Crimes sans châtiments

Dans l’est du pays, théâtre de conflits armés récurrents, le nombre de viols sur les femmes ne cesse de croître. En toute impunité.

Publié le 15 octobre 2007 Lecture : 3 minutes.

L’est de la République démocratique du Congo (RDC) est actuellement le théâtre d’une épidémie de viols d’une rare sauvagerie. Selon les Nations unies, 27 000 cas ont été signalés dans la seule province du Sud-Kivu en 2006, et il y en a probablement eu beaucoup d’autres. « La violence sexuelle à laquelle on fait face en RDC est sans équivalent dans le monde, déclare John Holmes, secrétaire général adjoint de l’ONU pour les questions humanitaires. Le nombre de cas, la brutalité des agressions, l’impunité qui règne C’est effarant. » « C’est pire qu’au Rwanda lors du génocide », renchérit André Bourque, un consultant canadien.
Les élections historiques de l’an dernier n’ont pas permis aux autorités de Kinshasa de rétablir l’ordre dans cet immense pays de plus de 2 millions de km² et de mettre fin aux ravages des bandes armées, pour la plupart étrangères, qui pillent les villages et enlèvent les femmes contre rançon. Et tuent. L’un des groupes les plus dangereux se fait appeler les Rastas. Ses membres sont coiffés de dreadlocks et portent des maillots de l’équipe de basket des Los Angeles Lakers. Il s’agit d’anciens rebelles hutus qui ont fui le Rwanda en 1994 et se sont mis, si l’on ose dire, à leur compte. L’une de leurs victimes, Honorata Barinjibanwa, 18 ans, est aujourd’hui enceinte et soignée à l’hôpital Panzi de Bukavu. D’avril à août, elle a été leur prisonnière, était attachée à un arbre et en garde encore aujourd’hui des traces au cou.
Même s’il a toujours été utilisé comme arme de guerre, certains chercheurs ne cachent pas leur crainte de voir le viol, au Congo, devenir un phénomène social d’une plus grande ampleur. « Il va au-delà du conflit armé », indique Alexandra Bilak. ?À en croire cette chercheuse, qui étudie le comportement des groupes armés dans les environs de Bukavu, ce déchaînement revêt une dimension sociale. Le nombre de femmes victimes de violences ou même tuées par leur mari ne cesse de croître. Ces brutalités devenant « presque normales ». Mêmes observations chez Malteser International. Cette association européenne qui gère des établissements de soins dans l’est de la RDC estime qu’elle aura à traiter, cette année, quelque 8 000 cas de viols avec violences aggravées, contre 6 338 l’an dernier. Dans la petite ville de Shabunda, 70 % des femmes ont affirmé avoir été victimes de brutalités sexuelles.
À l’hôpital Panzi, un gynécologue, le Dr Denis Mukwege, procède en moyenne à six opérations chaque jour. Les horreurs que bon nombre de ses patientes ont subies sont telles que leurs organes génitaux et leur appareil digestif sont totalement mutilés. L’une d’elles, Kasindi Wabulasa, raconte qu’elle a été violée en février par cinq hommes. Ils tenaient en respect son mari avec leur AK-47, en le menaçant de le tuer s’il fermait les yeux. Il ne les a pas fermés, ils l’ont abattu quand même. L’âge ne fait rien à l’affaire : la patiente la plus âgée du Dr Mukwege avait 75 ans, la plus jeune seulement 3 ans.

La plupart de ses collègues ne sont pas convaincus que le problème est uniquement culturel. Si c’était le cas, souligne Wilhelmine Ntakebuka, chercheuse elle aussi à Bukavu, le phénomène serait beaucoup plus ancien. Or les viols n’ont pris cette tournure épidémique que vers le milieu des années 1990, avec l’arrivée de milices hutues. Elle est rejointe sur ce point par John Holmes, qui pense que ces hommes, déjà coupables de massacres dans leur propre pays, ont été « détruits » par le génocide de 1994 au Rwanda. André Bourque, quant à lui, parle d’une « inversion des valeurs » qui peut survenir dans une région où, comme au Kivu, les affrontements armés récurrents ont fait rage pendant des années. Et continuent de plus belle. Les milices hutues ne sont d’ailleurs pas les seules à sévir dans la région. Il y a aussi celles, locales, des Maï-Maï, qui s’enduisaient le corps de pétrole avant de partir au combat. Ou des membres de groupes paramilitaires ougandais, eux aussi attirés par l’or et les autres richesses du Kivu.

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Les Casques bleus de l’ONU font ce qu’ils peuvent pour protéger les femmes. Ils organisent, depuis quelque temps, ce qu’ils appellent « les lumières de la nuit », des patrouilles de trois camions qui se garent dans les villages, tous phares allumés, pour montrer à la population et aux éventuels agresseurs qu’ils veillent. Mais cela reste insuffisant, presque dérisoire, tant le mal est profond. L’hôpital de Bukavu ne compte que 350 lits. Même si une nouvelle aile, destinée à accueillir les victimes des viols, est actuellement en construction, l’établissement renvoie dès que possible les femmes dans leur village afin de pouvoir recevoir le flot ininterrompu des nouvelles victimes.

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