La voix qui dérange

L’incarcération du patron de Radio Saraouniya pour complicité avec les rebelles témoigne de la gestion controversée de la crise touarègue par le pouvoir.

Publié le 15 octobre 2007 Lecture : 4 minutes.

« Moussa Kaka s’est acoquiné avec des bandits touaregs, il se considère comme leur directeur de conscience. Il leur donne des conseils sur ce qu’il faut dire ou ne pas dire à la presse. » La charge du ministre nigérien de la Communication et porte-parole du gouvernement Mohamed Ben Omar contre le patron de la station privée Radio Saraouniya et correspondant de Radio France Internationale (RFI) est sans appel. Brandissant comme arguments les enregistrements obtenus lors d’écoutes téléphoniques, le ministre affirme que « Moussa Kaka n’est pas neutre, il a choisi de diffuser des informations qui arrangent les Touaregs et de taire celles qui pourraient les déranger ». Et Mohamed Ben Omar d’ajouter que le journaliste a exigé de l’argent de la part du Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ) en échange de son « travail ».

Le journaliste a été interpellé le 20 septembre dernier et est incarcéré depuis le 24 septembre à la prison civile de Niamey. Il est accusé de « complicité de complot contre l’autorité de l’État ». D’après son avocat, Me Moussa Coulibaly, sous ce chef d’accusation, il risque la prison à vie. « Les trois pages du dossier d’accusation sont vides, soutient l’avocat. Il n’y a, à ce jour, aucune preuve contre mon client. Le procureur de la République parle de conversations enregistrées au cours d’écoutes téléphoniques, mais aucun élément matériel n’a été versé au dossier. Et si de telles pièces étaient présentées lors du procès, nous serions en droit de les contester, car ces enregistrements ont été faits de manière illégale. » « Nous n’allions tout de même pas demander la permission de l’avocat de Moussa Kaka pour faire des écoutes », rétorque Mohamed Ben Omar.
La mobilisation internationale suscitée par le cas de Moussa Kaka est loin d’avoir freiné l’ardeur des autorités nigériennes bien décidées à sévir contre tous ceux qu’elles suspectent de « pactiser » avec les rebelles touaregs. L’arrestation le 9 octobre d’Ibrahim Manzo Diallo, directeur du bimensuel Aïr Info, à Agadez, accusé « d’être le correspondant de RFI » est venue confirmer cet état d’esprit. « L’intolérance du gouvernement nigérien a atteint un point critique avec cette arrestation irrationnelle », affirme l’organisation de défense des journalistes Reporters sans frontières (RSF) dans un communiqué rendu public dès le lendemain. « Non seulement être le correspondant de RFI n’est aucunement un crime mais, de plus, Ibrahim Manzo Diallo ne travaille pas pour cette radio », poursuit RSF qui ajoute : « Sa libération ainsi que celle de Moussa Kaka est la seule issue pour un gouvernement qui semble avoir perdu le sens de la mesure et de la justice. »

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Correspondant de RFI depuis quinze ans, la quarantaine bien entamée, Moussa Kaka est « une voix qui dérange », affirme Maman Abou, directeur de l’hebdomadaire nigérien Le Républicain, qu’ils ont créé ensemble. « Sur le conflit touareg, les autorités ne veulent pas qu’il y ait un autre son de cloche que celui du gouvernement. » Jamila Souley Kaka, l’épouse du journaliste est de cet avis : « Ils n’acceptent pas que l’on dise ce qui se passe vraiment dans ce pays. Dans le Nord, on tue des gens. Moussa a choisi de révéler ce qu’ils veulent cacher. Et je dois reconnaître qu’il est têtu. Quand il a une idée en tête, il va jusqu’au bout. On l’accuse de complicité avec les rebelles parce qu’en 2002 il a effectué un reportage dans le désert avec eux. Mais c’est son travail. C’est normal qu’il soit en contact avec les insurgés. »
De fait, la gestion de la crise touarègue divise l’opinion nationale. Une bonne partie de la classe politique est alignée sur la position dure du gouvernement qui refuse de négocier. C’est notamment le cas de Mohamed Bazoum, député de Zinder (sud) et vice-président du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, de l’ancien Premier ministre Mahamadou Issoufou) la principale formation d’opposition, qui juge partial le traitement par Moussa Kaka de cette crise. « Nous sommes contre cette rébellion, affirme-t-il. Elle n’a pas de légitimité politique. Les Touaregs ne sont pas dans une situation de domination ou d’injustice qui puisse justifier leurs actes. Les accords de paix signés en 1995 ont été relativement bien appliqués. Ces rebelles veulent uniquement négocier des postes. Nous pensons donc que le gouvernement est libre de vouloir discuter ou non. » Pour Maman Abou, en revanche, l’opinion publique serait plutôt favorable au dialogue. « Les gens ont trop souffert de la précédente crise. » Un avis partagé par Souleymane Issa Maïga, le correspondant de la BBC au Niger : « La population en a ras le bol de cette affaire. Elle ne souhaite qu’une chose : la paix. »
L’incarcération du correspondant de RFI intervient dans un contexte marqué par la volonté de Paris d’apaiser les tensions entre les autorités nigériennes et la société Areva, le leader mondial du nucléaire civil. Le gouvernement de Niamey, qui accusait la compagnie française de soutenir financièrement la rébellion touarègue, a expulsé, le 26 juin dernier, Gilles de Namur, le chef de la sécurité du gisement d’Imouraren, dans lequel Areva a investi plus de 1 milliard de dollars. Un mois plus tard, Dominique Pin, directeur général d’Areva-Niger était, à son tour, déclaré persona non grata.

Il aura fallu attendre l’intervention de Paris pour ramener une certaine sérénité, le Niger en profitant pour faire monter les enchères sur le prix d’achat de l’uranium (passé de 41 à près de 61 euros le kilo). C’est dire si l’affaire Moussa Kaka embarrasse le Quai d’Orsay. À l’ambassade de France à Niamey, officiellement, c’est le silence radio. Mais en privé, les diplomates français font montre de peu d’indulgence envers le correspondant de RFI. « Il n’est pas tout à fait net », lâche un responsable. Comme s’il était prudent pour prendre quelques distances avec la radio française internationale qui n’est pas en odeur de sainteté au palais présidentiel de Niamey.

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