Retour chez les vivants

Victimes d’un accident ou d’une maladie grave qui leur fait frôler la mort, certains sombrent, d’autres s’en sortent, plus forts qu’avant. Pourquoi ?

Publié le 16 novembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Journalistes, Christine Kerdellant et Éric Meyer ont fait une longue et minutieuse enquête sur ceux qui ont eu une seconde vie après avoir affronté la mort. Auteurs, ils en ont tiré un livre, Les Ressuscités. Sous-titre : « Certains s’en sortent, d’autres pas… La médecine n’explique pas tout ».
À l’origine, deux sportifs les avaient impressionnés : Lance Armstrong, six fois vainqueur du Tour de France après un cancer qui lui laissait une chance sur cent de survie, et Hermann Maier, la star du ski autrichien, qui, depuis l’accident de moto qui lui a quasiment arraché une jambe, avait du mal à marcher, mais volait sur les pistes. Kerdellant et Meyer ont voulu savoir. Il ont vu et interrogé des personnes célèbres – de Jean-François Deniau à Mireille Darc et à Philippe Labro – et beaucoup d’autres moins connues. Ils ont aussi vu et interrogé des médecins, des psychothérapeutes, des théologiens pour examiner tous les facteurs qui peuvent expliquer une telle « résurrection » : l’entourage, le tempérament, l’amour, les racines personnelles, la religion, le fait d’avoir un but dans l’existence… Ils en ont tiré ce livre fort et qui est, disent-ils, « un message d’espoir ».
Voici l’histoire de Guy Roux, « l’entraîneur le plus populaire de France », celui de l’équipe de football d’Auxerre. Il a subi, quant à lui, un double pontage cardiaque et a cru sa dernière heure arrivée.

Un mental de battant
« Guy Roux n’oubliera jamais ce 23 novembre 2001 : comme chaque matin, il trottine autour du stade de l’Abbé-Deschamps à Auxerre, lorsqu’une douleur violente et soudaine lui étreint la cage thoracique. Il a 62 ans, l’infarctus a toujours été son obsession, et il sait tout sur les maladies cardiaques, en « petit scientifique de base », comme il dit. À l’hôpital d’Auxerre, le médecin procède à des tests et constate qu’une artère coronaire est bouchée. Direction Paris, en ambulance et en urgence.
L’entraîneur arrive à l’hôpital Cochin à 18 heures, l’opération débute à 22 heures, l’opéré se réveille le lendemain à 15 heures. « Je suis vivant ? » demande-t-il. « Faut croire », répond l’infirmière, flegmatique. La question est loin d’être idiote : il a fait une « pause » – un arrêt cardiaque en jargon médical – en salle de réanimation, à 6 heures du matin.
On lui laisse cependant entendre que s’il suit à la lettre les conseils des médecins, et si tout se déroule pour le mieux, il pourra peut-être retrouver son banc de touche deux mois plus tard. Commence alors un programme de rééducation – que Guy Roux prépare avec ses « coachs médicaux » et qu’il va suivre, comme à l’entraînement.
– Je n’ai réellement décroché de mes fonctions d’entraîneur que pendant quarante-huit heures, ensuite j’ai continué de suivre à distance ce qui se passait au club. Après trois jours d’hôpital, j’ai passé dix jours dans une maison de rééducation à Evecquemont, près de Mantes-la-Jolie. À la fin, je faisais le tour du parking au pas, c’était mon exploit !
Le convalescent part ensuite dans le sud de la Corse, à Porticcio, terminer seul sa rééducation. Il y retrouve son vieux camarade Gérard Houiller, entraîneur comme lui, et victime également d’un grave accident cardiaque.
– Il faisait de la thalasso, moi de la marche en montagne. Tous les matins, je prenais ma carte topographique, et je montais à 100 mètres d’altitude, puis 150 le lendemain, 200 le surlendemain… L’essentiel était de grimper un peu plus haut chaque jour. Je me séchais dans le bistrot du village et je profitais de ma notoriété pour me faire redescendre en voiture.
Pas question d’appeler un taxi : la réputation de Guy Roux en matière de petites économies, immortalisée par les Guignols, n’est pas usurpée. Sa pingrerie lui joue pourtant des tours :
– Un jour, à Chiavari, raconte-t-il, les hommes du village se battaient pour me ramener. Mais ils avaient tous avalé plusieurs tournées de pastis pour fêter mon passage. Finalement, c’est celui qui avait bu le plus qui m’a redescendu ! J’ai tremblé dans chaque virage…
Revenu à Auxerre, Roux vise un retour progressif à la normale : chaque jour, une longue séance de natation après une demi-heure de footing à 8,5 km/h, à l’aube.
– Je mesurais, à l’hectomètre près, ce que j’étais capable de courir, précise-t-il.
Le résultat ? Conforme au programme. Le 23 janvier 2002, soit deux mois, jour pour jour, après son accident, Guy Roux retrouve le banc des entraîneurs du stade de l’Abbé-Deschamps.
L’entraîneur le plus populaire de France est une force de la nature, et un sportif doté, par construction, d’un goût prononcé pour la compétition. Le professeur Gérard Saillant, le chirurgien orthopédiste qui a opéré – entre autres – le genou de Ronaldo, la star du football brésilien, ou celui de Laurent Fignon, le champion cycliste, estime que les sportifs ont plus de chances que les autres de s’en sortir en cas de coup dur parce que, dit-il, le recovering (le rétablissement, la capacité à reprendre le dessus) est un « simple problème de physique » :
– Si vous lâchez une balle de tennis d’une hauteur de 2 mètres, explique le médecin, elle rebondira plus haut que si vous la lâchez de 50 centimètres.
Mais encore ?
– Les sportifs de haut niveau cumulent trois qualités qui jouent un rôle essentiel dans une guérison. D’abord, ils possèdent des corps d’athlètes : leur capacité respiratoire est plus importante, leur forme physique parfaite. Ensuite, ils ont le goût de l’effort ou, du moins, l’habitude de souffrir : le sport leur a appris la rigueur, la struggle for life (la lutte pour la vie). S’ils ne sont pas, à l’origine, mieux dotés que les autres, du moins sont-ils entraînés à lutter, à se dépasser. Enfin, la plupart d’entre eux ont un solide caractère, car la capacité à se dépasser est, avant tout, une question de volonté. […]
La deuxième qualité des sportifs, identifiée par Gérard Saillant, à savoir la capacité de produire et de soutenir des efforts dans la durée, est attestée par Guy Roux :
– Les joueurs de foot (sans parler des entraîneurs…) qui entrent dans un grand club ont déjà dix ans d’efforts derrière eux, au bas mot. Les moins solides ont déjà été abandonnés sur le bord de la route ; les autres ont appris à souffrir. […]
Le skieur Hermann Maier a su, mieux que personne, gérer ce lent et progressif retour vers la forme, fait d’efforts quotidiens, pas à pas. Depuis le jour de son réveil à l’hôpital, où son entraîneur lui a apporté une machine permettant de pédaler avec les mains, jusqu’à sa première descente d’entraînement, chaque journée était assortie d’un objectif : enchaîner quelques tours de roue avec les bras, donner un coup de pied dans une balle de tennis, marcher doucement, courir, puis pédaler sur un vélo, rechausser des skis, redescendre une piste enfin, de plus en plus vite. « Si tu regardes devant, dit Maier, si tu te trouves un but, que tu ne le quittes pas des yeux, mais que tu te fixes aussi des étapes intermédiaires, alors tu avances. »

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La leçon des anciens
Et voici la leçon de sagesse que Christine Kerdellant et Éric Meyer ont tirée de leur longue enquête.
« Renoncer aux désirs vains. Affronter la réalité avec courage et lucidité. Consacrer du temps au bien d’autrui. Les hommes et les femmes qui reviennent, métamorphosés, de
l’épreuve de vérité nous disent aussi, finalement, que leur combat leur a donné accès à une philosophie de vie dont nous cherchons tous les clés. Les leçons de sagesse des Anciens que, nous autres, les gens ordinaires [], nous efforçons de dénicher dans les livres, les cours de yoga ou les séances de méditation, les ressuscités, eux, les ont mises en pratique. Ils savent la part de stoïcisme dont il faut disposer, cette attitude de lucidité et de sérénité qui enseigne à ne vouloir que ce qui dépend de soi pour mieux supporter ce qui n’en dépend pas. Ils ont compris aussi la sagesse d’Épicure, le bonheur qui naît, non pas de la quête effrénée des richesses, du « toujours plus », mais à l’inverse, des bornes fixées au désir. Comme les prisonniers dans la caverne de Platon, enchaînés, dos à la lumière, ils nous disent que le Bien, le Vrai, l’Essentiel ne se révèle qu’à partir du moment où l’on s’arrache à l’illusion. Enfin, cette générosité qu’ont acquise les ressuscités ne peut être donnée, comme l’a montré Descartes, qu’à ceux qui savent dépasser les pulsions poussant à se refermer sur soi-même: la peur, l’avidité,
l’égoïsme. »

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