[Tribune] MBS : pourquoi il faut le canaliser
Le prince héritier saoudien a assez démontré qu’il était un danger pour la stabilité régionale, et la complaisance internationale face à MBS doit cesser.
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Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, spécialiste des relations euro-arabes et collaborateur scientifique du Cecid (Université libre de Bruxelles), auteur d’« Émirats arabes unis, à la conquête du monde » (éd. Max Milo).
Publié le 19 août 2020 Lecture : 3 minutes.
La revue américaine Foreign Policy a récemment confirmé ce qui n’était jusque-là qu’une rumeur : tous les moyens, y compris militaires, ont bien été envisagés pour faire plier le Qatar, lors du déclenchement le 5 juin 2017 de la crise régionale par le Quartet mené par l’Arabie Saoudite et les Émirats. À ce jour, Riyad n’a toujours pas démenti les révélations du magazine américain.
C’est lors d’un coup de fil entre le président américain Donald Trump et le roi Salman d’Arabie saoudite, le 6 juin 2017, que la possibilité d’une action militaire a été évoquée, Riyad demandant l’autorisation de Washington pour une intervention s’inscrivant selon Riyad dans la lute contre l’influence iranienne – l’Arabie saoudite juge Doha trop proche de Téhéran – et le terrorisme.
« Lors d’un coup de fil (…), avec le roi Salman d’Arabie Saoudite, le président américain Donald Trump rejeta fermement la proposition saoudienne d’envahir le Qatar. Peu de temps après, les États-Unis firent appel à la médiation koweïtienne pour tenter de résoudre le conflit au sein même du Conseil de Coopération des Pays du Golfe (CCG) », explique notamment la prestigieuse revue.
Trump se sera sûrement souvenu que le Qatar abrite la célèbre base militaire d’Al-Udeid, plus grande base militaire américaine hors-sol de la première puissance mondiale, et qu’il serait suicidaire d’apporter un soutien inconditionnel au duo Riyad/Abou Dhabi dans cette affaire.
Un rôle dangereux pour l’équilibre de la région
On comprend mieux, rétrospectivement, le sens de la conférence de presse tenue le 7 juin 2017 à Washington entre le président américain et le Sheikh Sabah Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, l’émir du Koweït qui propose depuis sa médiation entre les pays du Golfe : célébrer l’abandon de l’option militaire. Mohamed Ben Salman continue pourtant à jouer depuis un rôle dangereux pour l’équilibre de la région et du monde.
Mohamed Ben Zayed, prince héritier des Émirats arabes unis, n’aurait sûrement rien eu à redire à une intervention militaire contre le Qatar, tant sa rancœur contre son petit voisin est grande. Depuis le déclenchement de l’une des plus graves crises politiques du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCG) depuis sa création en 1981, ce dernier végète sans parvenir à la résoudre.
Comment, alors que l’organisation avait pour but de sauvegarder paix et sécurité au sein d’une région ultra-sensible aurait-elle pu permettre l’agression d’un État membre contre un autre ? Dans cette optique, l’Arabie Saoudite et les Émirats sacrifiaient non seulement le CCG sur l’autel de leurs intérêts au Moyen-Orient mais commettaient l’irréparable en isolant durablement l’un de leurs membres sans même essayer d’instaurer une forme de dialogue.
La marque « MBS »
Il n’empêche. Au moyen d’une campagne massive de communication, le royaume a tenté de vendre au monde la marque « MBS » : il devait en finir avec le wahhabisme, réformer enfin l’économie de rente pétrolière et, assurait-on, promouvoir des valeurs plus proches de celles de l’Occident.
Incontournable sur la scène moyen-orientale aujourd’hui, il est arrivé au centre du jeu politique du royaume en 2015, lorsque son père est devenu roi. Mal préparé aux responsabilités politiques, le jeune prince héritier a gardé un œil sur ses cousins et ses oncles plus puissants et plus influents que lui. Sa prise de décision est vite devenue impulsive, et a souvent semblé motivée par un besoin impérieux de reconnaissance.
La personnalité du prince héritier est un obstacle à la paix internationale
Sa stratégie agressive au Yémen est à l’origine de près de 400 000 morts, il a, donc, réellement envisagé d’envahir le Qatar et s’est senti autorisé à placer sous séquestre l’ex-Premier ministre libanais Saad Hariri. Sans compter son bilan au sein du royaume en matière de droits de l’homme ou encore l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. C’est bien simple : la personnalité du prince héritier est devenue un obstacle à la stabilité régionale.
L’Europe doit réagir au plus vite
Il est donc temps de mettre un terme à la complaisance internationale pour ce mélange effrayant d’impulsivité, de violence et d’indifférence à toutes les règles, incarné par le prince héritier saoudien, encouragé par l’administration Trump et par son mentor de l’ombre, MBZ.
L’Europe, elle aussi, doit réagir au plus vite, sous peine de voir d’autres crises régionales inextricables se déclencher. Dernièrement, des parlementaires français et des députés européens ont demandé des explications à l’Arabie Saoudite sur leur intention d’envahir le Qatar. C’est un début.
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