Victoire par k.-o.

Après neuf années de régime d’exception, la démocratie est-elle possible ?

Publié le 15 septembre 2003 Lecture : 3 minutes.

«Depuis neuf ans, nous travaillons à construire l’unité et la démocratie dans notre pays. Il nous reste aujourd’hui à les consolider et à en cueillir les fruits », s’enorgueillit le candidat Paul Kagamé à la tribune du plus grand stade de Kigali, lors de son ultime meeting. Cette première élection présidentielle pluraliste organisée au Rwanda depuis son indépendance, en 1962, s’inscrit dans un processus inauguré en mai dernier par le référendum constitutionnel. Plus de 93 % des Rwandais avaient alors approuvé la création d’un nouveau cadre pour leur pays, mettant ainsi officiellement un terme au régime d’exception installé en 1994, au lendemain du génocide. Ce texte fondateur du nouvel État rwandais instaure un régime semi-présidentiel : un président élu au suffrage universel doté d’un mandat de sept ans renouvelable une fois, et un pouvoir législatif bicaméral, dont les membres sont pour une part élus et pour l’autre désignés au sein de groupes « représentatifs » (femmes, jeunes, handicapés) ou parmi les « sages » (professeurs, avocats).
Cette démocratie à la rwandaise repose avant tout sur l’impérieux principe du partage du pouvoir : le président de la République, le Premier ministre et le président de l’Assemblée nationale doivent tous trois appartenir à un parti politique différent. Dans l’esprit de ses laudateurs, ce type de gouvernance d’unité nationale permet de réduire à néant les oppositions politiques classiques, accusées d’avoir, dans le passé, semé la division au sein de la population rwandaise. Difficile en effet de parler de multipartisme au Rwanda sans que soit systématiquement évoqué le souvenir des machinations politiques et des idéologies extrémistes qui ont conduit au génocide de 1994. Conformément à cette vision négative du jeu politique, les candidats aux élections locales de 2001 et 2002 s’étaient présentés sans affiliation à un parti.
Mais pour cette élection présidentielle, comme pour les législatives qui se dérouleront à la fin du mois de septembre, le Front patriotique rwandais (FPR) a dû se résoudre à respecter le « duel démocratique », sur un terrain toutefois très balisé. Conformément à la Constitution, l’activité des partis politiques est en effet fortement encadrée. En dehors des périodes électorales, ils ne peuvent tenir de réunions publiques. Et il leur est interdit de s’organiser au niveau local. Réunies au sein du « Forum des partis », les huit formations autorisées doivent se soumettre au sacro-saint consensus imposé comme mode de gouvernance. Dans un pays qui s’est reconstruit sur « les impérieuses valeurs d’unité et de réconciliation », il est strictement interdit de faire référence, de quelque manière que ce soit, aux différences ethniques, religieuses, régionales ou claniques. Ainsi certains partis ont dû revoir à la fois leurs statuts et leur nom : le Parti démocrate islamique est devenu Parti démocrate idéal, le Parti démocrate chrétien, le Parti démocrate centriste…
Si une page vient bien d’être tournée dans l’histoire du pays, rien n’a fondamentalement changé : telle pourrait être la principale leçon, en forme de paradoxe, de cette sortie de transition. En remportant cette élection présidentielle avec 95 % des voix, Paul Kagamé, seul véritable homme fort depuis 1994 en tant que vice-président et ministre de la Défense d’abord, puis comme président désigné par le Parlement, à partir de 2000, est avant tout conforté dans son rôle de chef incontesté, auréolé de surcroît d’une légitimité démocratique. Une victoire écrasante qui s’explique par l’absence de débat. Pour gagner son pari – important et urgent – de rétablir la paix et la sécurité dans le pays, Kagamé s’est appuyé à la fois sur la force militaire et sur un strict contrôle de la vie politique et civile. D’où une opposition réduite à sa plus simple expression, et une censure accrue des journaux trop critiques à l’égard du régime. « Le vrai test aura lieu dans sept ans », prévient un membre de la société civile, dénonçant les actuelles dérives autoritaires du régime. Les gestes d’ouverture réalisés d’ici là par Kagamé décideront de la prochaine étape. S’agira-t-il d’une nouvelle victoire par K.-O. ou le match sera-t-il, cette fois, plus équilibré ? Pour l’heure, une chose est certaine : l’adversaire qui sera de taille à se mesurer à lui n’est toujours pas révélé.

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