Mariam Abu-Zahab

Universitaire pakistanaise

Publié le 15 octobre 2007 Lecture : 3 minutes.

Chercheuse rattachée au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri), à Paris, Mariam Abu-Zahab est spécialiste de la politique pakistanaise.

Jeune Afrique : Pervez Musharraf vient de remporter la présidentielle pakistanaise. La Cour suprême se risquera-t-elle à invalider son élection ?
Mariam Abu-Zahab : L’annulation paraît très improbable. Les juges appelés à examiner les recours déposés par l’opposition savent que s’ils y donnent suite Musharraf, qui est encore chef d’état-major de l’armée, peut imposer la loi martiale, comme il a d’ailleurs menacé de le faire. Il est certain que les Pakistanais descendraient alors massivement dans la rue pour exprimer leur opposition au dictateur, ouvrant ainsi une crise politique que tout le monde souhaite éviter.

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Son élection entérinée, Musharraf tiendra-t-il sa double promesse de quitter ses fonctions à la tête de l’armée et d’amender la Constitution ?
Si son abandon du commandement des armées semble aujourd’hui acquis, la question de la réforme de la Constitution n’est toujours pas réglée. Musharraf veut bien y consentir pour permettre à Benazir Bhutto, sa nouvelle alliée, de devenir Premier ministre pour la troisième fois, mais il refuse catégoriquement d’amender l’article 58b, qui donne au président le pouvoir de révoquer le Parlement et de renvoyer le chef du gouvernement.

Le retour à un régime civil assorti d’un partage du pouvoir entre Musharraf et Bhutto a été apparemment souhaité, sinon imposé, par Washington. Pourquoi, dans ces conditions, les négociations se sont-elles éternisées ?
Elles ont été longues parce que, depuis trois ans, Benazir Bhutto ne parvenait pas à convaincre les États-Unis du désir de démocratie des Pakistanais. Les discussions se sont débloquées cet été, après les dramatiques événements de la mosquée Rouge : découvrant l’impopularité grandissante de Musharraf, l’administration Bush a enfin compris la nécessité d’ouvrir le champ politique. Mais Benazir a dû lui donner des gages. Elle s’est par exemple engagée à permettre aux Nations unies d’interroger Abdul Qadeer Khan, le père de la bombe pakistanaise, et à autoriser l’armée américaine à frapper dans les zones tribales. Mais ces concessions passent mal au Pakistan, où Benazir est perçue comme une marionnette des Américains. D’où la menace de mort lancée contre elle par le chef taliban Baitullah Mehsud.

Ces menaces peuvent-elles remettre en cause son retour au Pakistan, prévu le 18 octobre ?
Pour l’instant, non. D’ailleurs, les militants de son parti sont en train de lui préparer un retour triomphal. C’est une femme charismatique qui a toujours réussi à mobiliser beaucoup de monde. En 1986, il y avait un million de personnes dans les rues de Lahore pour l’accueillir. Benazir a annoncé que, cette fois, elle se rendrait d’abord à Karachi, puis à Larkana, pour se recueillir sur la tombe de son père, l’ancien président Ali Bhutto. Très critiquée, ces derniers temps, par la vieille garde de son parti, elle a besoin d’invoquer l’héritage de son père pour affirmer sa légitimité. Quant aux résultats des législatives, il est raisonnable de penser que sa formation, le Parti du peuple pakistanais (PPP), n’obtiendra pas la majorité absolue. Et que, pour gouverner, elle devra s’allier avec d’autres partis, fussent-ils islamistes.

Le futur gouvernement devra réussir à arrêter la dégradation de la situation au Waziristan, une zone tribale où les talibans et Al-Qaïda font la loi
La talibanisation va bien au-delà des zones tribales et gagne toute la province, y compris Peshawar. Sécuriser cette région frontalière de l’Afghanistan sera difficile, quel que soit le gouvernement mis en place. D’autant qu’il y a aujourd’hui un vrai clivage au sein de l’armée entre la hiérarchie et la troupe, qui considère que cette guerre n’est pas la sienne. De nombreux soldats refusent de bombarder les populations civiles, qui sont musulmanes comme eux. Or la situation est très grave dans la région. On n’est pas à l’abri d’un attentat de grande ampleur contre Musharraf ou contre l’armée.

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