Comment sauver le FLN ?

Le Front de libération nationale est déchiré entre les partisans du secrétaire général, Ali Benflis, et les « redresseurs », proches du président Bouteflika. L’affrontement pourrait conduire à l’implosion de l’ancien parti unique.

Publié le 15 décembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Le Front de libération nationale (FLN) a entamé, le 1er novembre 2003, sa cinquantième année d’existence. Une vie marquée par l’euphorie révolutionnaire à la naissance, les purges et les convulsions à répétition par la suite (voir encadré page suivante). Longtemps source de légitimation du puissant du moment, le FLN a fait illusion durant les quarante premières années. Son omnipotence sur l’échiquier politique n’était que mirage. Ses dirigeants historiques sont morts de manière violente ou en disgrâce, et les velléités d’émancipation du parti ont toutes lamentablement échoué. La plus récente date du 19 mars 2003, quand le VIIIe congrès a inscrit dans ses statuts l’indépendance du parti de toute tutelle, la modernité et le rajeunissement des instances.
Est-ce l’explication de la crise qui, depuis, secoue le FLN ? « Pas du tout, clament les détracteurs d’Ali Benflis, secrétaire général du parti, candidat à l’élection présidentielle d’avril 2004, et à qui le FLN doit son nouveau visage. Ce sont les pouvoirs exorbitants que s’est auto-octroyés le chef du parti, en dehors de toute discussion préalable, et la manière dont il a organisé le congrès pour assouvir ses ambitions présidentielles qui en constituent les causes. »
À l’issue du VIIIe congrès, une dissidence a pris corps sous forme d’un mouvement de « redressement ». Ses animateurs ont vite subi les foudres de la commission de discipline et ont été exclus du parti. Azzedine Abdelmadjid, pourtant membre du comité central version Benflis, dénonce cette attitude. « De nos jours, affirme-t-il, les partis modernes ont banni à tout jamais l’exclusion en tant que mesure disciplinaire. Aucune instance, y compris le congrès, ne peut s’octroyer le droit de rompre le lien entre le parti et le militant. Cette relation dépasse le caractère simplement organique pour revêtir une symbolique identitaire. »
Pour étayer son analyse, Azzedine Abdelmadjid donne plusieurs exemples. En France, Édouard Balladur n’a, à aucun moment, essuyé la colère de son parti pour s’être présenté, en 1995, contre Jacques Chirac, candidat désigné du Rassemblement pour la République (RPR). Plus récemment, en Grande-Bretagne, Robin Cook s’est opposé à la politique irakienne de Tony Blair. Il a quitté pour cela le gouvernement, mais n’a jamais été inquiété au sein des instances du Parti travailliste. Mais Abdelmadjid n’est pas écouté, et la commission de discipline devient la structure la plus active du FLN depuis le VIIIe congrès. Elle prononce des exclusions à tour de bras. Saïd Barkat, ministre de l’Agriculture, victime de ladite commission, exhibe à qui veut la voir sa carte du parti: « Regardez bien la date de mon adhésion : 1974. Ali Benflis et moi sommes de la même génération, mais lui n’est venu au parti qu’en 1987. Comment peut-il m’exclure ? De quelle légitimité peut-il se prévaloir pour jeter le doute sur les militants sincères qui ont pour seul souci le fonctionnement démocratique du parti ? »
Ce qui amène le débat sur les objectifs des « redresseurs ». Tous jurent, la main sur le coeur, qu’ils n’ont d’autre préoccupation que de relever les dysfonctionnements du VIIIe congrès et de refonder le parti sur de nouvelles bases. Lesquelles ? La modernisation, le fonctionnement démocratique, l’ouverture vers la jeunesse et les femmes. Les mêmes propos que tient Abdelaziz Djerrad, membre du bureau politique du FLN et fidèle lieutenant d’Ali Benflis.
Alors, Hydra (le siège du FLN) et « redresseurs », même combat ? « Pas du tout, s’insurge Saïd Barkat. Notre combat consiste à relever les dérives du VIIIe congrès : des délégués désignés et non pas élus par la base, des textes adoptés sans discussions et sans avoir été distribués aux congressistes ; pour couronner le tout, des pouvoirs exorbitants accordés au secrétaire général qui marquent un retour flagrant au centralisme démocratique stalinien. Tout cela a amené des cadres du parti, toutes tendances confondues, à s’inscrire dans une action de redressement. »
Et si tout ce beau discours n’était qu’un voile masquant des motivations plus terre à terre liées à la prochaine échéance électorale ? Telle est la conviction d’un Zineddine Youbi, ministre limogé par le président Abdelaziz Bouteflika et membre du comité central, version Benflis : « Les problèmes du FLN sont nés de son intention de se succéder et de la nôtre de promouvoir l’alternance et la transmission de témoin entre générations. » « Bouteflika manipule les « redresseurs », assure-t-on à Hydra. Il limoge les membres du gouvernement proches de Benflis et tous ceux qui s’en réclament dans la fonction publique, des magistrats aux walis en passant par les chefs de daïra. »
Bouteflika marionnettiste dans la crise du FLN ? Larbi Belkheir, directeur de cabinet du président, rencontré à El Mouradia quelques jours avant ses ennuis de santé (des problèmes coronariens l’ont éloigné de son bureau durant la première semaine de décembre), assure que non. « Le président a été élu en tant que candidat indépendant, et s’il a eu le soutien du FLN, il ne l’a jamais quémandé. Faut-il rappeler qu’il a été lui-même victime du VIIe congrès quand il a été remercié du comité central en 1997 ? »
Quant à la chasse aux cadres proches de Benflis, une autre source affirme qu’elle est salutaire. « De nombreux responsables, partisans de Benflis, ont commencé leur travail de sape en bloquant les projets de développement, histoire de mettre à mal le bilan de l’adversaire de leur poulain. » Trop court pour Abdelaziz Djerrad, licencié en septembre de son poste de secrétaire général aux Affaires étrangères. « Mon frère a été limogé sans raison valable de son poste d’administrateur dans une wilaya de l’intérieur du pays. Sa seule faute : s’appeler Djerrad. N’est-ce pas le comportement d’un État voyou ? »
Les « redresseurs », emmenés par le chef de la diplomatie algérienne, Abdelaziz Belkhadem, ne font pas mystère de leur volonté de se battre pour un deuxième mandat de Boutef, mais inscrivent leur action au-delà de la présidentielle. « Il s’agit de la refondation du FLN sur des bases démocratiques, affirme Saïd Barkat, chargé d’organiser le prochain congrès du « redressement », prévu le 24 décembre. La question de la présidentielle ne figure même pas à l’ordre du jour de ses assises ouvertes à tous les militants, y compris Benflis et les siens. Et s’ils veulent en débattre, il n’y aura aucun problème. Nous les y convions cordialement. »
Benflis décline d’avance l’invitation. « Ce congrès est un non-événement et nous ne lui accordons aucune importance. » Il n’empêche, la situation de crise perdure et l’hémorragie se poursuit. Des mouhafadas (circonscriptions régionales, selon les structures du FLN) basculent, avec armes et bagages, chez les « redresseurs », et le congrès ne saurait être un non-événement puisqu’il confirme le malaise à la base et pourrait conduire à une implosion de l’ancien parti unique.
Les tentatives de médiation ont tourné court. Cependant, des historiques, menés par Abderrezak Bouhara, ancien ministre et membre influent du parti durant les quatre premières décennies du FLN, ont lancé l’idée d’un congrès du rassemblement. La démarche de Bouhara trouve quelques vertus au VIIIe congrès, notamment la question de « l’indépendance du parti des influences extérieures », mais reproche à l’actuelle direction son autisme et son refus de la critique interne. Pour ce qui est des reproches faits par les redresseurs, Bouhara rappelle que des défaillances de la même nature avaient émaillé les travaux du VIIe congrès sans que l’on y trouvât à redire. « Les purges d’alors ressemblaient à celles d’aujourd’hui. » L’élection présidentielle étant une question d’essence individuelle, elle ne devrait pas constituer l’obsession de l’heure, ni être un point de fixation pour toutes les discussions sur le parti. Aussi important soit le scrutin d’avril 2004, il est anecdotique comparé au devenir du parti.
Bouhara interpelle tous les cadres et militants, anciens et nouveaux, toutes générations confondues, leur demandant d’agir pour que le parti leur soit restitué. « Ce combat passe par un débat ouvert, fraternel, démocratique et sans exclusions », plaide-t-il. Sera-t-il entendu ? Rien n’est moins sûr. Les uns, à Hydra, restent convaincus de leur bon droit. Les autres, « redresseurs », s’activent à préparer leur congrès, qui donnera, à n’en pas douter, des allures d’hydre bicéphale au FLN. Si tout cela donne du grain à moudre à la presse indépendante, l’opinion, elle, reste indifférente aux agitations des appareils.

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