Les acteurs de la crise

Loyalistes ou rebelles, forces impartiales ou « médiateurs », tous, à des degrés divers, sont montés au front. Les uns pour défendre le régime ou l’abattre. Les autres pour éviter le pire. Revue de détail…

Publié le 15 novembre 2004 Lecture : 7 minutes.

Les « Gbagbo boys »

Mamadou Koulibaly
Classé parmi les « durs » du régime, le président de l’Assemblée nationale fait partie, de source concordante, de ceux qui ont convaincu Laurent Gbagbo de passer à l’offensive, le 4 novembre. Partisan de la première heure de l’option militaire pour dénouer la crise – il a claqué la porte en janvier 2003, en pleines négociations à Marcoussis, pour rejoindre Abidjan -, Koulibaly ne quitte pratiquement plus la résidence de Cocody du chef de l’État depuis l’éclatement des hostilités. Sauf pour des sorties médiatiques qui font froid dans le dos.
Dans l’après-midi du 7 novembre, il a ainsi jeté un pavé dans la mare, après la destruction de l’aviation ivoirienne et la prise de l’aéroport d’Abidjan par la force Licorne. Koulibaly a promis « pire que le Vietnam » à la France, et des réactions « hyper barbares » contre ses ressortissants.
Il devait opérer le lendemain un revirement brutal pour clamer la « disponibilité de l’État à négocier », et se retrouver le 8 novembre en train de discuter avec les généraux Fall de l’Onuci et Poncet de Licorne afin d’obtenir que l’armée ivoirienne soit associée aux patrouilles des troupes françaises qui se sont rendues maîtres d’Abidjan.
Qu’est-ce qui a fait tourner si rapidement casaque à cet agrégé d’économie, Dioula et musulman de 41 ans, devenu la « bête noire » de ses « frères nordistes » ? Une instruction contraire venue « d’en haut » ?

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Mathias Doué
Ce général de brigade de 58 ans, chef d’état-major de l’armée ivoirienne depuis octobre 2000, est celui qui a empêché le pire. Avec une bonne lecture des rapports de force,
Doué a choisi, contre l’avis des boutefeux de l’entourage présidentiel, de ne pas exercer de représailles après la destruction des Sukhoï SU-25 et des Mi-24 de ses troupes, ni de venir à la charge après la prise de l’aéroport par la force française. Refusant l’affrontement sur un terrain dangereux pour les institutions ivoiriennes, il a préféré négocier et obtenir, le 8 novembre, l’association des Fanci aux patrouilles des forces
Licorne et Onuci à Abidjan, et la « libération » des deux ponts d’Abidjan tombés quarante-huit heures plus tôt aux mains des militaires français.
Ce Saint-Cyrien originaire de l’ouest du pays, réputé être une forte tête, n’a pas mené jusqu’au bout « la libération de la Côte d’Ivoire » qu’il avait promise le 4 novembre aux « Jeunes patriotes ». Est-ce parce qu’il n’a jamais voulu de l’option militaire comme solution à la crise ?

Charles Blé Goudé
« Devant le défi qui lui a été lancé par les rebelles, nous sommes venus soutenir notre armée nationale, lui dire que nous sommes derrière elle jusqu’à la libération totale de
notre pays. » C’est en ces termes que Charles Blé Goudé, accompagné de centaines de « Jeunes patriotes » assis dans l’enceinte du camp Gallieni (siège de l’état-major de l’armée), a galvanisé les Fanci dans la matinée du 4 novembre.
On n’a plus revu le leader des « Jeunes patriotes » jusqu’à ce qu’il réapparaisse à la télévision ivoirienne le 7 en fin d’après-midi, la mine défaite et les yeux exorbités, pour appeler « [ses] compatriotes à réagir à la destruction des aéronefs ivoiriens par la force Licorne ». Depuis, Blé Goudé organise des manifestations continues : devant l’aéroport après sa prise par les Français, en face du 43e Bima, devant les chars de Licorne stationnés dans le parking de l’hôtel Ivoire le 8 novembre, puis devant le siège de la Radiotélévision ivoirienne (RTI) et la présidence de la République Blé Goudé s’est assigné une tâche : maintenir en permanence un bouclier humain contre la progression des blindés de Licorne vers le palais présidentiel. Le 9 novembre, introduit par Gbagbo auprès de Thabo Mbeki, il a tenu à lui marteler « la position de la jeunesse patriotique »: « Non à un coup d’État contre le président Gbagbo ! »

Le rebelle

Guillaume Soro
Dès qu’il a senti l’escalade du 4 novembre venir, Guillaume Soro a déclenché une offensive diplomatique. Après avoir dépêché un des cadres des FN, Tuo Fozié, auprès du numéro un togolais Gnassingbé Eyadéma (médiateur désigné par la Cedeao qui a conduit en novembre et décembre 2002 les premières négociations entre les protagonistes de la crise), Soro a fait lui-même le déplacement de Lomé le 3 novembre, en compagnie de Lansana
Kouyaté, le représentant spécial de l’OIF à Abidjan. Reçu le lendemain par Eyadéma, alors que les Fanci déversent des bombes sur Bouaké et Korhogo, le secrétaire général des FN lui demande de tout faire pour empêcher le basculement de la Côte d’Ivoire dans la guerre. De la capitale togolaise, Soro reçoit les appels du secrétaire général de l’OIF Abdou Diouf, du chef de l’État sénégalais Abdoulaye Wade, de son homologue burkinabè Blaise Compaoré Arrivé à Katiola, via Ouagadougou, dans l’après-midi du 4 novembre, il déclare que les FN ne peuvent rester les bras croisés face aux tirs répétés des forces gouvernementales.
Après la destruction de l’aviation loyaliste par Licorne, le 7 novembre, il mobilise les chefs militaires de son mouvement pour réorganiser les troupes qui avaient été éloignées de certaines de leurs positions par les frappes aériennes.
Abidjan bouclé par la force Licorne, Soro ne se prive pas d’accabler Gbagbo, en montant de nouveau au créneau pour demander sa démission.
Il révélera par la suite son intention de ne pas se rendre à Pretoria pour les négociations auxquelles les FN ont été conviées. Est-ce sa façon de réagir au « snobisme » de Thabo Mbeki, qui s’est abstenu de passer le moindre coup de fil au secrétaire général des FN et au Premier ministre Diarra au cours de son passage à Abidjan ?

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Les soldats français

Général Henri Poncet
Le général de division Henri Poncet commande la force Licorne depuis le 3 juin 2004. Il a succédé au général Pierre-Michel Joana. Ce parachutiste de 55 ans, né à Oran, en Algérie,
est un ancien de Saint-Cyr et de l’école de Guerre. Homme de terrain, rompu aux missions opérationnelles, il a « fait » le Liban, dans les années 1980, et a aussi connu plusieurs affectations au Tchad et à Djibouti, notamment. Il participe, en avril 1994, à l’opération Amaryllis d’évacuation des ressortissants français au Rwanda, aux toutes premières heures du génocide. Après quatre ans au cabinet du ministre de la Défense, de 1995 à 1999, il hérite du commandement de la 11e brigade parachutiste de Toulouse. Il assume ensuite le commandement de la brigade multinationale Nord de la Kfor, au Kosovo (ex-Yougoslavie), entre octobre 1999 et février 2000. Puis devient, le 17 avril 2001, commandant du Commandement des opérations spéciales de Taverny, l’état-major des célèbres forces spéciales de l’armée française, engagées, par exemple, dans la traque de Ben Laden en Afghanistan.

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Les « médiateurs »

Alpha Oumar Konaré
Alpha Oumar Konaré a hérité du dossier ivoirien lorsqu’il a été élu président de la Commission de l’Union africaine (UA) en juillet 2003, mais l’ancien chef de l’État du Mali suivait de près les soubresauts du pays depuis le coup d’État du général Gueï, le 24 décembre 1999. Dès le 4 novembre, date de l’attaque des avions militaires sur Bouaké, il a rappelé pour consultation son représentant spécial en Côte d’Ivoire, André Salifou, ancien ministre des Affaires étrangères du Niger. Le 6, il se rend à Ota, chez le chef de l’État nigérian Olusegun Obasanjo, président en exercice de l’UA. Les deux hommes sont sur la même longueur d’onde et ont à cur d’obtenir des résultats diplomatiques probants et rapides. Ils vont mandater leur autre complice, le président Thabo Mbeki, dont
l’expertise en matière de médiation est reconnue depuis ses interventions en République
démocratique du Congo, aux Comores et au Burundi. Courant octobre, Alpha Oumar Konaré avait alerté à plusieurs reprises la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le Comité de suivi des accords de Marcoussis et Kofi Annan sur la nécessité d’un plan de suivi de proximité. Dans les prochains jours, il tentera de le
faire adopter lors du prochain sommet extraordinaire de l’UA sur la Côte d’Ivoire.

Albert Tévoédjrè
Albert Tévoédjrè a été nommé, le 7 février 2003 par Kofi Annan, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Côte d’Ivoire. Ce Béninois de 75 ans, président du Comité de suivi des accords de Marcoussis et d’Accra III, plusieurs fois ministre dans son pays, est calme et prudent. D’abord contesté par les rebelles et l’opposition politique, qui le trouvaient trop porté à satisfaire le pouvoir, il est aujourd’hui honni par les partisans du président Gbagbo. Pourquoi ? Parce qu’il est resté l’homme de confiance du Conseil de sécurité dont il s’est appliqué, contre vents et marées, à faire respecter les décisions. Il a relayé auprès des soldats de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci), la force de maintien de la paix, la décision
de maintenir à tout prix la « zone de confiance » qui sépare le Nord rebelle du Sud loyaliste. Il soutient également qu’il faut sécuriser Abidjan par des patrouilles mixtes composées de Casques bleus, de soldats français et de militaires des Fanci, une initiative habile, déjà prise en mars dernier mais qui s’était effilochée avec le
temps, qui rend obligatoire la collaboration entre Français et Ivoiriens au moment où le sentiment antifrançais cause des ravages. Albert Tévoédjrè insiste aussi pour que soit appliquée la troisième recommandation des Nations unies : l’accueil des familles étrangères victimes de pillages dans les zones sécurisées par l’Onuci.

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