 1959), du grand écrivain algérien décédé cette année. Il n’y a pas de limite d’âge pour le découvrir.

La soupe au pili-pili
d’Yves Pinguilly et Florence Koenig, éditions Autrement, 32 pages, 12,20 euros
Comment choisir le meilleur prétendant quand la nature vous a donné le bonheur d’avoir une fille à la beauté exceptionnelle ? Voilà la question qui occupe l’esprit du papa
d’Assibi, lequel papa n’est autre que le lion, roi de toute la brousse Car ils sont nombreux ceux qui lorgnent vers la jeune lionne au « poil aussi luisant qu’une poterie fraîchement essuyée » et à la langue aussi rose qu’une « noix de cola que l’on vient de croquer ». À force de réfléchir, le papa lion finit par avoir une idée : il convoque tous ses sujets, zèbre et éléphant, singe et hippopotame, et leur propose un marché. « Celui d’entre vous, qu’il soit à poil ou à plumes, qu’il ait une carapace, des écailles ou une crinière, qui réussit à manger toute la soupe au pili-pili de cette grande calebasse, épousera ma fille Assibi », et il ajoute une condition : ne pas s’arrêter de boire « pour faire tchss ! tchss ! tchss ! ». On ne révèlera pas ici qui remportera le cur d’Assibi, pas plus qu’on expliquera ce que signifie « jouer à mots doux, à « zyeux doux » et aussi à poils doux ». Pour en savoir plus, il faudra se plonger dans cette jolie histoire
pleine d’humour d’Yves Pinguilly, délicatement illustrée par les pastels de Florence Koenig.

la suite après cette publicité

Bruissements de savane
de Mach-houd Kouton, éditions Syros Jeunesse, 93 pages, 5,90 euros
Mach-houd Kouton est né au Bénin, « tout petit pays » blotti entre le Nigeria et le Togo, « la tête posée sur le Burkina Faso et le Niger ». Parce que ses premiers cadeaux d’enfant ont été les contes que les vieux transmettent le soir à la veillée, il a décidé d’en faire un livre. « Le conte germe à la saison des pluies. Il y grandit et ne se moissonne sur les langues qu’à la saison sèche », explique-t-il. Machhoud Kouton est allé à Karimama, sur les bords du fleuve Niger, récolter ce qu’il appelle les « bruissements
». Des histoires riches d’enseignements et de philosophie qui ont le goût de l’existence. Si on y trouve des leçons de vie, on découvre aussi certaines choses : pourquoi le coq gratte le sol, pourquoi l’éléphant n’habite plus au village, ou encore pourquoi le singe a le postérieur dégarni « Ces histoires se racontent non seulement dans les villages, mais aussi dans la brousse. Il paraîtrait même que les herbes ne bruissent pas, elles content, ceux qui ne les comprennent pas les disent folles, les autres s’asseyent et les écoutent. »

Les proverbes de l’éléphant
de William Wilson, Gallimard Jeunesse, 40 pages, 12 euros
« Tout a une fin, sauf la banane qui en a deux », « Si les pierres se battent, ce n’est pas à l’uf de les séparer » : ce petit livre est composé de quinze proverbes africains, illustrés par des dessins, des découpages et des collages originaux, quoique parfois un peu abstraits. Difficile d’accès pour les plus petits, il donne la possibilité aux autres de s’exercer à résoudre l’énigme que renferme chaque proverbe. Que veut-on dire quand on affirme que : « Même furieux, un pet ne déchire pas le pantalon » ? Demandez à vos enfants, ils auront peut-être une explication Comme l’écrit l’excellent illustrateur togolais William Wilson, « les proverbes sont le miel qui fait passer les idées avec les mots ».

la suite après cette publicité

L’ananas, grand jusqu’au ciel
d’Yves Pinguilly et Sarang Seck, illustré par Florence Koenig, Le Sablier Éditions, 32 pages, 12,99 euros
Après L’Orange, folle de foot, Yves Pinguilly, Sarang Seck et Florence Koenig récidivent dans l’absurde africain avec cette histoire d’ananas qui, doté par hasard d’un bracelet, se met à grandir, puis s’envole, s’en va côtoyer les avions, les nuages et même les étoiles Mais au bout d’un moment, Fatou et Mabinty, qui « parlent à l’oreille des köbö köbö, des tamati, des soulondji, des bgen n’gbe, des saladi, des fougné », lui manquent et il décide de revenir à son port d’attache. L’originalité de ce livre vient du fait que les vocabulaires « africain » et français sont si savamment agencés qu’ils s’expliquent l’un l’autre. L’occasion pour les enfants de découvrir l’altérité, toujours mystérieuse,
et d’essayer de la comprendre. Les dessins de Florence Koenig ne sont pas aussi réussis que ceux de La Soupe au pili-pili, mais restent délicats.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires