Agents d’insécurité

Recrutés pour assurer la protection des personnalités et de certains sites stratégiques, les employés de la société militaire privée Blackwater sèment la terreur et la désolation à Bagdad.

Publié le 15 octobre 2007 Lecture : 4 minutes.

Depuis le 16 septembre, date à laquelle des hommes de Blackwater, une société militaire privée américaine (SMP), ont été impliqués dans une fusillade qui a fait 17 morts et 22 blessés à Al-Mansour, quartier anciennement huppé de Bagdad, les agents de sécurité étrangers opérant en Irak sont sur la sellette. Selon un rapport du Pentagone, Blackwater a été mêlée à près de 200 incidents graves depuis le transfert de pouvoir entre l’ex-proconsul américain, Paul Bremer, et le gouvernement d’Iyad Allaoui, en juin 2004. Et dans 84 % des cas, ces mercenaires, baptisés « Mossad » par la population, ont été les premiers à tirer.
Dirigée par Erik Prince, 37 ans, ancien de la Navy et ex-stagiaire à la Maison Blanche à l’époque de l’administration de Bush père, Blackwater est l’une des nombreuses sociétés étrangères installées en Irak qui emploient des private military contractors, ces hommes aux allures inquiétantes, armés jusqu’aux dents, lunettes noires et gilets pare-balles façon Rambo, et au statut juridique pour le moins flou. Estimant que l’épisode d’Al-Mansour était la bavure de trop, Nouri al-Maliki, le Premier ministre irakien, a décrété, le 17 septembre, le gel des activités de Blackwater et annoncé son intention de reconsidérer les activités des SMP en conformité avec la loi irakienne. Or les textes promulgués par Paul Bremer ont force de loi. L’ex-proconsul avait signé, avant de quitter ses fonctions à Bagdad, l’ordre 17, qui garantit l’immunité aux « agents civils » ayant un lien contractuel avec l’armée américaine en Irak. Un véritable permis de tuer. Ce statut n’a jamais été révisé. Ni par l’administration irakienne ni par le Congrès américain.
Le gel des activités de Blackwater décrété par Maliki n’a duré que cinq jours, durant lesquels l’ambassade des États-Unis à Bagdad a été totalement paralysée. Et pour cause : Blackwater assure la protection des diplomates américains lors de leurs déplacements en dehors de l’enceinte de la chancellerie. Une situation qui ne pouvait durer plus longtemps. La secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice a appelé Maliki pour lui présenter les excuses de son gouvernement après cette nouvelle bavure et lui a promis la création d’une commission d’enquête pour faire toute la lumière sur les circonstances du massacre d’Al-Mansour. Mais Maliki ne désarme pas : il réclame désormais à Blackwater 136 millions de dollars de dédommagements, soit 8 millions de dollars pour chacune des familles des 17 victimes.

Au total, l’incident du 16 septembre aura provoqué l’ouverture de quatre enquêtes. Outre celle du département d’État, on en relève une diligentée par le Pentagone, une autre lancée par le Congrès et une dernière initiée par le gouvernement de Nouri al-Maliki. En attendant, Blackwater est toujours sur le terrain et ses hommes continuent à terroriser les civils qui ont le malheur de croiser leurs redoutables convois de véhicules blindés à Bagdad, au gré des déplacements du personnel diplomatique et des officiers de l’armée américaine. Ces derniers, dont David Petraeus lui-même, commandant en chef de l’US Army en Irak, ont aussi choisi de confier leur sécurité aux hommes de Blackwater plutôt qu’aux GI’s ou aux Marines, moins aguerris et moins nombreux. Les effectifs du corps expéditionnaire américain en Irak sont en effet estimés à 168 000 hommes, contre quelque 180 000 pour les SMP, dont près de 50 000 éléments armés engagés dans la protection des personnels, des sites et des convois. Mais pas seulement, car rien ne leur interdit de s’impliquer dans les combats contre les insurgés lors d’opérations ponctuelles de l’armée américaine, à l’instar de celles qu’elle engage régulièrement à Sadr City, fief de l’armée du Mahdi, la milice du jeune et bouillonnant imam chiite Moqtada Sadr. En outre, ces hommes sont grassement rémunérés : Blackwater facture 1 222 dollars par jour les services d’un private military contractor, soit plus de six fois ce que touche un soldat américain.
Entendu par une commission du Sénat dans le cadre de l’enquête parlementaire, Erik Prince a pris la défense de ses agents impliqués dans la tuerie d’Al-Mansour : « Ils ont agi de manière appropriée », affirme-t-il, balayant ainsi toutes les accusations qui pèsent sur les « cow-boys » de Blackwater. « Il s’agit de professionnels confirmés, a-t-il poursuivi, qui risquent leur vie pour protéger des Américains dans des situations dangereuses. » Bien que le Pentagone n’emploie aucun élément de Blackwater (les 7 800 soldats privés en contrat avec lui proviennent d’autres SMP), le secrétaire à la Défense, Robert Gates, a estimé qu’une « restriction des activités de Blackwater en Irak serait contre-productive, car elle ruinerait l’effort de reconstruction menée sous la protection de ces civils ». En fait, le Pentagone, lui-même impliqué dans plusieurs bavures commises par les militaires américains, ne pouvait décemment donner des leçons en matière d’éthique et de code d’honneur.

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Le 8 octobre, la Chambre des représentants a voté un texte de loi présenté par le démocrate David Price, élu de Caroline du Nord (où se trouve le siège de Blackwater), qui place les agissements des contractuels civils avec le gouvernement américain dans les zones de conflit sous la compétence des tribunaux criminels fédéraux. Adoptée par 389 voix sur 419 représentants votants, la nouvelle loi prévoit la saisine automatique du FBI en cas de crime commis par les SMP. Quelques heures après l’adoption à Washington de ce texte censé mettre fin à l’immunité dont jouissent les sociétés privées de sécurité, une nouvelle bavure les éclaboussait. À Karrada, quartier commerçant de Bagdad, deux Irakiennes de confession chrétienne ont été tuées, le 9 octobre, par des « Mossad » qui escortaient un convoi de diplomates. Et les chances que les tueurs soient un jour poursuivis pour ce nouveau crime sont toujours aussi minces.

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