Abel Goumba limogé

Publié le 15 décembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Après s’être fait l’avocat de la « Révolution populaire » centrafricaine, Abel Goumba en est devenu l’une des principales victimes. Huit mois après sa prise de fonctions, le Premier ministre de François Bozizé a été limogé le 11 décembre par décret présidentiel et remplacé – dès le lendemain – par Célestin Gaombalet, 61 ans, ancien directeur général de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC). Cette rupture vient mettre un terme aux divergences de plus en plus manifestes entre les deux ténors de l’exécutif.

Pourtant, leur association avait débuté sur la base d’un gentlemen’s agreement dans lequel chacun des deux hommes semblait pouvoir trouver son compte. Auréolé de son statut de tombeur de Patassé, le général Bozizé s’était donné pour mission de mener à bien la transition tout en favorisant la réconciliation nationale. Quant à Abel Goumba, il devait apporter sa caution d’opposant incorruptible à un nouveau régime en quête de respectabilité. Après avoir passé plus de quarante ans dans l’opposition, ce « monsieur Propre » aux allures de professeur Nimbus pouvait compter, il est vrai, sur le soutien cumulé de la classe politique centrafricaine et de ses partenaires étrangers. Adversaire inlassable de tous les régimes, Goumba avait donc accepté de soutenir malgré tout un général de brigade arrivé au pouvoir par la force des baïonnettes, signant avec lui un pacte de non-agression. « Formé le 31 mars, le gouvernement centrafricain est l’expression d’un compromis entre deux hommes, le militaire et le civil, avec pour tâche immédiate la reconstruction d’un pays au fond du gouffre et comme perspective à moyen terme une élection présidentielle qui pourrait bien les voir tous deux s’affronter », écrivait-on, dans J.A.I., en avril dernier (n° 2204).
L’éviction du Premier ministre intervient à un moment où ses relations avec le chef de l’État devenaient de plus en plus chaotiques. Le 12 décembre, le lendemain de son éviction, Abel Goumba devait présenter son programme actualisé de politique générale devant le Conseil national de transition (CNT). Celui-ci, qui fait office de Parlement provisoire depuis le coup d’État du 15 mars, en avait déjà rejeté une première mouture le 5 novembre, estimant que le document n’était pas assez précis sur les objectifs à atteindre, ni sur les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir.

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Certains membres de l’équipe lui reprochaient en fait de favoriser ses proches, et son omnipotence commençait à susciter quelque agacements dans l’entourage présidentiel. Premier ministre en charge de l’Économie, des Finances, du Budget, du Plan et de la Coopération internationale, Goumba disposait en outre d’un carnet d’adresses suffisamment garni pour mener lui-même ses propres démarches diplomatiques, notamment à Paris et dans plusieurs capitales d’Afrique centrale. Bref, le vieux lutteur commençait à faire de l’ombre au libérateur.
Lâché par une partie du gouvernement, Goumba n’a pas tardé à monter au créneau, critiquant ouvertement la brutalité des forces de l’ordre à la solde de Bozizé. Dans la nuit du 2 au 3 décembre, plusieurs jeunes Banguissois du quartier de Cattin ont été arrêtés à la suite d’un braquage, et trois d’entre eux ont été sommairement exécutés. En condamnant vigoureusement ces exactions attribuées à la Section d’enquête de recherche et de documentation (SERD), le Premier ministre s’en est directement pris au chef de l’État, le service de sécurité mis en cause étant intimement lié à la présidence de la République.
Ces frictions au sommet de l’exécutif ne sont pas surprenantes. Dans la perspective de l’élection présidentielle, elles devaient tôt ou tard dégénérer en conflit ouvert. Ce scrutin est censé clore le processus de transition au cours du premier semestre 2005. D’ici là, un référendum constitutionnel devrait se tenir en septembre 2004, préalable nécessaire à l’organisation des élections générales. En attendant, ni le général Bozizé ni Abel Goumba n’ont lâché le moindre indice sur leurs ambitions. Jusqu’ici, ils ont même éludé systématiquement le sujet, aucun des deux ne souhaitant dévoiler son jeu, ni mettre en péril le fragile consensus gouvernemental.
Désormais, plus rien n’empêche Goumba, 77 ans, de se déclarer candidat, avec le soutien de son parti, le Front patriotique du progrès (FPP). Reste à savoir quel sera son statut jusqu’aux prochaines échéances. Le régime pourrait être tenté de lui proposer un poste de vice-président pour sauvegarder une unité de façade vis-à-vis des bailleurs de fonds, à commencer par l’Union européenne. En attendant, le général Bozizé se devait de choisir un nouveau Premier ministre. Dès le 12 décembre, plusieurs noms circulaient avec insistance. D’abord celui de Théodore Dabanga, ex-ministre délégué aux Finances (1999-2001) et directeur de la Commercial Bank Centrafrique. Ensuite celui de Karim Meckassoua, actuel ministre des Affaires étrangères, très introduit auprès des chefs d’État de la sous-région. Trois anciens Premiers ministres ont également été mentionnés : Jean-Paul Ngoupandé, actuel conseiller spécial de François Bozizé ; Michel Gbézéra Bria, directeur de cabinet à la présidence de la République ; et Enoch Dérant-Lakoué. Côté société civile, la personnalité la plus en vue est Catherine Samba Panza, présidente du Comité de suivi du Dialogue national. Mais c’est finalement à Célestin Gaombalet qu’a échu le poste.

Quoi qu’il en soit, les multiples interrogations que suscite le limogeage d’Abel Goumba prouvent que le fragile équilibre instauré depuis le mois de mars demeure très menacé. Grâce au ticket Bozizé-Goumba, la Centrafrique a pu, jusqu’à maintenant, éviter une condamnation sans appel de la communauté internationale et se réconcilier avec ses voisins d’Afrique centrale. Privé de sa « caution morale », le général putschiste pourra-t-il mener à son terme le laborieux processus de transition entamé il y a huit mois ? Ou faut-il craindre, au contraire, que cette rupture ne ravive des querelles fratricides ? Et ne provoque une rechute de la Centrafrique ?

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