Les chantiers du président

Malgré les difficultés financières qu’il rencontre, l’État tente d’améliorer la qualité des infrastructures publiques.

Publié le 15 novembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Plus de un Comorien sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté. Les autorités souhaitent réduire ce taux de moitié d’ici à 2015. L’objectif est ambitieux, la population de l’archipel augmentant au rythme de 2,3 % par an. Aussi ne pourra-t-il être atteint que si la croissance économique dépasse le taux annuel de 5 % en moyenne sur la prochaine décennie. Sans apport de capitaux extérieurs, le pari sera impossible à tenir. Mais faire venir les investisseurs suppose, au préalable, d’agir sur l’environnement économique et de mettre à niveau les infrastructures de base. C’est la raison pour laquelle les autorités comoriennes se sont engagées dans de grands chantiers de développement, financés sur fonds propres. Les investissements publics, gelés auparavant, sont repartis à la hausse après l’arrivée au pouvoir du président Azali : 45 milliards de FC ont été dépensés entre 1999 et 2003. Une politique généreuse, mais jugée trop dispendieuse par les détracteurs de l’équipe en place. Ces dépenses ont été financées en puisant dans les caisses des quelques sociétés étatiques rentables, comme la Société des hydrocarbures ou l’Office national pour l’importation et la commercialisation du riz (Onicor), et sont directement à l’origine de la déconfiture des comptes publics. Mais eût-il été préférable de ne rien faire et de laisser, par exemple, le pays continuer à subir des coupures d’électricité à répétition ? Si les opinions divergent, force est de constater que, dans au moins trois domaines stratégiques – l’énergie, les télécommunications et l’enseignement supérieur -, des efforts considérables ont été réalisés. Et, même si des incertitudes demeurent quant à leur pérennité, ils ont pour l’heure été couronnés de succès.

Energie Réhabiliter le réseau

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La fourniture en énergie a longtemps constitué le casse-tête numéro un des Comoriens. Ils
reviennent de loin. Familier des coupures et des délestages, le pays est resté plongé dans le noir pendant une année entière, entre 1996 et 1997. La mise en concession au profit du groupe français Vivendi du service public de distribution de l’eau et de l’électricité, à la fin des années 1990, a suscité beaucoup d’espoirs, vite déçus. Au
lieu de s’améliorer, la situation a tellement empiré que l’État a dû reprendre la société en gestion directe. Rebaptisée Ma Mwe, elle a été dotée d’une nouvelle direction, dont le capitaine Fakridine Mahamoud, ancien aide de camp du président Azali, a pris la tête. Finalisé l’an dernier, l’achat de nouveaux générateurs a porté la capacité de production du pays à 20000 kW, contre 4000 kW en 1999 ! Les Comores, dont les besoins domestiques
n’excèdent pas 6500 kW, sont maintenant largement excédentaires. « On attendait depuis longtemps une amélioration de la situation, surtout pour nos clients, qui acceptaient mal
de se retrouver si souvent dans le noir, se félicite le gérant d’un petit hôtel de Moroni. Nous n’avions pas les moyens de nous payer un groupe électrogène, et cela nous pénalisait. »
Les 3 millions d’euros affectés à l’achat des générateurs ont permis de parer au plus pressé, mais le réseau de distribution de l’électricité reste médiocre et devra être réhabilité. Un chantier de longue haleine, pour lequel le pays devrait bénéficier de
l’aide de l’Égypte. Le coût du programme, qui sera étalé sur plusieurs années, a été estimé à 16 millions de dollars. Avant cela, la Ma Mwe devra achever de régler le problème de la commercialisation de l’énergie, en poursuivant la lutte contre la fraude
les branchements illégaux et en installant des compteurs prépayés pour réduire les problèmes d’impayés. Le travail de sensibilisation des usagers, entamé depuis un an, commence d’ailleurs à porter ses fruits, et une petite révolution s’est produite tant
l’idée de la « gratuité » du courant était profondément ancrée dans les mentalités.
À plus long terme, d’autres défis attendent la société publique, que les autorités rêvent de privatiser une fois qu’elle sera redevenue rentable : le renouvellement de l’outil de production et son corollaire, la baisse du prix de l’énergie. « La centrale fonctionne au gasoil, explique le ministre Houmed Msaidié, en charge, notamment, des infrastructures stratégiques. C’est beaucoup trop cher, nous devons penser à l’avenir et réfléchir avec nos partenaires à des solutions alternatives. Le fuel lourd ou, pourquoi pas, l’éolien
ou le solaire »
Toujours est-il que l’énergie reste un produit de luxe pour de nombreux Comoriens. Ainsi, selon le Rapport mondial sur le développement humain 2004 publié par le Programme des
Nations unies pour le développement (Pnud), la consommation d’électricité par habitant n’a pratiquement pas évolué au cours des deux dernières décennies.

Télécoms Privatisation en vue

Huri Liberté, le réseau de téléphone cellulaire lancé en octobre 2003, vient de souffler sa première bougie. La société française Alcatel, qui proposait une solution technique compatible avec les infrastructures de téléphonie fixe existantes, a remporté le marché d’équipement du réseau. L’engouement pour le portable a dépassé toutes les prévisions. Ses promoteurs tablaient sur la vente d’environ 3 000 kits. À l’arrivée, sur les onze premiers mois, 7 200 kits ont été commercialisés. Un succès qui s’explique moins par le prix du service, resté prohibitif, que par les besoins, à la fois immenses et insatisfaits. La généralisation du portable a, en outre, permis d’augmenter de 30 % les recettes de la téléphonie fixe, car ses usagers s’en servent maintenant pour appeler les mobiles de leurs correspondants. L’État, qui a investi 4 milliards de FC dans l’opération Huri Liberté, est d’ores et déjà rentré dans ses fonds et a pu rembourser par anticipation les créanciers auprès desquels il avait gagé une partie des recettes futures du service.
« Avant, les gens étaient souvent injoignables, raconte Hassan Mohamed, Comorien installé en France. J’espère cependant que les prix vont baisser, surtout les appels internationaux, qui restent très chers. » Les autorités veulent désormais porter la couverture du réseau à 100 % d’ici à la fin de 2005. Aujourd’hui, près de 60 % du territoire sont couverts. La Grande Comore se situe dans la moyenne, et Anjouan la dépasse, puisque le taux y approche 80 %. Enfin, toutes les grandes villes sont couvertes à 100 %. Et, là aussi, à terme, une privatisation du réseau de téléphonie mobile est envisageable. Le cadre juridique a commencé à être adapté en conséquence.

Enseignement Se former au pays

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Inaugurée à la rentrée d’octobre 2003, l’université des Comores est sans conteste la réalisation à laquelle Azali Assoumani est le plus attaché. Jusqu’à l’année dernière, en effet, les 2 000 bacheliers qui sortaient des lycées de l’archipel étaient obligés de
s’expatrier s’ils voulaient suivre un cursus universitaire. Et, souvent, ils le faisaient dans les pires conditions, se dirigeant là où on voulait bien les accueillir. L’Europe ayant fermé ses frontières et diminué le nombre de bourses, de plus en plus de Comoriens
se sont repliés sur les pays arabes Égypte, Soudan ou Arabie saoudite. « Cette situation a fini par engendrer de sérieuses inquiétudes, raconte Othmane Abdou, le secrétaire général de l’université. Beaucoup se retrouvaient rapidement en situation d’échec, car, manquant d’argent, ils étaient contraints de travailler parallèlement, au détriment de leurs études. D’autres réussissaient et revenaient, mais avec des profils inadaptés aux besoins du pays, parce qu’ils n’avaient pas choisi ou pas pu s’inscrire dans les bonnes filières. Enfin, il y avait aussi le risque de subversion. Abandonnés à euxmêmes dans un pays étranger, nos jeunes pouvaient facilement tomber dans les griffes de fondamentalistes wahhabites. » Décidée et montée en l’espace d’à peine dix mois, l’université des Comores a réussi à scolariser 1700 étudiants à la rentrée 2003. Elle en
attend entre 2500 et 3000 cette année. Au programme: des cycles courts professionnalisants, de type IUT, ainsi que des cursus plus classiques : lettres, droit et économie, sciences et lettres arabes, jusqu’à la licence ou la maîtrise. L’université a été dotée d’une enveloppe de 750 millions de FC la première année, financée par une taxe sur le riz, qui a été maintenue. La hausse du nombre des inscrits risque de poser
quelques problèmes logistiques. Surtout en ces temps d’austérité. Mais pas question de faire machine arrière. « Je veillerai à ce que l’université soit épargnée, explique le président Azali. Elle coûte cher, mais tout le monde y gagne. Avant, les familles faisaient sortir entre 900 millions et 1 milliard de FC pour subvenir aux besoins des enfants partis à l’étranger. Aujourd’hui, cet argent reste dans le circuit économique national. » Enfin, l’institution, en brassant des étudiants originaires des trois îles, est aussi un puissant outil au service de la cohésion nationale

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