Mohammed V rentre d’exil
Vêtu d’une jellaba grise, le sultan Sidi Mohammed Ben Youssef descend du DC-6 qui vient de le ramener à Rabat, après deux années d’exil forcé. Il est accompagné de son fils, Moulay Hassan le futur Hassan II et des membres de la famille royale. Sur le tarmac de l’aéroport, il est accueilli par un groupe de personnalités civiles et militaires, marocaines et françaises. Nous sommes le 16 novembre 1955, en fin de matinée. Après plus de quarante ans de domination étrangère, le Maroc s’apprête à recouvrer son indépendance.
Les grandes dates de cette épopée sont connues. Le 30 mars 1912, le royaume est placé sous
protectorat français. En 1927, Mohammed Ben Youssef, fils du sultan défunt, est désigné pour succéder à son père. Dès les années 1930, il devient l’âme de la résistance à la colonisation. En 1943, Allal el-Fassi fonde le parti de l’Istiqlal (« l’indépendance »). Le 20 août 1953, le sultan et sa famille sont arrêtés et exilés en Corse, puis à Madagascar. Les autorités coloniales installent sur le trône son cousin Ben Arafa, « un ectoplasme inventé dans les officines du protectorat », selon la formule de l’écrivain Jean Lacouture. Bientôt, les affrontements sanglants entre les nationalistes et les autorités coloniales se multiplient, des bombes explosent. Le pays est plongé dans le chaos.
Le 1er novembre 1954, l’Algérie s’embrase à son tour. Pour la première fois, les autorités françaises envisagent de lâcher du lest au Maroc et en Tunisie pour se concentrer sur l’Algérie, qu’il n’est pas question une seconde d’abandonner. Du moins le croient-elles. La formation d’une armée de libération dans le Rif renforce l’inquiétude des autorités. Des négociations entre les dirigeants nationalistes (Abderrahim Bouabid et Mehdi Ben Barka notamment) et Edgar Faure, le président du Conseil, ont lieu en vue du retour du sultan au Maroc. Le 29 octobre 1955, celui-ci quitte Madagascar pour la France, où il rencontre Antoine Pinay, le ministre des Affaires étrangères. À l’issue de leurs entretiens, une déclaration commune est rendue publique : le Maroc va retrouver sa souveraineté et devenir « un État démocratique à monarchie constitutionnelle ».
Le 16 novembre, Mohammed V débarque donc à l’aéroport de Rabat. À l’extérieur, une véritable marée humaine l’attend. Des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants venus des quatre coins du pays. Le souverain prend place dans une limousine découverte et le cortège s’ébranle en direction du palais. Debout, il salue la foule énorme assemblée tout au long du parcours. L’émotion est à son comble. À l’évidence, ni le temps ni l’éloignement n’ont eu raison des liens qui unissent le peuple marocain à la dynastie alaouite. Mohammed V n’a jamais cessé de régner sur le cur de ses sujets.
Deux jours plus tard, le 18 novembre 1955, cent mille personnes sont présentes lors du discours du Trône. « Nous nous réjouissons de pouvoir annoncer la fin du régime de tutelle et du protectorat et l’avènement d’une ère de liberté et d’indépendance », déclare le roi. Une autre histoire commence.
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