Souha Arafat

Par ses déclarations intempestives, la veuve du président de l’Autorité palestinienne a-t-elle voulu régler de vieux comptes avec l’entourage de son mari ?

Publié le 15 novembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Souha Arafat, 41 ans, ex-première dame d’un État qui n’existe pas, veuve éplorée le 11 novembre, aura rué dans les brancards jusqu’au bout. Au moment où l’agonie de son mari, Yasser Arafat, était à la une de tous les journaux et où la succession du président de
l’Autorité palestinienne suscitait les pires appréhensions, elle fait, le 7 novembre,
preuve d’une extrême légèreté. Alors qu’une délégation officielle, composée du Premier ministre Ahmed Qoreï et de Mahmoud Abbas, numéro deux de l’OLP, s’apprête à quitter Ramallah pour se rendre au chevet d’Arafat, Souha dénonce, sur la chaîne Al-Jazira, cette
« poignée d’héritiers autoproclamés voulant enterrer vivant Abou Ammar ».
Des propos qui plongent dans la consternation des Palestiniens déjà atterrés à l’idée de perdre leur leader et qui jettent un discrédit sur leur direction. Doit-on mettre la sortie médiatique de Souha sur le compte de l’émotion et de l’angoisse ? Sa volonté de faire le vide autour d’Arafat vise-t-elle à gagner du temps pour faire main basse sur le « butin » amassé en un demi-siècle de résistance ? A-t-elle mis à profit cet épilogue pour régler de vieux comptes avec l’entourage de son mari ? Difficile de trancher. Mais, d’abord, qui est Souha Arafat ?
Née en 1963 à Naplouse, alors sous souveraineté hachémite, Souha est issue de la bourgeoisie chrétienne orthodoxe palestinienne. Son père, Daoud Tawil, est banquier. Sa mère, Raymonda (née Hawa), appartient à l’intelligentsia. Journaliste réputée, fondatrice d’une agence de presse, le Palestinian Press Service, dont les dépêches diffusent des informations sur les Territoires occupés, féministe convaincue, elle fait partie des premiers Palestiniens à croire aux vertus du dialogue avec les colombes israéliennes, sans pour autant tourner le dos à la résistance. L’éducation qu’elle donne à ses cinq enfants (Diana, Leïla, Souha, Hala et leur frère Gaby) est un mélange de valeurs chrétiennes, de nationalisme et de raffinement bourgeois.
Souha a 4 ans lorsqu’elle voit Arafat pour la première fois, en 1967. Furtive apparition. Le chef des fedayin (38 ans), entré clandestinement à Ramallah, est accueilli chez Raymonda. Ce même jour, il est dénoncé. Le Shin Beth [services secrets israéliens] fait une descente chez les Tawil. Mais le « héros » a la baraka. Déguisé en femme, il file entre les doigts des barbouzes.
Vingt ans plus tard… Souha a suivi sa mère dans son exil parisien. Étudiante à la Sorbonne, la blonde au léger strabisme est aussi timide qu’une bonne soeur, ce qui lui vaut le sobriquet de Marie-Thérèse. Mais, comme souvent, les apparences sont trompeuses, et Souha ne manque ni de sens pratique ni d’aplomb. De son père Daoud, elle a hérité le souci de se mettre à l’abri des revers financiers. Et elle a le tempérament bien trempé de sa mère.
Bien que résidant à Paris, la famille Tawil n’a jamais coupé les ponts avec les Territoires. Raymonda utilise son carnet d’adresses au profit de la résistance et reste en contact permanent avec Arafat au gré des déplacements du raïs : Bagdad, Beyrouth, Tunis… En 1988, l’un de ses protégés, Ahmed Tibi, médecin à Jérusalem, lui transmet un message d’une personnalité israélienne : Ezer Weizman, ancien faucon devenu un partisan d’une solution négociée avec les Palestiniens. Le futur président d’Israël (1993-2000) veut rencontrer Arafat en secret. Raymonda envoie sa fille à Tunis, porteuse d’une lettre au « Vieux ». Elle est loin de se douter que cette mission sera à l’origine d’une idylle…
Un an plus tard, Arafat, ex-chef terroriste devenu
fréquentable, doit se rendre à Paris à l’invitation du président Mitterrand. Ibrahim Souss, le représentant de l’OLP en France, est aussi l’époux de Diana, la soeur aînée de Souha. Il désigne sa belle-soeur pour s’occuper du protocole durant le séjour du leader palestinien à l’hôtel Crillon. L’ambitieuse jeune femme donne entière satisfaction, au point qu’Arafat ne peut plus se passer d’elle. Il fait de « Soussou » son assistante occasionnelle, puis sa conseillère financière. Les séjours tunisois de Souha se font de plus en plus longs et Arafat finit par lui affecter une villa à Tunis, rue Tozeur.
Les détracteurs du « Vieux » s’en donnent à coeur joie. Excédée par les rumeurs, Raymonda se rend à Tunis. À l’issue d’une discussion orageuse avec Arafat, ce dernier reconnaît qu’il s’est
secrètement marié avec sa fille. Madame Tawil exige une annonce officielle. En vain. La différence d’âge (34 ans) entre les époux n’est sans doute pas la seule cause de ces réticences.
Nous sommes en 1991. Le plan Baker, qui prévoyait des négociations directes entre
Israéliens et Palestiniens à Madrid, est dans l’impasse. L’Intifada domine l’actualité. Arafat, qui a toujours affirmé qu’il n’avait qu’un seul amour, la révolution, et une seule fiancée, la Palestine, ne peut se permettre d’annoncer ses épousailles au milieu du drame que vivent Gaza et la Cisjordanie. Mais Raymonda ne l’entend pas de cette oreille. Elle intrigue pour que la presse israélienne s’empare de l’affaire. Le 17 juillet, Arafat finit par annoncer son mariage avec Souha. Tollé parmi les dirigeants palestiniens. La jeune femme est accusée de « distraire » le chef de l’OLP de ses obligations. On lui reproche d’être une intruse, de mêler vie privée et activité politique. En fait, l’entourage du « Vieux » lui en veut de dénoncer la corruption des collaborateurs de son mari.
Parce qu’elle préfère les mondanités aux tranchées de la résistance, les tailleurs Chanel aux habits traditionnels, la fréquentation des First Ladies à celle de ses compatriotes, Souha provoque haines et jalousies. En 1994, elle est au côté de son mari quand il entre triomphalement à Gaza après la signature des accords d’Oslo. Mais les bévues succèdent aux bourdes : déclarations intempestives et, surtout, ce penchant indécent pour le luxe… Elle acquiert une somptueuse villa à Gaza, une autre à Ramallah (toutes deux au nom de Yasser Arafat), mène un train de vie de première dame. Et voit de moins en moins son époux. En 1995, elle donne naissance à une fillette, Zahwa, mais le bébé ne rapproche pas le couple. La séparation de corps n’a jamais été officialisée. En 2000, toutefois, Souha quitte la Palestine à la demande de son mari pour, dit-on, que sa famille soit à l’abri.
En mars 2002, le siège de la Mouqataa débute. Arafat est reclus dans ce qui sert de palais présidentiel à l’Autorité palestinienne. Durant ces trois années de « blocus », Souha ne lui rendra jamais visite.
Elle plonge dans l’anonymat et n’en sort qu’en février 2003, à l’occasion d’une enquête lancée par la brigade financière de la justice française. Le juge instructeur suspecte les virements mensuels de près de 100 000 dollars sur les comptes bancaires de Souha de dissimuler un blanchiment d’argent. Le total des sommes transférées dépasse les 10 millions d’euros. Mais, l’argent provenant de Yasser Arafat lui-même, l’affaire est classée sans suite. Souha ne reviendra sur le devant de la scène que le 29 octobre 2004, lorsque la santé d’Arafat rendra nécessaire son transfert à l’hôpital Percy de Clamart, en région parisienne.
En privé, elle a souvent mis ses déboires conjugaux sur le compte de l’entourage de son mari. Elle se souvient que Mahmoud Abbas l’a empêchée, en 1993, d’accompagner son mari à Washington, pour la signature des accords de paix. « C’est elle ou moi », avait alors menacé le négociateur palestinien. Le « Vieux » avait sacrifié sa femme. Lors de la poignée de main entre Arafat et Rabin, Abbas a été immortalisé sur la photo. Pas Souha. On soupçonnait « Soussou » d’être dépensière. Ses déclarations du 7 novembre ont montré qu’elle est également rancunière. Mais sa tentative de se réapproprier son mari a tourné court. Non seulement les compagnons d’Arafat sont venus à Paris au chevet de leur patron, mais ce sont eux qui veilleront à l’organisation, le 12 novembre, des obsèques officielles au Caire et populaires à Ramallah. Ses velléités de jouer un rôle dans la succession politique du défunt sont réduites à néant. Chez les musulmans, les enterrements, comme beaucoup d’autres choses, sont l’affaire des hommes. Une nouvelle fois, Souha devra s’effacer.

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