Le compte à rebours

Associations de victimes et militants des droits de l’homme se mobilisent pour que l’ancien dictateur tchadien réponde des crimes qui lui sont reprochés. Dans les plus brefs délais.

Publié le 15 octobre 2007 Lecture : 5 minutes.

Après les actions d’éclat, dont une plainte de victimes à Bruxelles jugée recevable et une longue enquête menée au Tchad, qui ont imposé le principe du jugement de l’ancien dictateur tchadien, Hissein Habré, place aux tractations secrètes pour obtenir la tenue du procès. Les associations et les militants des droits de l’homme mobilisés ne se sont jamais autant activés qu’au cours de ces dernières semaines. De Paris à Genève, de Dakar à Bruxelles, les membres du Comité international pour le jugement d’Hissein Habré multiplient contacts et initiatives. Non sans espoir de le voir le plus rapidement possible à la barre.
De source sénégalaise, une délégation de l’Union européenne (UE), composée d’un juriste et d’un expert financier et administratif, effectuera une mission technique à la fin de ce mois d’octobre à Dakar, où l’ancien chef de l’État tchadien vit en exil depuis 1990. Elle étudiera les besoins des autorités du Sénégal pour l’organisation du procès et les aidera à mieux formuler leur demande d’assistance auprès des instances européennes. La Commission de l’UE fixera et débloquera ensuite le montant de sa participation au financement. Ce dénouement est le fruit d’un intense lobbying mené depuis plusieurs mois par le conseiller juridique et porte-parole de l’organisation américaine de défense des droits humains Human Rights Watch, Reed Brody, et de la présidente de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’homme (ATPDH), Jacqueline Moudeina, qui a longuement séjourné en Europe en juin dernier. À Bruxelles, Brody et Moudeina ont réussi à obtenir cet engagement du commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire, Louis Michel. « Soyez assurés que l’UE apportera son assistance financière et technique, a garanti ce dernier. Il suffit juste que le Sénégal en fasse la demande. »
Après Bruxelles, rendez-vous à Paris où ils ont fait montre de pédagogie pour expliquer les enjeux du dossier à Rama Yade. La toute nouvelle ministre déléguée aux Affaires étrangères chargée des Droits de l’homme a alors fait bouger les lignes en sensibilisant le président Nicolas Sarkozy sur la question. Résultat : de passage à Dakar, fin juillet, ce dernier s’est clairement prononcé en faveur du jugement d’Habré et a proposé l’assistance de son pays.
L’UE et la France ne sont pas les seules à vouloir mettre la main à la poche pour voir l’ex-dictateur répondre de ses crimes devant un juge (Habré est tenu pour directement responsable de la mort de plusieurs milliers de ses concitoyens). Les promesses d’aide se sont multipliées, notamment au lendemain de la lettre adressée le 18 juillet par le chef de l’État sénégalais, Abdoulaye Wade, aux contributeurs potentiels. Le Premier ministre néerlandais, Jan Peter Balkenende, a donné son accord. Tout comme la secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, qui, dans sa réponse, a insisté sur le fait que « Hissein Habré doit, dans tous les cas de figure, être jugé ».

Pour boucler le financement du procès, le Sénégal a établi un devis plus crédible. Courant août, le groupe de travail mis en place pour l’organisation du procès a remis, en toute discrétion, une nouvelle évaluation aux autorités sénégalaises. De 43,3 milliards de F CFA (environ 66 millions d’euros) selon le calcul effectué en mars 2007, l’addition est tombée à 18,7 milliards de F CFA. Cette dernière, validée par la Compagnie internationale de conseil et d’expertise (Cice Audit & Conseils), fixe à 12,3 milliards de F CFA le budget de fonctionnement (dont les frais de transport et de séjour des 20 000 à 40 000 victimes et témoins) et à 6,4 milliards de F CFA le budget d’investissement : dépenses de réhabilitation du palais de justice du cap Manuel, à Dakar, censé abriter le procès (environ 5,85 milliards), acquisition de véhicules (300 millions) et frais au titre de la rubrique « équipement informatique, sécurité et surveillance » (244 millions).
Sur la suggestion des militants des droits de l’homme soucieux de voir l’affaire jugée par un tribunal simple à mettre en place, le groupe de travail a réussi à convaincre le garde des Sceaux sénégalais, Cheikh Tidiane Sy, de préférer la cour d’assises à une hypothétique juridiction spéciale nécessitant une réforme législative. Le 2 septembre, un projet de loi a été déposé au bureau de l’Assemblée nationale pour moderniser la cour d’assises. Le texte prévoit la suppression du jury populaire (qui délibérait autrefois pour fixer les verdicts), mais aussi la création d’une instance d’appel pour permettre à Hissein Habré, en cas de condamnation, de bénéficier du principe du double degré de juridiction.
Pour ne pas être pris au dépourvu, victimes et militants s’organisent, mettent de l’ordre dans leurs rangs, renouvellent leurs instances, créent de nouvelles structures. L’Association des victimes de crimes et de la répression politique au Tchad (AVCRP), qui n’avait plus renouvelé ses dirigeants depuis six ans, l’a fait le 1er octobre à N’Djamena. Son inamovible président, Ismaël Hachim Abdallah, a cédé sa place à Clément Abaifouta, secondé par un bureau de dix membres. Fer de lance de la plainte déposée en 2000 contre Habré, l’AVCRP a, aussitôt après l’élection de ses nouveaux responsables, entamé une tournée à l’intérieur du Tchad afin de rencontrer et rassurer les victimes des provinces qui se plaignaient, peu ou prou, d’être marginalisées. À ce stade de la mobilisation, le temps n’est plus à la discorde.

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En écho, les organisations basées à Dakar passent à la vitesse supérieure. Regroupées au sein de la Coalition sénégalaise pour le jugement d’Hissein Habré (Cosehab), elles mettent la dernière main à leur plan d’action. À leur tête, Alioune Tine, secrétaire général de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho), a adressé, mi-août, une lettre à Cheikh Tidiane Sy, dans laquelle il demandait à prendre connaissance du rapport du groupe de travail chargé de préparer le procès. En vain. Le garde des Sceaux lui a opposé un refus, estimant que le groupe réfléchissait pour le compte du seul gouvernement.
Le Comité international pour le jugement d’Hissein Habré n’est pas en reste. Pour coordonner les activités de ses nombreuses structures à travers le monde, il a mis en place un comité de pilotage (CP). Quatre personnalités y siègent : Jacqueline Moudeina (coordinatrice générale), Reed Brody (secrétaire), Souleymane Guengueng, fondateur de l’AVCRP (membre) et Alioune Tine (membre). Qui se sont immédiatement attelées à la tâche.
Le 13 septembre, le CP a réussi à passer un accord avec le cabinet d’avocats international Mayer Brown qui compte 1 500 conseillers dans quatorze grandes villes du monde. Ce cabinet travaille à titre bénévole sur le dossier Habré et apporte un appui logistique important dans différents pays (États-Unis, Belgique, France, etc.). Mayer Brown prête également main-forte à l’équipe juridique mise en place et composée d’avocats de divers horizons : le Français William Bourdon, le Belge Georges-Henri Beauthier, la Tchadienne Jacqueline Moudeina et les Sénégalais Demba Ciré Bathily et Mouhamed Kébé.
L’heure est désormais à la préparation concrète du procès. Les adversaires d’Habré sont plus que jamais déterminés. Et ne veulent en aucun cas être défaits par l’armada de défenseurs que l’ancien dictateur est parvenu à se payer.

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