Luanda le retour

Grâce à ses ressources pétrolières et diamantifères, mais aussi à sa puissance militaire, le pays, qui connaît enfin la paix, entend jouer un rôle diplomatique à la mesure de son poids économique.

Publié le 15 novembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Une délégation de la Banque mondiale à Luanda du 6 au 16 novembre pour discuter avec les autorités sur les perspectives de croissance et l’élaboration d’un Mémorandum économique ; arrivée dans la capitale angolaise, quelques jours plus tôt, le 1er novembre, d’une équipe du Fonds monétaire international (FMI) dirigée par le Japonais Takatoshi Kato, directeur général adjoint de l’institution ; visites multiples de personnalités politiques étrangères… Isolée de 1975 à 2002, pour cause de guerre civile, l’Angola revient sur la scène internationale.
Le retour de la paix – au lendemain de la mort au combat, le 22 février 2002, de l’ex-chef rebelle Jonas Savimbi – a donné le signal d’une « ruée vers l’eldorado angolais ». Les richesses pétrolières et diamantifères du pays attirent. Dirigeants politiques étrangers, responsables d’organismes internationaux, hommes d’affaires, mais aussi immigrants en quête du pays de Cocagne et « monteurs de projets » se bousculent au portillon.
Après avoir cumulé la présidence en exercice de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies entre 2002 et 2003, l’Angola vit depuis plusieurs mois au rythme d’un véritable ballet de personnalités étrangères : le président brésilien Luiz Inácio Lula Da Silva, son homologue uruguayen Jorge Battle Ibanez, le Premier ministre portugais Durao Barroso (aujourd’hui président de la Commission européenne)… Le 15 octobre dernier, le chef de la diplomatie belge, Karel De Gucht, a été à son tour reçu à Futungo de Belas, le palais d’Eduardo Dos Santos juché sur les hauteurs de la capitale.
L’ex-colonie portugaise ambitionne, selon le ministre des Affaires étrangères João Miranda, d’atteindre à moyen terme « un poids diplomatique à la mesure de son poids économique et militaire ». Située à la charnière de l’Afrique australe et centrale, l’Angola ne cesse d’accroître son influence dans ces deux sous-régions. À la clé, une « diplomatie économique » menée à travers la Sonangol, l’entreprise publique qui exploite le pétrole. Ce mastodonte, qui brasse les 3,5 milliards de dollars rapportés annuellement au pays par l’or noir, sert de levier financier à l’action intérieure mais aussi extérieure du pouvoir angolais. La Sonangol est active au sein de la Sonair, une compagnie regroupant divers pays pétroliers africains, dont elle est l’actionnaire principal.
Elle est également présente en RD Congo, « porte d’entrée » de l’influence de l’Angola en Afrique centrale, où elle jouit depuis septembre 1998 d’un agrément de distributeur d’hydrocarbures. Cette place sur un marché juteux de 600 000 m3 de carburant par an reflète la qualité des rapports entre les deux capitales. Luanda a promptement secouru Kinshasa en août 1998, quand les alliés rwandais et ougandais de l’ex-président Laurent-Désiré Kabila se sont brusquement retournés contre lui. L’Angola est le principal soutien de la RDC dans le conflit des Grands Lacs. Les deux chefs d’État entretiennent de bons rapports personnels, qu’illustre la présence de Joseph Kabila au mariage de la fille de Dos Santos en 2003.
Avec une armée forte de 130 000 hommes (auxquels se sont ajoutés 5 000 combattants de l’Unita intégrés dans les forces de défense et de sécurité à la faveur de l’accord de paix du 4 avril 2002), bien équipés et aguerris au combat par vingt-sept ans de guerre civile, l’Angola a une réelle capacité de dissuasion. En octobre 1997, ses troupes sont intervenues au Congo-Brazzaville pour aider Denis Sassou Nguesso à reprendre le pouvoir, et mettre ainsi fin à une violente guerre civile.
Ayant aujourd’hui retiré toutes ses troupes des deux Congos, Luanda n’en est pas moins présente dans ces pays, par le truchement de la coopération policière et militaire. De passage en RDC, fin juin 2004, João Miranda a transmis l’accord de Dos Santos au président congolais, Joseph Kabila, à la suite d’une requête de celui-ci relative à « la formation de la police et de l’armée congolaises ».
Luanda fournit également une « assistance en matière d’achat d’armements aux pays amis ». Le gouvernement ivoirien s’est ainsi procuré, fin 2002, véhicules de combat et munitions sur le stock de l’Angola, après accord de celle-ci avec les marchands d’armes. L’influence de l’ex-colonie portugaise s’étend donc au-delà de ses voisins. Et s’affirme pour contrebalancer Pretoria en Afrique centrale et australe. Le pouvoir angolais s’est allié à la Zambie et à la Namibie pour disputer à l’Afrique du Sud le leadership au sein de la SADC.
Mais les deux « concurrents », liés par la vieille amitié entre le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA) et le Congrès national africain (ANC), tous deux anciens mouvements de libération, ne mêlent pas rivalité diplomatique et intérêts économiques. Les hommes d’affaires sud-africains sont présents dans la capitale angolaise, située à trois heures de vol de leur pays. En 2003, ils y ont investi 400 millions de dollars, dans la grande distribution, la restauration rapide, le BTP, l’énergie…
Refusant le leadership sud-africain, l’Angola a son « modèle » hors d’Afrique : « le grand frère brésilien », avec lequel le pays de Dos Santos partage la même langue et la même culture, et qui l’inonde de ses téléfilms et de sa mode vestimentaire.
En visite à Luanda en novembre 2003, le président Lula a annoncé la fabrication chez ses hôtes de médicaments antirétroviraux par des laboratoires brésiliens. Les échanges entre les deux pays (400 millions de dollars de pétrole angolais vendus au Brésil, et des produits brésiliens exportés en Angola pour 700 millions de dollars en 2002) s’accroissent. Un contrat de pêche de 50 millions de dollars a été signé en janvier 2004. Odebrecht, le tentaculaire groupe brésilien (mines, infrastructures, commerce…) présent en Angola depuis plus de vingt ans, est en expansion.
Vis-à-vis de l’Europe et de l’Amérique du Nord, Luanda use d’une « pétrodiplomatie » éprouvée qui a montré son efficacité. José Eduardo Dos Santos joue les uns contre les autres au gré des intérêts économiques et politiques de son pays. Deuxième producteur de brut en Afrique subsaharienne (derrière le Nigeria), l’Angola va passer de quelque 1 million de barils par jour (b/j) cette année à 1,6 million de b/j en 2006. Ce qui dépassera alors la production de certains pays membres de l’Opep (Algérie, Libye, Indonésie, Qatar).
De telles perspectives pétrolières, ajoutées aux richesses en diamant et en bois, font de Luanda l’une des capitales les plus courtisées du continent. D’où le numéro d’équilibriste auquel s’est livré Paris depuis 2000, quand a été mis en examen pour « commerce d’armes illicite et trafic d’influence » Pierre Falcone, un « homme de confiance » de Dos Santos. En réaction au mandat d’arrêt international lancé en janvier 2004 par la justice française contre son « protégé » (qu’il a nommé ministre plénipotentiaire auprès de l’Unesco pour lui faire bénéficier d’une immunité diplomatique), le numéro un angolais n’a pas fait dans la dentelle. Il a traîné plusieurs mois avant de recevoir les lettres de créances de Guy Azaïs, nommé ambassadeur de France à Luanda le 22 février dernier. Avant d’exprimer, en des termes à peine voilés, sa volonté de priver le groupe français Total de futurs permis pétroliers dans son pays. Le passage à Luanda du conseiller Afrique de l’Élysée, Michel de Bonnecorse, n’y a pas changé grand-chose. Pas plus que le remboursement par le groupe pétrolier français à la Sonangol (sous le couvert d’une transaction normale) des 10 millions d’euros qu’elle a versés comme caution en novembre 2001 pour obtenir la libération de Falcone (voir p. 101).
Contre Paris, Luanda joue à fond la carte des États-Unis, où Dos Santos a été reçu avec tous les honneurs par George W. Bush en février 2002 et en mai 2004. L’Angola a fourni plus de 5 % des importations américaines en 2003 (un chiffre qui devrait doubler en 2006). Son pétrole est perçu par le secrétariat d’État américain comme « un enjeu stratégique national pour les États-Unis en cette période d’incertitudes au Moyen-Orient ».

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