Paresseux comme un Français

En incitant les cadres à flemmarder, l’auteur d’un modeste pamphlet a suscité un vaste débat de société tout en battant des records de vente.

Publié le 15 novembre 2004 Lecture : 3 minutes.

« La culture d’entreprise n’est en fait rien d’autre que la cristallisation de la bêtise d’un groupe de gens à un moment donné. » Ces mots sont extraits d’un court pamphlet, Bonjour paresse, devenu un best-seller en France : près de 200 000 exemplaires vendus à ce jour. Il faut dire que le propos n’est pas anodin. En incitant les cadres moyens à « travailler le moins possible tout en essayant de plomber le système de l’intérieur », l’auteur de ce livre provocateur, Corinne Maier, psychanalyste et économiste, salariée d’EDF (Électricité de France), dénonce le monde absurde et impitoyable de l’entreprise et revendique rien de moins que… le droit au non-travail.
Paru fin avril en France, Bonjour paresse, sous-titré « De l’art et la nécessité d’en faire le moins possible en entreprise », n’a pas seulement trouvé un écho auprès des antistakhanovistes. Le manifeste, qui analyse les symptômes d’un malaise national touchant nombre d’entreprises françaises, n’a pas échappé à la vigilance des médias internationaux, trop heureux de pouvoir fustiger la France qui, avec ses trente-cinq heures et ses innombrables jours fériés, est l’un des pays les moins travailleurs au monde – bien que l’un des plus productifs. Le livre a ainsi fait la une de journaux comme l’International Herald Tribune, le New York Times, Der Spiegel, le Corriere Della Sera, la Pravda ou encore le China Morning Post.
« Si vous n’avez rien à gagner en travaillant, vous n’avez pas grand-chose à perdre en ne fichant rien : n’acceptez jamais et à aucun prix de poste à responsabilité », professe Corinne Maier. À l’en croire, les grandes sociétés seraient tout, sauf un lieu d’épanouissement. Pis, le salariat aurait des allures d’esclavage moderne. Pour lutter contre une culture d’entreprise qu’elle juge régressive, cette employée iconoclaste préconise le système « mouche du coche ». En d’autres termes, pour ne pas se laisser broyer par le monde du travail générateur de stress, il faut « buller » sans en donner l’impression. « Ce que vous faites ne sert finalement à rien, et vous pouvez être remplacé du jour au lendemain par le premier crétin venu. Donc, travaillez le moins possible », conseille-t-elle. Une paresse, donc, mais une paresse active : « Passez un peu de temps (pas trop quand même) à vous vendre et à vous faire un réseau, ainsi vous serez pourvu d’appuis et serez intouchable (et intouché) en cas de restructuration. »
Plus forte que des arrêts maladie répétés, plus pernicieuse que des pauses-déjeuner interminables, la paresse active serait un moyen de rébellion bien plus efficace pour les salariés. Afin de mieux inciter ceux-ci à goûter aux joies de la flemme organisée, l’auteur a structuré son livre en six chapitres, tels que « Pourquoi vous ne risquez rien en vous désengageant » ou encore « Commencez votre travail de sape dès demain ». Une vraie incitation à l’apathie ! « Oyez, oyez, cadres moyens des grandes sociétés ! Ce livre vous aidera à vous servir de l’entreprise qui vous emploie alors que jusque-là c’est vous qui la serviez », conclut cette émule de Gaston Lagaffe, le fameux personnage de bande dessinée qui brasse de l’air, mais n’en fiche pas une dans sa « boîte ».
Ce brûlant opuscule, cependant, n’a pas provoqué que des sourires. En s’en prenant à son employeur dont elle narre les travers (sans jamais le citer), Corinne Maier, salariée d’EDF depuis douze ans, a déchaîné les foudres de sa hiérarchie. Quelques semaines après la sortie du livre, la compagnie nationale d’électricité disjoncte et lui reproche sa stratégie « visant à gangrener le système de l’intérieur ». L’essayiste est alors convoquée à un « entretien préalable avant sanction ». Relayée par la presse française, la menace de procédure disciplinaire, ironie du sort, a contribué à propulser le livre en tête des ventes. Mieux, cette publicité involontaire a alerté l’étranger. Depuis, sa maison d’édition est submergée par les demandes de traductions.
L’employée adepte du désinvestissement ne sera finalement pas sanctionnée par sa hiérarchie. Et si tout le monde s’accorde à dire que Bonjour paresse a le mérite de rendre compte du malaise grandissant au sein des entreprises hexagonales, cet ouvrage contribue à conforter la réputation, justifiée ou pas, de tire-au-flanc des Français.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires