Comment va Bouteflika ?

Depuis l’hospitalisation du président en novembre 2005, les rumeurs sur sa santé vont bon train. Elles n’ont jamais été démenties officiellement. Ce qui ne veut pas dire qu’elles soient fondées.

Publié le 15 octobre 2007 Lecture : 9 minutes.

« Jamais l’Algérie n’a autant ressemblé au Maroc, assure un professeur de sciences humaines à l’université d’Alger. Prenez les dernières élections : dans les deux pays, l’abstention a été massive, la majorité sortante a été reconduite, les rapports de force en son sein ont été bouleversés et le vote islamiste a été contenu. Les murs de la République finissent par ne pas être très différentes de celles de la monarchie. À Alger, essayez de prononcer le nom du président de la République. Neuf fois sur dix, on vous répondra : « Allah yahaf’dhou oua tawel Oumrou [que Dieu le protège et lui prête longue vie]. Le Makhzen n’est pas loin ! »
Pourtant, tout le monde ne croit pas à la thèse d’une dérive monarchique. « Il est faux d’affirmer que les institutions des deux pays fonctionnent de la même manière, s’insurge un collègue du précédent. Quant à la piété populaire qui entoure désormais Bouteflika, elle s’explique par deux événements traumatisants : son hospitalisation au Val-de-Grâce, il y a deux ans, et la tentative d’attentat dont il a fait l’objet le 6 septembre à Batna. » Bref, beaucoup d’Algériens ont peur pour leur Aziz (« chéri », en arabe) et redoutent sa disparition prématurée. Ils ne sont pas les seuls. La santé du chef de l’État préoccupe presque autant les chancelleries et les médias internationaux. Ce qui a le don d’agacer prodigieusement les responsables algériens.
« Comment va le président ?
– Il ne fait peut-être pas de jogging quotidien, mais il accomplit toutes les obligations, jeûne ou prières, qu’impose le ramadan. Cela répond-il à votre question ? » s’impatiente l’un de ses proches.
L’agacement tourne parfois à la colère. Le 1er octobre, devant un aréopage d’opérateurs économiques réunis à la Chambre algérienne de commerce et d’industrie, le Premier ministre Abdelaziz Belkhadem a par exemple démenti avec véhémence les rumeurs récurrentes sur la maladie du président : « Ceux qui les entretiennent, a-t-il grondé, sont les mêmes que ceux qui, il y a quelques semaines, nous annonçaient une rentrée politique mouvementée, un front social embrasé et une économie paralysée. »

Reste qu’évoquer la maladie du président est quand même moins dangereux en Algérie qu’ailleurs en Afrique. On se souvient peut-être de Pius Njawé, ce journaliste camerounais traduit en justice et condamné, il y a quelques années, pour avoir fait état d’un malaise cardiaque du président Paul Biya. Tout récemment, un confrère égyptien a failli être traduit devant la Cour de sûreté de l’État pour avoir annoncé une brusque dégradation de l’état de santé du raïs. Il a finalement comparu devant une juridiction ordinaire (voir p. 45).
L’histoire du « mal mystérieux » censé ronger Bouteflika commence le 26 novembre 2005. Ce jour-là, il est prévu que le chef de l’État prononce, à 10 heures au Palais des nations (au Club des Pins), le discours inaugural d’une conférence de l’Union africaine des conseils économiques et sociaux. Las, au cours de la nuit précédente, il est saisi de violentes douleurs abdominales et vomit du sang en abondance. Dans son entourage, c’est la panique. Seul Mustapha, son frère, qui, il est vrai, est son médecin personnel, garde son calme. Connaissant les antécédents pathologiques d’Abdelaziz – une insuffisance rénale soignée aux États-Unis, par voie chirurgicale, au milieu des années 1980 -, il est convaincu que la crise est plus spectaculaire que réellement dangereuse, mais, par précaution, ordonne quand même son transfert à l’hôpital militaire d’Ain Naadja, dans la banlieue d’Alger.

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Pendant le trajet, la situation empire brusquement : les vomissements redoublent, le président perd beaucoup de sang, sa tension artérielle s’effondre. Aveuglé par ses certitudes, Mustapha a-t-il commis une erreur de diagnostic ? Certains le lui reprocheront, par la suite Le temps passe, le président continue de s’affaiblir. Comprenant qu’il ne maîtrise pas la situation, son frère s’affole à son tour et suggère un transfert dans un établissement étranger. Refus catégorique de l’intéressé : « Je m’en remets aux médecins algériens, aux équipements de nos hôpitaux. »

Le pire est désormais à craindre. Voyant qu’il ne parviendra pas à fléchir son entêté de frère, Mustapha trouve une astuce : passer le relais au Pr Messaoud Zitouni. « Il est plus compétent que moi », argue-t-il. Ce dernier, ancien ministre et éminent praticien, réussit à balayer les réticences de son prestigieux patient. Sollicitées, les autorités françaises donnent aussitôt leur accord. Entouré de Mustapha et de Zitouni, le malade est acheminé par hélicoptère sur la base aérienne de Boufarik, puis embarqué à bord d’un Falcon. Destination : Paris. Admis à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, il sera opéré le lendemain : ablation d’une grande partie de son estomac, gravement endommagé par l’ulcère.
Comme souvent en ces circonstances, la communication officielle est catastrophique. Le 26 novembre, vers 17 heures, un communiqué diffusé par l’Algérie Presse Service annonce le transfert et précise que la vie du patient n’est pas en danger. Le lendemain, un bulletin de santé signé par le Pr Zitouni indique que l’opération a été un succès. Ensuite, plus rien. Logiquement, ce silence alimente les rumeurs les plus alarmistes. « Bouteflika agonise », annonce une radio périphérique parisienne. Ancien ministre français de la Coopération, le Pr Bernard Debré est quant à lui convaincu que le président algérien a développé un cancer – et le fait savoir. Certains journaux s’interrogent sur la dimension constitutionnelle du problème : un ulcère est-il assimilable à un empêchement d’exercer le pouvoir ? Mais la palme revient à un quotidien arabophone algérien, qui titre, froidement : « Phase terminale. »
L’hospitalisation se prolonge. Elle va durer trois semaines, finissant par donner quelque crédit aux propos de Bernard Debré et consorts. Quand il quitte enfin l’hôpital, le 18 décembre, le président s’installe dans un hôtel parisien. Les Algériens sont abreuvés d’informations contradictoires. La presse, algérienne ou étrangère, est convaincue que le pire est inéluctable. Les responsables algériens affectent un calme olympien. C’est sans doute ce décalage entre la version officielle (ulcère-opération-convalescence-retour aux affaires) et celles de certains médias qui continue d’entretenir, deux ans après, les spéculations souvent fantaisistes, parfois légitimes, sur l’état de santé d’un homme de 70 ans qui se trouve être le président de la République algérienne

Celui-ci a beau multiplier les déplacements en province, les éprouvants bains de foule et les voyages officiels à l’étranger (il a participé à deux sommets de l’UA, à deux réunions du G8 et à une Assemblée générale de l’ONU), rien n’y fait : influencés par les journaux ou les rapports des chancelleries, ses interlocuteurs – parmi lesquels les Subsahariens Thabo Mbeki, Olusegun Obasanjo et Laurent Gbagbo – s’enquièrent presque immanquablement de sa santé. Bouteflika doit s’efforcer de les rassurer
En Algérie aussi, le « mal mystérieux » n’en finit plus de rôder. Un exemple ? Le 6 août dernier, le président raccompagne à l’aéroport international d’Alger l’Iranien Mahmoud Ahmadinejad, à l’issue d’une visite de quarante-huit heures. Après quoi il décide de s’octroyer quelques jours de congés bien mérités. Une semaine plus tard, son absence alimente les spéculations les plus folles. « Bouteflika est en soins intensifs à Genève », jurent les uns. Sa résidence de Zeralda est désormais « mieux équipée que l’hôpital américain de Neuilly », croient savoir les autres. La présidence de la République s’étant abstenue d’apporter le moindre démenti à ces « informations », beaucoup ont fini par croire à une rechute. Il faudra attendre que, le 29 août, Bouteflika se rende au domicile du général-major Smaïn Lamari, l’ancien patron du contre-espionnage disparu la veille, pour que la rumeur s’apaise. Provisoirement.
Il est vrai aussi que, depuis son hospitalisation au Val-de-Grâce, le président n’a jamais évoqué publiquement ses problèmes de santé. Selon le témoignage de plusieurs personnalités qu’il a rencontrées au cours des derniers mois, il n’aborde le sujet qu’avec une extrême pudeur. « J’ai vu la mort de très près, a-t-il par exemple confié à un diplomate, mais, contrairement à ce qui se dit ici ou là, je n’ai pas de cancer. » À d’autres, comme le journaliste français Jean Daniel (voir J.A. n° 2436), ou, plus récemment, Steve Balmer, le PDG de Microsoft, il a avoué ressentir, de temps à autre, une grande fatigue. Quant à Nicolas Sarkozy, il a eu droit, en novembre 2006, à cette confidence rapportée par Yasmina Reza dans son dernier livre (L’Aube, le soir ou la nuit). « Monsieur le Président, on vous retrouve en pleine forme », se réjouit le chef de l’État français. Réponse de l’intéressé : « Oui, j’ai eu un accident mortel et je n’en ai aucune séquelle. Pour faire ce métier, il faut une santé de fer. » Ce genre de propos n’est jamais repris par les médias officiels.

Les interrogations périodiques sur la santé du président ne sont pas toutes malveillantes. Certaines sont même légitimes. Car s’il est admis que l’ablation de son ulcère hémorragique n’a pas provoqué de séquelles assez graves pour l’empêcher de gouverner, elle n’a pas été sans conséquence sur son agenda politique.
Le 4 juillet 2005, Bouteflika avait ainsi annoncé son intention de réviser la Constitution afin de « l’adapter aux nouvelles réalités du pays ». Quelques jours plus tard, le FLN, dont il est président d’honneur, avait même présenté un projet dans lequel toute référence à la limitation du nombre des mandats présidentiels avait disparu. L’objectif était évidemment de lui permettre de briguer un troisième mandat en 2009. Après l’hospitalisation du président, la révision constitutionnelle a soudainement perdu tout caractère d’« urgence nationale » et a peu à peu disparu du discours officiel. Naturellement, certains en ont tiré la conclusion, un peu rapide, que, s’il renonce à réviser la Constitution, c’est qu’il est trop malade pour accomplir un nouveau mandat. D’où de nouvelles spéculations sur son « teint blafard », ses « difficultés de déplacement » ou « son cancer à la gorge qui l’empêche de faire de grands discours » Ces expressions figurent, en toutes lettres, dans les rapports de certaines chancelleries.
La vérité est que, dans l’ensemble, Bouteflika a plutôt bien récupéré après son opération. Pourrait-il multiplier voyages et bains de foule s’il était agonisant ? Sa réaction après l’attentat-suicide dont il a été la cible, le 6 septembre à Batna, est symptomatique. Après avoir sillonné la ville pour rassurer la population et rendu visite aux familles des victimes, il a maintenu intégralement le programme de sa visite. « Pas question de laisser de vulgaires illuminés remettre en question notre programme de développement », a-t-il répondu, en substance, aux membres de sa délégation qui le pressaient de rentrer d’urgence à Alger. Il n’a regagné la capitale que deux jours plus tard, pour convoquer aussitôt une réunion du Conseil national de sécurité au cours de laquelle les généraux Gaid Salah et Mohamed Medienne, respectivement chef d’état-major et chef du Département recherche et sécurité (DRS), ont évoqué l’apparition du phénomène des kamikazes.

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Le mois de ramadan n’est pas plus reposant. Outre l’épreuve représentée par le jeûne, Bouteflika reçoit tour à tour les membres de son gouvernement, la nuit, pour dresser avec eux le bilan de leur action. Selon le quotidien arabophone Chourouq (400 000 exemplaires), c’est lui-même qui dicte le communiqué publié à l’issue de chaque audience.
« C’est le moyen de rendre compte au peuple des résultats de sa gestion et de l’utilisation des deniers publics, raconte un ministre auditionné. Croyez-moi, l’exercice n’a rien d’évident. Le président connaît parfaitement les dossiers, s’intéresse au moindre détail et multiplie les recommandations. Sa forme physique est excellente compte tenu de son âge et de sa charge de travail. Après l’examen que je viens de passer, je puis vous assurer qu’il n’est pas le grand malade que l’on prétend ! »

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