Nouvelle ère

Après sept années de crise politique et institutionnelle, l’archipel a retrouvé une certaine stabilité. Reste à mener à bien la transition… et à relancer l’activité économique.

Publié le 15 novembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Les Comores reviennent de loin. Fragilisées dès leur accession à l’indépendance par le maintien de Mayotte dans le giron français, marquées par l’échec de l’expérience révolutionnaire engagée par Ali Soilih entre 1975 et 1978, éprouvées ensuite par une succession presque ininterrompue de tentatives – réussies ou avortées – de coups d’État, elles ont failli voler en éclats. La faute au séparatisme. La double crise née de la sécession anjouanaise et du renversement le 30 avril 1999 d’un régime légal, mais défaillant, par le chef de l’armée, le colonel Azali Assoumani, a paralysé l’archipel entre 1997 et 2001. Qui alors aurait pensé que les Anjouanais, habitués à s’autogérer et devenus maîtres de leur destin, accepteraient de réintégrer sans discuter le giron comorien ? Qu’un nouvel ensemble vaguement confédéral, baptisé Union, avait une chance de fonctionner, malgré la très lourde architecture institutionnelle imaginée pour faire cohabiter des îles qui avaient rompu tout dialogue ? Contrairement aux prévisions les plus pessimistes, le verdict des urnes a mis fin à la véritable guerre de tranchées politico-juridique qui opposait le président Azali à ses détracteurs de la mouvance des « dinosaures » (notables), sans torpiller au passage le processus de réconciliation engagé avec Anjouan par le chef de l’État… Au terme, il est vrai, d’un processus fertile en psychodrames et en rebondissements. Le dernier en date aura duré presque deux ans : une grave crise a opposé le pouvoir central à l’exécutif insulaire de Ngazidja (Grande Comore), avec pour enjeu la répartition des compétences. Mais, aujourd’hui, le bout du tunnel est proche. Les élections aux Assemblées des îles et de l’Union ont été organisées entre mars et mai 2003 et n’ont pas donné lieu à de véritables contestations. Le camp présidentiel, dont les couleurs étaient défendues par la Convention pour le renouveau des Comores (CRC) d’Abdou Soefo, a limité les dégâts, sans parvenir néanmoins à l’emporter. Le chef de l’État a tiré les leçons de son revers et repris la main en formant, en juillet, un gouvernement d’union. Il y a fait participer des ministres désignés par les exécutifs d’Anjouan – Ahamadi Abdoulbastoï au Budget et aux Finances – et de Mohéli – Saïd Hamza au Plan et à l’Aménagement du territoire. En revanche, le président de Ngazidja, Mzé Abdou Soulé el-Bak, a refusé de participer à la coalition. « Nous avions posé nos conditions, explique Mohamed Issimaïla, porte-parole du gouvernement de Ngazidja. Nos électeurs n’auraient pas compris que nous fassions un chèque en blanc à l’Union, alors qu’elle nous a asphyxiés et privés de l’essentiel de nos compétences pendant deux ans. » Sur le front institutionnel, les députés, malgré beaucoup de contretemps, mettent la dernière touche aux lois organiques qui vont délimiter précisément le partage des compétences entre l’Union et les îles. Et les organes prévus par la Constitution de 2001 – la Cour suprême, les cours d’appel, etc. – ont été installés ou sont sur le point de l’être. Bref, la phase de rodage se termine.
Côté diplomatique, malgré des frictions avec les bailleurs de fonds, les liens ont été rétablis avec la communauté internationale. Parmi les « amis des Comores », la France, la Commission de l’océan Indien, l’Afrique du Sud, l’Union africaine, la Ligue arabe et l’Organisation internationale de la Francophonie se sont largement impliquées depuis février 2001, date de la signature des accords de Fomboni scellant la réconciliation avec Anjouan, pour aider les différentes parties à surmonter leurs divergences et à trouver un accord global. Des personnalités comme le président sud-africain Thabo Mbeki, le secrétaire général de la Francophonie Abdou Diouf ou le Premier ministre mauricien Paul Bérenger ont ainsi fait le voyage de Moroni, à la fin de l’an dernier, pour arracher la signature de tous les acteurs de la crise et lancer le processus électoral. Cette intervention internationale a apaisé les esprits et reste la meilleure garantie des accords du 20 décembre 2003. Les Comores ont engrangé les dividendes de la normalisation. Un accord d’allègement de la dette avec le FMI est de nouveau envisageable à l’horizon 2006. Les rapports avec la France, malgré la question épineuse de Mayotte, se sont réchauffés. Les deux pays négocient en ce moment les modalités d’une rencontre à l’Élysée entre Jacques Chirac et Azali Assoumani. L’entrevue pourrait avoir lieu au premier semestre 2005. L’Afrique du Sud vient, quant à elle, d’ouvrir une ambassade à Moroni. Les Américains pourraient, eux aussi, revenir, avec la possible installation d’un centre culturel à Moroni.
La fin de la transition, qui sera effective quand le chef de l’État promulguera les lois organiques actuellement en discussion, ne va cependant pas régler tous les problèmes de l’archipel. Car la réponse institutionnelle apportée à la double crise qui l’a paralysé depuis 1997 en a engendré de nouveaux. Les Comores, qui comptent à peine plus de 600 000 habitants, se retrouvent aujourd’hui dotées de quatre présidents, d’un chef de l’État et de trois chefs de l’exécutif insulaire, d’autant de gouvernements et d’Assemblées législatives, d’une armée de ministres, de directeurs de cabinet, de chargés de mission et d’une pléthore d’institutions à vocation soit fédérale, soit insulaire. Les dépenses publiques – principalement la masse salariale -, qui avaient été relativement bien maîtrisées jusqu’alors, ont connu une inflation considérable en 2004. Une partie des difficultés budgétaires actuelles (les salaires des fonctionnaires accusent plus de deux mois de retard) provient de là, et de douloureux correctifs devront être apportés. Dans le même temps, tous les acteurs, à commencer par les autorités de l’Union, devront absolument résister à la tentation de remettre en question le compromis initial, qui reste fragile. Le système actuel, avec ses structures surdimensionnées et budgétivores, et ses procédures complexes, est tout sauf parfait. Il ressemble même, à bien des égards, à une usine à gaz. Mais c’est peut-être le « moins pire » de tous. Les démons séparatistes, refoulés mais pas totalement exorcisés, pourraient refaire surface à la moindre remise en question des accords du 20 décembre 2003. Les Comores sont donc condamnées à aller au bout de la logique institutionnelle qu’elles se sont choisie. Elles doivent expérimenter la présidence tournante entre les îles, prévue par la Constitution, et qui est le ciment des nouvelles institutions. La présidence de l’Union, assumée par le président Azali, un Grand Comorien, doit être confiée en 2006 à un Anjouanais, avant de revenir, en 2010, à un Mohélien. Ce n’est qu’à l’issue d’une rotation complète, lorsque chacun aura pu évaluer les avantages et les inconvénients du système, qu’il deviendra possible de l’amender. Toute intervention prématurée risquerait d’apparaître comme une opération politicienne, effectuée au détriment d’une partie, qui serait alors tentée de remettre ce processus en question. Et, pourquoi pas, de quitter l’Union…
Enfin, maintenant que s’achève le cycle de la transition, les hommes politiques comoriens, toutes obédiences confondues, vont devoir s’attaquer effectivement au problème du sous-développement. C’est l’échec économique qui a formé le terreau propice au séparatisme. Reprochant au pouvoir central d’avoir négligé leur île, les Anjouanais ont commencé par demander le rattachement à la France, l’ancienne puissance coloniale. Un rattachement pour eux synonyme d’aide sociale et d’accès au RMI – le revenu minimum d’insertion en vigueur à Mayotte. À Anjouan comme ailleurs sur l’archipel, l’État s’est montré défaillant. Au lieu de s’améliorer, les conditions de vie des Comoriens n’ont cessé de se dégrader depuis 1975. Fatiguée par leurs querelles, la population ne fait plus confiance à ses dirigeants. Elle n’en peut plus d’attendre. La solidarité familiale, les réseaux d’entraide villageoise et les transferts d’argent de la diaspora ont permis jusqu’à présent d’éviter le pire, notamment sur l’île de Ngazidja, la plus peuplée de l’archipel, où les structures communautaires demeurent très vivaces. Mais il serait temps que l’État prenne le relais pour dessiner les contours d’un avenir meilleur. C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire. Mais si l’allègement de la dette – qui représente l’équivalent de neuf années de recettes budgétaires cumulées – finissait par survenir, tout deviendrait alors possible…

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