Intérêts compris

Jadis considéré comme un déstabilisateur de la région, Compaoré joue aujourd’hui les faiseurs de paix. Avec efficacité et pragmatisme.

Publié le 15 octobre 2007 Lecture : 3 minutes.

Janus, la divinité romaine aux deux visages, n’a qu’à bien se tenir. Sur la scène diplomatique africaine, Blaise Compaoré, le chef de l’État burkinabè, se révèle, désormais, un sérieux concurrent. Aujourd’hui considéré comme le pacificateur de l’Afrique de l’Ouest, il passait encore, il y a cinq ans seulement, pour le grand déstabilisateur de la sous-région
Intervenu dans la foulée de l’accord politique signé le 20 août 2006 entre le pouvoir togolais et son opposition, l’accord interivoirien de Ouagadougou du 4 mars dernier est venu conforter le statut de vieux sage que le président burkinabè est en train d’acquérir sur le continent. À tel point que ses partisans n’hésitent déjà plus à le poser en successeur de Houphouët-Boigny.
Relevant en cinq semaines seulement le défi à côté duquel Jacques Chirac et Thabo Mbeki sont passés pendant plus de quatre ans, il a réussi à convaincre les Occidentaux qu’il n’était pas simplement un bon élève pour les bailleurs de fonds, capable de préserver la stabilité de son pays au cur d’une région tourmentée. Il est aussi parvenu à s’affirmer comme un médiateur efficace.
Président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), Compaoré est en effet sur tous les fronts. Après avoir contribué à la médiation qui a permis la sortie de crise en Guinée et la nomination de Lansana Kouyaté à la primature le 26 février dernier, il s’apprête à nommer un représentant spécial à Conakry pour suivre l’évolution du pays d’ici aux législatives de décembre prochain. Simultanément, il envisage aussi de s’impliquer dans la crise touarègue qui déstabilise son voisin nigérien. Un dossier que Ouaga connaît bien, pour avoir été l’artisan d’un précédent accord entre Niamey et les hommes du désert en 1995.
« Au tournant des années 2000, Blaise Compaoré était pourtant considéré par un nombre croissant de ses pairs comme le chef d’un État voyou, se souvient un diplomate en poste dans la sous-région. Accusé d’offrir l’asile à tous les opposants d’Afrique de l’Ouest, suspecté de téléguider des tentatives de putsch contre le Togo d’Eyadéma ou contre la Mauritanie d’Ould Taya, présenté comme l’allié du président libérien Charles Taylor, il était également considéré comme le Pygmalion des rebelles ivoiriens. »
Pour l’opposition, la transformation du personnage n’est qu’une illusion. « Blaise Compaoré ne changera jamais. Il reste un pompier pyromane qui souffle le chaud et le froid. Nos voisins continuent de craindre ses coups fourrés. S’il cherche aujourd’hui à faire oublier ses sulfureuses amitiés, c’est parce que Jacques Chirac, son protecteur à l’étranger, n’est plus là pour lui servir de parapluie », lance l’un de ses membres.

Du côté des autorités, on nie un quelconque changement d’orientation politique. « La ligne directrice de la diplomatie de Blaise Compaoré a consisté à redonner leur fierté aux Burkinabè. Ce sont eux qui, au Gabon, ont construit le chemin de fer de l’Ogooué et qui, aujourd’hui encore en Côte d’Ivoire, travaillent dans les plantations. Après que son peuple a été exploité pendant des dizaines d’années, le président a réussi à faire en sorte qu’il soit de nouveau respecté », lance Filippe Savadogo, l’actuel ministre de la Culture, du Tourisme et de la Communication et porte-parole du gouvernement, qui fut ambassadeur du Burkina à Paris pendant dix ans. « Et les résultats sont là : désormais, le pays ne nourrit plus aucun complexe d’infériorité par rapport aux pays pétroliers ou côtiers. »
Le pragmatisme à tout-va, sans pudeur ni moralité, colonne vertébrale de la diplomatie à la mode Compaoré ? « À l’étranger, le Burkina n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts. Nous acceptons de travailler avec tout le monde, poursuit Filippe Savadogo. Prenez notre relation particulière avec Taiwan [le Burkina est l’un des cinq derniers pays du continent à reconnaître encore officiellement Taipeh, NDLR]. Nous considérons certes que, pour notre développement, mieux vaut une aide partagée entre cinq États qu’entre quarante nations. Mais nous n’avons jamais fermé la porte à Pékin. C’est la Chine qui, en 1994, a décidé de s’en aller. » Égoïsme ? À Ouaga, on préfère parler de Realpolitik. Avec, en ligne de mire, le développement du pays. Et rien de plus.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires