[Tribune] La lutte pour les droits des femmes tunisiennes est loin d’être finie

Ce 13 août, la Tunisie fête le 64e anniversaire du Code du statut personnel (CSP) instauré par Habib Bourguiba. Pourtant, rien n’est vraiment acquis en matière d’égalité hommes-femmes.

Manifestation en faveur de l’égalité citoyenne entre hommes et femmes, le 13 août 2018 à Tunis. © AP/Sipa

Manifestation en faveur de l’égalité citoyenne entre hommes et femmes, le 13 août 2018 à Tunis. © AP/Sipa

  • Frida Dahmani

    Frida Dahmani est correspondante en Tunisie de Jeune Afrique.

Publié le 13 août 2020 Lecture : 4 minutes.

Chaque année, le 13 août, le temps se fige en Tunisie comme si l’Histoire faisait une pause pour repasser en boucle les événements du 13 août 1956. Parmi les premières décisions du pays devenu indépendant, la promulgation par Habib Bourguiba du Code du statut personnel (CSP) marque encore les esprits.

L’acte n’était pas anodin. C’était une première dans le monde arabe, et même par rapport à certains pays occidentaux, qui faisait accéder les Tunisiennes à des droits et à des devoirs plus étendus. Soixante-quatre ans plus tard, la Tunisie continue de capitaliser sur ce moment exceptionnel. Seulement, au fil des années, l’image s’est affadie et le propos devient obsolète.

Depuis la révolution de 2011, certains acquis ont été remis en question

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Pourtant, contrairement à tout ce qui se dit, pour les Tunisiennes rien n’est vraiment établi. Depuis la révolution de 2011, leurs acquis ont été l’objet de discussions et parfois remis en question ; la résistance de la société civile et la pression des partis d’opposition ont permis de les sauvegarder.

Seulement, ces modernistes, attachés à la démocratie, ont, entre-temps, subi des revers électoraux et ont disparu de la scène politique. Ils laissent en legs une Constitution dont l’article 21 stipule que « les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune. L’État garantit aux citoyens les libertés et les droits individuels et collectifs. Il leur assure les conditions d’une vie décente ». Un article consolidé par d’autres dispositions, dont celle de l’article 46, qui fait de l’État le garant des droits acquis et de la parité.

L’égalité, un vœu pieux que nul ne songe à faire appliquer

Tout va donc bien dans le meilleur des mondes possibles ? Sur le papier certainement, dans la pratique il en est autrement. Finalement, les textes portant sur les égalités formulent bien souvent des vœux pieux.

L’une des dernières innovations consiste à séparer les femmes et les hommes dans les files d’attente

D’ailleurs, l’une des dernières innovations consiste à séparer les femmes et les hommes dans les files d’attente dans les institutions publiques. Ce n’est pourtant pas tout à fait cette « égalité » que l’État s’était engagé à faire appliquer.

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Alors de quoi parle-t-on quand on commémore la Fête nationale de la femme ? Le biais est dans l’appellation en soi. La femme : de laquelle s’agit-il ? La question pourrait ravir des psychanalystes, mais il semble évident que la femme pose problème puisque lui est consacré, ainsi qu’à l’enfant et à la famille, tout un ministère.

Absurde quand les Tunisiennes sont vraiment « l’autre moitié de l’humanité » et sont même plus nombreuses que leurs congénères masculins. À moins que les hommes, les mâles dominants dans l’imaginaire patriarcal collectif, n’aient pas de problèmes spécifiques qui méritent un ministère ?

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Il se trouve que les Tunisiennes et les Tunisiens partagent les mêmes soucis en matière de vie professionnelle et personnelle, traversent les mêmes crises, souffrent pareillement de l’instabilité du pays et s’inquiètent de l’avenir.

Dichotomie entre discours et réalité

En fait, les textes de loi ne suffisent pas à changer les mentalités. Surtout que certaines femmes elles-mêmes préfèrent, tout en affirmant le contraire, être sous tutelle d’un chef de famille et sont nombreuses à persister à élever leurs fils comme des enfants-rois. Une dichotomie entre discours et réalité difficile à assumer, d’autant que le premier réflexe social des filles est de réussir dans leurs études, ce qu’elles font brillamment.

Le flambeau de la contestation et de la conquête des droits des femmes passe difficilement d’une génération à l’autre

Le flambeau de la contestation, de la conquête des droits des femmes, passe difficilement d’une génération à l’autre. Personne ne s’insurge quand les femmes sont abordées par le biais de corporation ou de minorités.

Depuis quelques années, la femme rurale est à la mode et objet de beaucoup d’attentions et de mesures. Finalement, sans résultats réels. Comme si le fait de vouloir traiter d’une frange marginalisée réduisait l’ensemble des femmes à une minorité.

Infantilisation

Les Tunisiennes ne sont pas la portion réduite d’une société qui tend d’une part à les infantiliser et qui loue en même temps leurs compétences. Cette ambiguïté originelle explique sans doute que le début de victoire, incarné par le CSP et le mouvement féministe tunisien, s’est essoufflé après que le politique ne s’est plus préoccupé d’émancipation féminine.

« Bien sûr, Bourguiba croyait dans le potentiel des femmes. Mais il était aussi pragmatique : leur vote lui a été bien utile. Il aurait fallu que les citoyens aussi adhèrent au CSP. Or ils ont été mis devant le fait accompli », raconte Mounira, une enseignante qui a commencé sa carrière à l’indépendance.

Travailler sur les mentalités est l’unique chantier qui vaille la peine

Soixante-quatre ans plus tard, les mêmes tiraillements empêchent l’évolution des Tunisiennes dans une société qui veut tout et son contraire ; la modernité, la liberté et l’émancipation, mais aussi le maintien du conservatisme le plus rétrograde.

« Pour faire moderne et coller au lexique des institutions internationales, on va nous dire qu’il s’agit de genre. Et après ? Cela résout quoi ? » tempête la retraitée, qui estime que le néoféminisme serait de revenir aux fondamentaux : « Travailler sur les mentalités est l’unique chantier qui vaille la peine. Tout le reste n’est que mesurettes, cosmétique et posture. »

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