Azali Assoumani

Le président de l’Union des Comores dresse un premier bilan de la transition politique en cours. Et expose ses priorités pour les deux prochaines années de son mandat.

Publié le 15 novembre 2004 Lecture : 6 minutes.

« Assez de temps perdu. Au travail ! » Tel pourrait être le message du président Azali Assoumani. Avec la tenue des élections législatives des îles et de l’Union, la mise en place des nouvelles institutions, la formation d’un gouvernement d’ouverture, incluant des représentants d’Anjouan et de Mohéli, et l’examen des lois organiques par l’Assemblée fédérale, l’archipel est en passe de tourner définitivement la page de la transition.
Mais les défis de 2005 sont énormes. Confronté à une inquiétante dégradation des comptes publics, le chef de l’État comorien veut redresser la barre. Ses compatriotes devront se serrer la ceinture, mais le jeu en vaut la chandelle. C’est le prix à payer pour arriver à l’accord tant espéré avec les bailleurs de fonds.

Jeune Afrique/l’intelligent : À la suite des élections législatives, vous avez décidé de former un gouvernement d’ouverture. Vous avez tendu la main aux trois présidents des îles, Mohamed Bacar, d’Anjouan, Mohamed Fazul, de Mohéli, et Mzé Abdou Soulé el-Bak, de Ngazidja. Ce dernier a décliné votre offre. Avez-vous l’espoir que des représentants de Ngazidja finiront par intégrer le gouvernement ?
Azali Assoumani : Je le souhaite sans trop y croire, car nous avons déjà beaucoup négocié pour rien. Mais la porte reste ouverte. Le pays traverse une période sensible, les institutions restent fragiles. Pour les conforter et réduire au maximum les nuisances qui pourraient découler de l’absence de majorité à la Chambre fédérale, j’ai voulu associer le maximum d’acteurs politiques au sein de ce gouvernement d’union nationale. Cette équipe, dont certains disaient qu’elle allait rapidement voler en éclats, travaille bien. Elle a pour l’instant réalisé un sans-faute, tant sur le fond que sur la forme. Notre attelage est solidaire et il tient la route, j’y vois la preuve que je ne m’étais pas trompé.
J.A.I. : Sur les quatre années de votre mandat, deux ont été perdues à cause de blocages institutionnels. Certains de vos partisans défendent l’idée de faire commencer ce mandat non pas à la date de votre investiture, en 2002, mais à celle de la fin de la transition, c’est-à-dire 2004. Ce qui reviendrait à prolonger de facto de deux ans votre bail à la tête de l’État. Quelle est votre position à ce sujet ?
A.A. : Il n’est pas dans mes habitudes d’éviter les questions, même celles qui gênent. Mais, cette fois, je vais faire une entorse à la règle. Notre pays traverse une phase délicate, il faut consolider la réconciliation nationale et, dans le même temps, convaincre la communauté internationale de nous aider. Polariser le débat autour de la question du mandat d’Azali ne me semble pas très judicieux. Car, quelle que soit la réponse que l’on y apporte, cela reviendrait à rouvrir dès maintenant le débat électoral. Or 2005 doit être l’année de l’action pour le développement, pas celle des spéculations politiciennes. Cela dit, j’estime que mon mandat a commencé avec mon investiture, et les autres supputations ne m’intéressent pas. Le problème de fond, cependant, c’est la non-coïncidence entre les mandats des présidents – pas seulement celui de l’Union, mais aussi ceux des îles – et les mandats des députés, qui ont été élus deux ans après. Il faut garder cela à l’esprit. Mais, je le répète, ce n’est pas rendre service aux Comores que de se focaliser sur ce sujet. Nous sommes en négociations avec le FMI et la Banque mondiale pour bénéficier d’un programme d’allègement de la dette, et 2005 sera « l’année de vérité ».
J.A.I. : Avant les élections législatives, la communauté internationale s’est engagée à aider financièrement les Comores. Mais les choses se sont bloquées, et l’aide promise n’est pas arrivée. Vous avez rencontré à Washington des représentants des bailleurs de fonds. Qu’est-il ressorti de ces entretiens ?
A.A. : Au début, il est vrai que nous avons été peinés par le retard de la communauté internationale, car nous avons fait des efforts pour assurer le retour à la normalité constitutionnelle. Cela n’a pas été facile, et les élections ont coûté cher. Une fois la transition menée à son terme, nos partenaires nous ont reproché d’avoir lâché trop de lest sur le plan macroéconomique. Finalement, ces malentendus se sont dissipés, nous avons repris langue avec les bailleurs de fonds. Le FMI a tenu compte des avancées politiques en nous proposant un programme de surveillance budgétaire pour 2005. La balle est à nouveau dans notre camp. Nous allons faire tous les efforts possibles et élaborer un budget d’austérité, pour obtenir un allègement de notre dette. Car sans allègement de la dette, il n’y a pas de développement possible.
J.A.I. : On a reproché à l’État son laxisme en matière budgétaire et le dérapage de la masse salariale de la fonction publique…
A.A. : Il va falloir se serrer la ceinture en 2005, c’est le prix à payer. Pendant cinq ans, nous avons réalisé beaucoup d’efforts dans le domaine des finances publiques, mais il y a eu un emballement cette année. Les bailleurs de fonds vont faire connaître leurs exigences, et nous allons élaborer ensemble le budget pour l’année 2005. Il va falloir réduire la masse salariale, revenir à des dépenses normales, en rapport avec nos recettes. Quand la dette sera allégée – nous déboursons chaque année 1,5 milliard de FC rien que pour payer la Banque mondiale et le FMI -, on pourra consacrer plus d’argent au social. Toutefois, j’estime qu’il n’y a pas eu dérapage de la masse salariale, car il n’y a pas eu d’embauche massive de fonctionnaires. Mais la mise en place des structures de la réconciliation s’est révélée très coûteuse, et elle n’avait pas été budgétée. Nos partenaires ont feint d’oublier que gérer quatre Assemblées et quatre gouvernements au lieu d’un seul avait un prix. Mais je m’engage à maintenir la masse salariale à son niveau antérieur.
J.A.I. : Cette austérité va-t-elle se traduire par des réductions de salaires ou par des licenciements ?
A.A. : Compte tenu du coût de la vie aux Comores, parler de réductions de salaires n’est pas sérieux ! Je préfère me séparer de trois fonctionnaires et en garder sept qui travaillent plutôt que d’en avoir dix qui ne travaillent plus du tout faute de motivation. C’est l’esprit même du plan d’ajustement structurel : réduire le nombre des fonctionnaires pour améliorer les conditions de travail de ceux dont l’emploi est nécessaire. Il va falloir « déflater » avec intelligence.
J.A.I. : Depuis votre arrivée au pouvoir, vous avez lancé plusieurs grands chantiers. Ne croyez-vous pas avoir été trop ambitieux ?
A.A. : Je ne le crois pas. La question de l’énergie se posait de manière de plus en plus pressante, avec la multiplication des coupures d’électricité. Nous n’allions pas attendre indéfiniment des financements extérieurs. Nous avions aussi besoin d’un réseau de téléphonie mobile pour désenclaver le pays en matière de télécommunications. Ces investissements, comme celui de l’université des Comores, étaient coûteux, mais vitaux.
J.A.I. : De hauts fonctionnaires américains vous ont rendu visite début octobre. La coopération avec les États-Unis va-t-elle s’intensifier ?
A.A. : Oui. Les contacts diplomatiques sont fructueux et la coopération fonctionne déjà en matière de sécurité. Nous avons affiché notre détermination à lutter contre le terrorisme, tout en combattant les amalgames avec notre islam, qui est très tolérant. Nous avons fait le ménage au sein des fondations islamiques qui travaillaient aux Comores et obtenu qu’elles fonctionnent dans la transparence. Nos partenaires américains en ont été très satisfaits.

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