Aristide élu président d’Haïti

Publié le 15 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

En ce dimanche de décembre 1990 en Haïti, c’est jour d’élection plus que de messe. Le pays, qui sort exsangue de trois décennies de dictature de Papa et Baby Doc, suivies de cinq années de coups d’État militaires à répétition et de simulacres d’élections, s’apprête à porter au pouvoir un prêtre. Pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit du père Jean-Bertrand Aristide, le prêtre des bidonvilles. Présenté par le Front national pour le changement et la démocratie (FNCD), le candidat Aristide recueillera 67,48 % des votes au soir du dépouillement. Plus sur sa personne en fait que sur son programme politique, plutôt flou.
Huit ans plus tôt, l’homme était tout à fait inconnu du petit peuple de Port-au-Prince, dont il va devenir le héraut. C’est un autre de ses pairs, déjà, le père Cico, qui est alors la voix des laissés-pour-compte et la bête noire du gouvernement de Baby Doc.

Après son ordination en 1982, le père Aristide rejoint la communauté des Salésiens chargée d’une paroisse adossée au marché le plus populaire de la capitale. C’est de là qu’il lance les premiers brûlots au flanc du pouvoir. Après un détour par le Canada et une ville du sud d’Haïti, il revient à Port-au-Prince en octobre 1985. Juste à temps pour contribuer, par ses homélies au vitriol, à la chute de la maison Duvalier. Depuis, retranché dans son fief du bidonville de la Saline, l’église Saint-Jean-Bosco, et s’appuyant sur les Ti Komite Legliz (TKL), des organisations catholiques déployées dans le pays depuis le début des années 1980, il ne cesse de dénoncer les malversations des politiques et la richesse scandaleuse des élites. Les petites gens, elles, se pressent pour l’écouter. Unies, leur explique-t-il, elles peuvent devenir un raz-de-marée. « Lavalas », en créole. C’est le nom que prendra d’ailleurs son parti après la rupture avec le FNCD.
Au départ, pourtant, la perspective de ces élections ne mobilise pas une population déjà flouée par deux fois. Mais l’entrée en lice du petit père du peuple change la donne. Face à la menace militaire et duvaliériste, l’homme cristallise tous les espoirs : la démocratie après laquelle les Haïtiens courent depuis près de deux siècles d’indépendance, la lutte contre la corruption, les rêves d’une vie meilleure pour les pauvres, de socialisme pour d’autres… Ça fait beaucoup. Trop même pour les épaules d’un seul homme, fût-il prêtre et adepte de la théologie de la libération. Lui-même ne fait rien pour tempérer tout ça. Au contraire, il en rajoute. Par des discours enflammés, qui contrastent avec sa frêle silhouette. Par la mise en scène qui accompagne ses apparitions en public. Une (ou plusieurs ?) tentative d’assassinat commanditée par les militaires – l’église Saint-Jean-Bosco, où il officie, est incendiée le 11 septembre 1988 – lui aura même apporté une aura de martyr. Son sens des formules chocs fait mouche à chacune de ses sorties. Ça donne, par exemple : « Tout moun se moun » (tout homme est un homme) ; « analfabèt pa bèt » (l’analphabète n’est pas bête). Des formules à l’emporte-pièce qui prétendent redonner sa dignité perdue au petit peuple illettré. Les intellectuels de son entourage achèvent la métamorphose en lui faisant endosser la tunique de « coq qualité », par opposition, dans l’imaginaire populaire, à la pintade, symbole des Duvalier. Ces intellectuels, revenus d’exil pour la plupart, croient pouvoir sinon le manipuler, du moins l’amener à une vision plus globale de l’Histoire et de la politique. Mais lui s’en méfie déjà comme de la peste.

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La rupture sera consommée plus tard. Pour l’heure, tous veulent voir en lui le messie tant attendu de ce pays qui semble abonné au malheur. Personne ne se doute, en ce 16 décembre 1990, que l’homme changerait à nouveau de peau. Qu’il verserait dans le culte exacerbé de la personnalité et deviendrait un personnage dont une bonne partie du pays réclamerait, treize ans plus tard, le départ à cor et à cri.

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