Narcodépendance

Depuis 2001, la culture du pavot a repris de plus belle. Conséquence : le pays est redevenu le premier producteur mondial d’opium.

Publié le 16 novembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Depuis les élections du 9 octobre, qui ont confirmé la légitimité du président jusqu’alors provisoire Hamid Karzaï, l’Afghanistan est la dernière-née des démocraties. Mais le pays est aussi redevenu le premier producteur d’opium du monde. La culture du pavot, interdite par les talibans et qui était tombée à 185 tonnes en 2001, est en voie de retrouver son niveau record de 1990, 4 565 tonnes (voir infographies). « Politiquement, l’Afghanistan a fait de vrais progrès, constate Antonio Mara Costa, directeur de l’Office contre la drogue et le crime de l’ONU. Sur le front des stupéfiants, en revanche, non seulement la situation ne s’est pas améliorée, mais elle s’est aggravée. »
La production d’opium est aujourd’hui estimée à 3 968 tonnes, soit plus des deux tiers de la production mondiale. Elle alimente 95 % de la consommation européenne et génère un chiffre d’affaires de 30 milliards de dollars. Les quelque 2,5 milliards de dollars qui restent en Afghanistan représentent plus du tiers de son Produit intérieur brut.
Le problème est que dans ce pays, où le revenu annuel moyen par habitant était de 184 dollars en 2003, la tentation du pavot est irrésistible. L’opium rapporte à un paysan 57 fois plus que le blé, deuxième source de revenus. L’Office contre la drogue et le crime estime que 264 000 familles afghanes cultivent le pavot. À 6 ou 7 personnes par famille (chacune a en moyenne 5 enfants), l’opium fait donc vivre dans les campagnes 1,7 million de personnes, soit environ 7 % des 24 millions d’habitants que compte l’Afghanistan.
Pour ces familles, la récolte du pavot en 2003 a représenté en moyenne un revenu de 3 900 dollars, très variable selon les régions : de 1 700 dollars au nord à 6 800 dollars au sud. Soit, par individu, une moyenne de 259 dollars au nord et de plus de 1 000 dollars au sud. On est donc très au-dessus de la moyenne nationale de 184 dollars. Rien d’étonnant, donc, à ce que la culture du pavot s’étende maintenant à 28 des 32 provinces, au lieu de 18 en 1999. Et qu’elle ait occupé, toujours selon l’ONU, 80 000 hectares en 2003, contre 74 000 en 2002 et… 8 000 en 2001 (après le sommet, là aussi, de 1999 : 91 000 hectares).
Sans aller jusqu’à restaurer le régime taliban, comment peut-on mettre fin à ce fléau qui risque de compromettre la démocratisation du pays et de rendre plus difficile un peu partout dans le monde la lutte « contre la drogue et le crime » ? Il faudrait aller vite, car il n’y a pas encore, comme en Colombie, de cartel organisé. Mais une infrastructure se met en place, ne serait-ce que pour le traitement de la morphine, qui se faisait, jusqu’ici, au cours du transport vers l’Europe.
La première mesure serait d’écarter les gouverneurs des principales zones de production, comme les provinces de Halmand et de Nangarhar. Karzaï a déjà fait un geste dans la bonne direction en limogeant le gouverneur de Herat.
Il faudrait, en second lieu, mettre hors d’état de nuire les principaux trafiquants. Les autorités américaines en ont repéré près d’une dizaine, dont Hadji Djouma Khan, qui aurait des liens avec les talibans clandestins, et Hadji Bachir Nourzaï, qui serait en contact, lui, avec al-Qaïda. Selon la commission des relations internationales de la Chambre des représentants, Nourzaï livrerait toutes les huit semaines plus de 2 tonnes d’opium récoltées dans la région de Kandahar à des membres d’al-Qaïda cachés au Pakistan. Il faudrait, troisièmement, détruire les raffineries et les laboratoires. Les Américains devraient pouvoir en localiser le plus grand nombre, ne serait-ce qu’avec l’observation par satellite.
Il faudrait, enfin, proposer des solutions de rechange qui ne se limitent pas à encourager d’autres cultures. Une étude de la Banque mondiale recommande des programmes de développement rural, d’éducation et même de formation à des emplois non agricoles qui supposeraient un financement international.
Ce dernier point est capital. Selon la Banque mondiale, il n’y a pas d’autre pays où l’argent de la drogue joue un rôle aussi important, du fait, notamment, de la faiblesse du gouvernement central et de l’insécurité générale. Mais on en est au point où si un programme d’éradication et d’interdiction de l’opium était immédiatement couronné de succès, l’économie glisserait non moins immédiatement dans la récession.
Selon l’accord de Bonn de 2001 sur le programme de reconstruction de l’Afghanistan, les États-Unis prenaient en charge la sécurité, l’Allemagne la formation de la police, et l’Italie la mise en place d’un système judiciaire. La lutte contre la drogue était confiée au Royaume-Uni. En 2002, les Britanniques ont cherché à détruire un certain nombre de cultures de pavot en indemnisant les paysans et, en 2003, à inciter les gouverneurs à agir dans le même sens. Deux mesures qui ont plutôt encouragé les paysans à multiplier les champs de pavots pour se faire indemniser en les arrachant. Le Royaume-Uni a formé, cette année, un commando de 150 hommes baptisé Afghan Special Narcotics Force, ou Force 333, qui semble obtenir de meilleurs résultats. Elle envisage d’investir entre 150 millions et 200 millions de dollars dans ce combat contre l’opium. Les États-Unis prévoient d’y consacrer dans les années à venir entre 300 millions et 400 millions de dollars. Doug Wankel, qui supervise les opérations à l’ambassade de Kaboul, estime que la tendance pourrait s’inverser dès l’année prochaine.

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