Patrimoine en péril

Riche en espèces rares, la faune insulaire est menacée par la déforestation. Certains se mobilisent pour sauver ce qui peut l’être. Avant qu’il ne soit trop tard…

Publié le 15 novembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Archipel volcanique de formation récente, les Comores possèdent une flore et une faune remarquables. Mais, alors que le milieu marin des îles a depuis longtemps attiré l’attention des chercheurs et fait l’objet de nombreuses publications, peu de scientifiques s’étaient jusqu’à présent penchés sur la faune terrestre du pays. Cet oubli vient d’être réparé avec la sortie de La Faune terrestre des Comores, un superbe ouvrage de 460 pages, rédigé par les spécialistes du Musée royal de Tervuren (Belgique), Michel Louette, Danny Meirte et Rudy Jocqué. Ce livre, qui a reçu le soutien de l’Union européenne, est l’aboutissement d’une collaboration avec le Centre national de documentation et de recherche scientifique (CNDRS), la plus ancienne des institutions savantes de l’archipel.
À l’exception des oiseaux, presque toutes les espèces animales des Comores ont été introduites, soit accidentellement, soit volontairement. Elles sont proches de celles de Madagascar, mais présentent souvent des particularités étonnantes. Car, pour survivre et s’épanouir dans un habitat différent de leur milieu d’origine, les espèces se sont adaptées en se spécialisant. Celles qui n’y sont pas parvenues se sont éteintes. Les îles éloignées du continent, telles les Comores, sont considérées comme des « laboratoires naturels ». Les mutations ont plus de chances d’y réussir et de s’y perpétuer. C’est la découverte de ce phénomène sur l’archipel des Galapagos (Équateur) qui a permis au naturaliste anglais Charles Darwin de forger sa théorie de l’évolution. Le nanisme et le gigantisme font partie des mutations qui affectent fréquemment les espèces insulaires. Le nanisme concerne ainsi particulièrement les souris et les musaraignes des Comores, difficiles à observer : leur taille n’excède pas 1,5 à 2 centimètres ! Quant au gigantisme, il touche plus particulièrement les oiseaux, comme le bulbul. Il n’a cependant pas pris aux Comores l’ampleur qu’on lui a connue sur l’île Maurice avec le dodo, ce volatile devenu tellement énorme qu’il avait perdu la faculté de voler, ce qui, avec l’arrivée de l’homme, provoqua l’extinction de l’espèce.
Les chauves-souris frugivores sont les seuls mammifères à avoir colonisé naturellement l’archipel. Elles se divisent en deux espèces distinctes : la roussette commune, particulièrement répandue sur la Grande Comore, et la roussette de Livingstone, endémique à Mohéli et à Anjouan.
Les lémuriens sont, tout comme les chauves-souris géantes, des mammifères emblématiques de la faune comorienne. Avec Madagascar, les îles de Mohéli, d’Anjouan et de Mayotte sont les seuls endroits au monde où l’on rencontre ces primates à l’état sauvage. Ils ont sans doute été volontairement introduits par l’homme il y a plusieurs siècles. Le lémur de Mayotte, connu aussi sous le nom de maki, est devenu une espèce endémique à l’île. La coloration de son pelage est caractéristique, et son comportement diffère sensiblement de celui de ses congénères malgaches : il se montre plus sociable avec ses semblables, et peu farouche avec l’homme. Vivant dans les arbres, en forêt, la population de makis, estimée à 25 000 individus, a diminué de moitié en trente ans. Le lémur Mongoz de Mohéli et d’Anjouan est encore plus menacé, à cause de la régression de son habitat naturel, la végétation arborescente. Devenu rare à Mohéli, il a presque disparu d’Anjouan. Les chats sauvages (Mayotte et forêt du Karthala), la mangouste des îles (introduite il y a moins de quarante ans à Ngazidja, absente ailleurs) et la rasse, un petit carnivore (de 2 à 4 kilos pour un adulte), complètent, avec les rongeurs et les ongulés (sangliers et porcs), le tableau des mammifères de la faune comorienne. Le cerf de Java, commun sur l’île Maurice, a existé à Anjouan, mais a aujourd’hui disparu.
La faune et la flore des Comores sont fragiles et menacées. Du fait de leur faible dispersion géographique, les espèces endémiques sont à la merci d’un accident – l’arrivée fortuite d’un prédateur inconnu, d’un parasite ou d’un microbe – et très sensibles à l’impact de l’activité humaine sur leur habitat. Le risque d’extinction dû à l’activité humaine est quarante fois plus élevé pour les oiseaux endémiques des îles que pour les espèces continentales. La déforestation constitue le problème numéro un des Comores. Il se pose avec acuité à Anjouan : la surface forestière y a diminué de 73 % entre 1973 et 1983, date de la dernière étude d’ensemble (contre respectivement – 53 % et – 36 % à Mohéli et en Grande Comore). Une situation provoquée par la conjonction de deux phénomènes : l’utilisation du bois de chauffe – d’abord dans l’industrie sucrière, puis pour la distillation de l’ylang-ylang -, et la surpopulation. La densité de la population atteint les 600 habitants au km2 à Anjouan, un des taux les plus élevés au monde. En Grande Comore, où la densité « ne dépasse pas » les 260 hab./km2, les sols, surexploités, s’épuisent, ce qui nécessite la mise en culture de nouvelles parcelles, au détriment de la forêt. Comme toutes les forêts de plaine ont été déboisées, l’homme s’attaque maintenant aux forêts de montagne, comme celles du Karthala ou du massif de la Grille. Mais c’est le développement des cultures vivrières (bananeraies) sous la forêt naturelle qui inquiète le plus les botanistes. Les sous-bois sont coupés et brûlés sous les grands arbres, qui ne sont pas abattus. Vu du ciel, l’aspect de la forêt n’est pas bouleversé, mais, avec le remplacement du sous-bois par les bananiers, l’ensemble du processus de régénération naturelle des espèces forestières est perturbé, ce qui risque d’entraîner la disparition pure et simple des forêts en l’espace d’une vingtaine d’années. D’autant que le défrichage des sous-bois ne constitue souvent qu’une première étape : les grands arbres sont ensuite progressivement éliminés…
Une action volontariste de conservation s’impose donc pour sauvegarder le patrimoine forestier et, avec lui, la biodiversité de l’archipel aux parfums. Le problème réside moins dans les intentions que dans les moyens. Les autorités ont été sensibilisées à la question et ont entrepris des campagnes d’information, relayées par le CNDRS et des associations locales très dynamiques, par exemple à Mohéli, où un parc marin a été inauguré en octobre 2002, et où les sites de ponte des tortues géantes sont protégés.

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