Le gouvernement, inch’allah

Abbas El Fassi pensait bien pouvoir annoncer la composition de son équipe ministérielle le 11 octobre. Au dernier moment, tout a été remis en question. Voici pourquoi.

Publié le 15 octobre 2007 Lecture : 6 minutes.

Jeudi 11 octobre. Leader de l’Istiqlal, le parti arrivé en tête aux élections du 7 septembre, Abbas El Fassi, chargé par le roi, le 19 septembre, de former le gouvernement, peut enfin souffler. Après de laborieuses tractations avec les partis et de discrets conciliabules avec les conseillers de Mohammed VI, la composition de son équipe est pratiquement bouclée. Elle doit être rendue publique sans tarder puisque, le lendemain, c’est la rentrée parlementaire solennellement présidée par le roi (la date en est fixée par la Constitution au deuxième vendredi d’octobre).

Ce ne sera pas le cas. Le nouveau gouvernement ne sera officiellement désigné qu’après la fête (Aid el-Fitr) qui clôt le ramadan et tombe, cette année, un samedi, le 13 octobre en l’occurrence. Ainsi ne risque-t-il pas d’interférer avec le discours que le roi doit prononcer devant la représentation nationale pour fixer les grandes orientations de l’équipe El Fassi. Le respect de la « méthodologie démocratique » (désignation d’un Premier ministre issu des urnes) n’ôte rien à la prééminence institutionnelle du souverain.

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Mais comme on connaît déjà, pour l’essentiel, la configuration de ce gouvernement, nonobstant les retouches et ajustements qui ne manqueront pas d’être apportés jusqu’à l’annonce officielle, on ne se privera pas ici, comme le font les initiés au Maroc, de le commenter. S’agissant des « ministères de souveraineté », Chafik Benmoussa reste à l’Intérieur, dont il a vigoureusement transformé l’esprit et les méthodes, et Taïeb Fassi-Fihri, ministre délégué aux Affaires étrangères, succède à Mohamed Benaissa à la tête de la diplomatie.

Pour l’Istiqlal, une surprise : le départ d’Adil Douiri, qui n’a pas démérité au Tourisme mais doit céder sa place à Mohamed Boussaïd (45 ans), qui dirigeait le ministère chargé de la Modernisation des secteurs publics. Il fait partie de ces ministres-managers représentatifs du « Maroc qui bouge » qu’apprécie tant Mohammed VI. Taoufik Hejira, l’ex-futur Premier ministre (il aurait dirigé le gouvernement sans l’insistance d’El Fassi à revendiquer le poste), voit ses responsabilités s’étendre puisque, outre l’Habitat, il hérite du ministère de Mohamed Elyazghi (Aménagement du territoire et Environnement).

Karim Ghellab, autre figure de l’Istiqlal new-look, reste aux Transports, tandis que Yasmina Baddou aura la charge de la Santé, qui a grandement besoin de son dynamisme, et que Saad Alami conserve les Relations avec le Parlement. Une place à part pour un nouveau venu, Nizar Baraka, étoile montante du parti nationaliste, travailleur, brillant et très proche d’El Fassi, dans tous les sens du mot : il est son gendre et, chargé des Affaires générales, occupera le bureau attenant au sien. Il sera le bras droit du Premier ministre et, le cas échéant, atténuera ses défaillances, assurent ceux qui connaissent l’un et l’autre.

Du côté de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), Abdelwahed Radi, qui hésitait à abandonner la présidence de la Chambre des représentants après deux législatures, obtient le ministère de la Justice, dirigé jusque-là par le socialiste Mohamed Bouzoubaa, alors qu’on pensait que ce ministère de souveraineté échoirait à un homme directement nommé par le Palais.

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Ce n’est pas Mohamed Laenser, le secrétaire général du Mouvement populaire (MP), qui hérite du « perchoir » – il devrait se contenter du ministère de l’Emploi -, mais Mustapha Mansouri, le leader du Rassemblement national des indépendants (RNI). Fathallah Oualalou devait rempiler aux Finances, qu’il dirige depuis dix ans. Ce n’est pas le cas le 11 octobre. On ne connaît pas encore son point de chute, mais, apprécié de tout le monde, il ne restera pas longtemps inactif. Pour lui succéder, il est fortement question de Salah Eddine Mezouar (RNI), auparavant au Commerce extérieur.
Habib Malki devait passer de l’Éducation nationale à l’Industrie et au Commerce, mais, à la dernière minute, s’est fait souffler la place par Ahmed Chami, un centralien d’une quarantaine d’années qui fut le patron de Microsoft Afrique/Moyen-Orient. À la culture, Latifa Jebrane, une vedette de théâtre persécutée au temps de Driss Basri, succède à l’écrivain Mohamed Achaari.

Enfin, le plus important : Elyazghi voulait un ministère d’État et il a eu gain de cause. Son argument majeur a convaincu : forte de « sa spécificité historique », l’USFP ne pouvait pas être moins bien traitée que l’Istiqlal, qui dirige le gouvernement, ou que le RNI, qui préside la Chambre. Et puis, le premier secrétaire s’est convaincu qu’en occupant le poste de ministre d’État sans portefeuille, il finira, à l’instar d’El Fassi, par arracher celui de Premier ministreÂÂ
En parcourant la liste des autres membres du gouvernement, on découvre la marque d’Abdelaziz Meziane Belfqih, le très discret conseiller de « M6 ». Plusieurs ministres portent le label RNI ou MP, mais ont, en réalité, été proposés par le Palais. Tout le monde y trouve son compte : le roi, qui dispose ainsi de relais compétents et efficaces au sein du gouvernement, et les partis concernés, qui voient leurs rangs s’enrichir de personnalités prestigieuses. C’est le cas de Mohamed Boussaïd, au Tourisme, ou d’Aziz Akhennouch (MP), l’un des principaux entrepreneurs du royaume, présent dans les hydrocarbures, les télécoms, l’agroalimentaire, la presse (Groupe Caractères) et à Tanger-Med.

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Dans la même catégorie figure Amina Benkhadra, qui fut membre du gouvernement sous Hassan II. Elle quitte la direction de l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) pour le ministère de l’Énergie et des Mines. Si elle porte les couleurs du MP, c’est sans doute parce que ce département était convoité par Mahjoubi Aherdan, le chef de ce parti, qui souhaitait l’offrir à son fils…

Autre retour, celui de Nawal Moutawakil, l’ancienne championne olympique, qui retrouve le ministère de la Jeunesse et des Sports. Mohamed El Gahs, en délicatesse avec l’USFP (il a présenté sa démission au bureau politique, qui l’a refusée à l’unanimité), perd le secrétariat d’État à la Jeunesse mais se console avec les Marocains résidant à l’étranger (MRE). Avec Nezha Skalli (PPS) à l’Éducation nationale et Latifa Akherbach, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, on compte au total pas moins de sept femmes. Un record.

Somme toute, ce « gouvernement du 11 octobre » a bonne allure. Le poids des dinosaures et les effets du népotisme y sont limités, voire éliminés. Il compte de nombreux ministres-managers en phase avec le Maroc des grands chantiers.

Las, jeudi soir, de nouveaux obstacles surgissent. Comme au cours des semaines écoulées, le blocage est venu de l’USFP. Elyazghi, qui a mené les négociations avec El Fassi, était pourtant satisfait des résultats. Au départ, le Premier ministre ne lui accordait que quatre ministères (comme au MP et au RNI) : il en a finalement obtenu cinq, sinon six avec El Gahs. Il ne doutait donc pas d’obtenir le feu vert du bureau politique réuni dans la soirée du 11 octobre. À sa grande surprise, il s’est heurté à un refus catégorique et a même suscité un beau tollé, ses camarades acceptant difficilement que leur premier secrétaire ne soit que « ministre d’État sans portefeuille », un titre qui, des années durant, valut sarcasmes et quolibets au leader de l’Istiqlal. Au comble de la colère, Elyazghi a alors quitté la réunion. Pour faire bonne mesure, la grogne monte aussi du côté du MP, qui menace de passer à l’opposition. Reste à savoir si ses partenaires tenteront de le retenir…

Cette dernière péripétie entamera-t-elle l’optimisme du Premier ministre désigné ? Sans lésiner sur les superlatifs, il a déclaré que le gouvernement qu’il est en train de constituer sera « le meilleur de l’histoire du Maroc ». C’était, il est vrai, le vingt-septième jour du ramadan, qui coïncide avec la Nuit du destin, lorsque, selon la tradition musulmane, « s’ouvrent les portes du ciel pour accueillir les voeux des fidèles ». Homme de foi, Abbas El Fassi ne doute pas que son voeu sera exaucé. Sans doute, mais quand ?

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