[Chronique] Le système judiciaire algérien a transformé Khaled Drareni en symbole
Condamné à trois ans de prison ferme, le journaliste et représentant de RSF en Algérie est en train de devenir une icône de la lutte pour la liberté de la presse et les droits de l’Homme.
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 11 août 2020 Lecture : 2 minutes.
Alors qu’un journaliste algérien est condamné à trois ans de prison ferme, son pays est condamné à une certaine opprobre internationale. Il lui reste à dégainer les arguments de l’indépendance de la justice et de la souveraineté nationale…
La justice est aveugle, par vocation, comme en témoigne les yeux bandés de la déesse grecque Thémis. Elle se doit d’être dégagée des arguments émotionnels, des sensibilités militantes et des calculs d’images.
Les autorités judiciaires algériennes sont-elles pour autant stoïques face à la vague d’indignation médiatique qui suit la condamnation de Khaled Drareni à trois ans de prison ferme ? Car c’est justement la résonnance médiatique du travail du condamné qui gênait le ministère public aux entournures…
Boomerang médiatique
Ce lundi, c’est pour « incitation à attroupement non armé » et « atteinte à l’unité nationale » que le lourd verdict s’est abattu, en première instance, sur le journaliste correspondant de la chaîne de
télévision Tv5 Monde et de l’ONG Reporters sans frontières (RSF). Bien entendu, une carte d’association européenne ou d’organe de presse occidental ne saurait constituer un totem d’immunité.
Mais si le dossier jugé est aussi « vide » que l’affirme l’avocat du collectif de défense Nouredine Benissad, la condamnation ne risque-t-elle pas de réveiller un mouvement de protestation citoyenne quelque peu endolori par la crise sanitaire ?
La sévérité de la sentence projette de la lumière sur le Hirak
La sévérité de la sentence projette de la lumière sur ce Hirak à propos duquel on reprochait justement à Khaled Drareni de projeter de la lumière… À supposer qu’une protestation populaire soit jugée illégitime, la loupe médiatique qui en rend compte n’en est pas responsable, quand bien même les angles éditoriaux trahissent une position personnelle.
Il en va souvent ainsi des rapports entre pouvoir et presse : « photographe » d’une actualité, le journaliste est dénoncé comme un catalyseur de la grogne couverte et finalement accusé d’en être une cause.
Puisque l’action politique est davantage affaire de calcul stratégique que l’action judiciaire, le régime algérien doit comprendre que la répression du travail de Khaled Drareni n’est pas seulement le bris d’un thermomètre qui ne saurait éteindre la fièvre du Hirak. Elle est la garantie de voir se dresser d’autres thermomètres plus militants et plus internationaux.
Caisse de résonance internationale
Même drapés dans leurs arguments de souveraineté nationale et d’indépendance de la justice, les pouvoirs politiques sont généralement moins insensibles à la caisse de résonance internationale qu’ils veulent bien le faire croire.
Quasiment réduit au silence depuis le 29 mars, la voix de Drareni n’a peut-être jamais été aussi assourdissante. Et l’on redécouvre, a posteriori, ses mises en garde de 2019 qui expliquaient que la liberté des Algériens s’étaient élargie depuis le départ du président Bouteflika, mais que la liberté de la presse avait pris « le chemin inverse ».
Abdelkrim Zeghileche ou Ali Djamel Toubal : depuis quelques mois, d’autres journalistes ont été la cible d’accusations aussi lourdes que la menace de l’intérêt national ou l’intelligence avec des « parties étrangères ».
Répond-on à des accusations de dérives autoritaires par le bâillonnement –même partiel– des droits d’expression et d’information ? Une justice aveugle n’est pas toujours sourde aux murmures du pouvoir politique. Aux ordres ou pas, le système judiciaire algérien vient de transformer Khaled Drareni en symbole.
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