Qu’en pensent les patrons ?

Publié le 15 octobre 2007 Lecture : 4 minutes.

Patrons ou banquiers, importateurs ou exportateurs, industriels ou commerçants, les professionnels, selon leur secteur d’activité ou leur pays, ont presque tous un regard différent sur le CFA. Mais ils partagent un même souci : celui de ne plus laisser la question monétaire au bord du chemin. « Pour le coton, c’est intenable, souligne Didier Mercier, directeur général de la compagnie cotonnière Copaco, filiale de Dagris, qui compte des actifs au Sénégal et au Burkina. Aujourd’hui, les cotonniers se disent qu’il faut un ajustement. Peut-être pas une dévaluation aussi brutale que celle de 1994, mais un système plus souple, comme l’indexation du F CFA à un panier de monnaies. » Un constat que font beaucoup de producteurs fruitiers. Ainsi, Pierre Arnaud, vice-président de la Compagnie fruitière de Marseille, installée notamment au Cameroun, en Côte d’Ivoire et au Sénégal, revendiquait en avril dans le quotidien français Les Échos un mécanisme d’ajustement de la parité « pour prendre en compte l’évolution des monnaies des autres pays du Sud et redonner aux exportations non pétrolières des pays de la zone franc une compétitivité qu’elles ont perdue, treize ans après la dévaluation de 1994. Il est criminel de maintenir la parité du franc CFA par rapport à l’euro à son niveau actuel. » Une position pour le moins tranchée, qui reflète une évidence : ce sont les exportateurs de coton, cacao, caoutchouc et d’autres matières premières cotées en dollars qui sont aujourd’hui les premiers pénalisés par un couple euro-CFA fort.
Mais la situation est parfois plus complexe. D’une part, certains exportateurs bénéficient de la bonne tenue des cours des matières premières. C’est le cas par exemple dans la filière bois en Afrique centrale. « Les trois cinquièmes de nos ventes se font en euros et le reste en dollars. Pour ces dernières, il est certain qu’un dollar fort serait mieux pour nous mais, en ce moment, le marché est orienté favorablement avec des cours élevés », estime Pierre Darche, secrétaire général du groupe Rougier, qui exploite et transforme du bois au Cameroun, au Gabon et au Congo. D’autre part, les agriculteurs africains font aussi appel à des intrants importés – engrais, pesticides, machines – pour améliorer leurs rendements. Une dévaluation aurait des conséquences néfastes sur les coûts et provoquerait une flambée des prix de l’énergie, des équipements agricoles, des engrais, etc.
Alexandre Vilgrain, en tout cas, se félicite du débat : « C’est formidable que l’on puisse parler du franc CFA. Avant, c’était un sujet tabou : il est positif que les pays africains se posent la question de la monnaie. » Le président de Somdiaa, un groupe agro-industriel installé en Afrique centrale et actif notamment dans le sucre et la farine, sait pourtant que la situation est complexe : « Pour le sucre, nos concurrents sont brésiliens et une dévaluation du franc CFA serait avantageuse. Sur la farine, elle serait dommageable, car nous importons du blé. » À l’image du patron de la Somdiaa, les industriels avancent un argumentaire souvent très nuancé. « La plupart des industriels importent de l’Europe et vendent sur le marché local, tient à rappeler Pierre Magne, président de l’Association industrielle africaine. Globalement, le niveau du CFA n’est donc pas un sujet de préoccupation pour nos membres. Mais il n’en demeure pas moins qu’il faudrait permettre aux États de trouver des mécanismes d’ajustement. »
En ce sens, la proposition du panier de monnaies avancée par l’économiste Serge Michaïlof suscite de vives discussions. Didier Mercier y est favorable. Alexandre Vilgrain reste plus circonspect : « C’est peut-être une bonne idée, mais il faut que cela puisse être bien géré. » Qui, en effet, assurerait la gestion des ajustements vis-à-vis de ce panier de monnaies ? Tous, en tout cas, restent attachés à une forme de fixité. « Il faut mieux être dans un système encadré, explique Pierre Magne, mais peut-être qu’un panier de monnaies permettrait de moins souffrir des effets de l’euro fort. » Pour Abbas Jaber, actionnaire majoritaire de la société sénégalaise arachidière Suneor (ex-Sonacos), « toutes les monnaies qui flottent créent de l’incertitude. Regardez ce qui est arrivé au franc guinéen ». Suneor est certes affectée par la valeur élevée du CFA sur ses exportations d’huile d’arachide, mais cela est compensé par les gains réalisés sur ses importations d’huile de soja.
Au-delà du choix qui sera fait dans les mois à venir, pour Alexandre Vilgrain, la vraie question est ailleurs : « Il faut parler de la monnaie, mais il faut savoir ce que l’on en attend : veut-on faire venir des investisseurs, développer l’agriculture, avoir une politique industrielle ? » En d’autres mots, inscrire la monnaie dans une stratégie claire. Cela, les pays africains en ont-ils les moyens ? Et la volonté ? « La France est un acteur majeur. Les changements politiques survenus avec l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy peuvent donc avoir des effets sur le CFA, explique un banquier sénégalais. Mais pour moi, la situation actuelle est la moins dangereuse, car elle implique une stabilité. Une dévaluation aurait des conséquences terribles. » Un avis partagé par son confrère Claude Ayo-Iguendha, directeur de la Banque internationale pour le commerce et l’industrie du Gabon (Bicig, filiale de BNP Paribas) : « Ce qui m’inquiète, c’est surtout la dévaluation. Celle de 1994 a été longue à digérer. » L’enjeu monétaire concerne surtout l’Afrique de l’Ouest et, à un degré moindre, le Cameroun, exportateur de produits agricoles. « Cela ne va-t-il pas conduire à une réelle scission entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale ? » s’interroge-t-il. Se pose également un autre dilemme, tout aussi incontournable : celui de la compétitivité. « Parler de la monnaie est un moyen formidable de ne pas parler des vrais problèmes », estime Alexandre Vilgrain. Dans la ligne de mire des entrepreneurs : les coûts de production et de l’énergie, l’environnement des affaires défaillant, les freins aux investissements, l’absence de soutien au secteur privé, la pression fiscale, la fraude Autant de dysfonctionnements qu’une simple variation du CFA ne réglera pas.

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