Une génération sacrifiée ?

Réunis récemment à Dakar, les ministres de la CEDEAO ont fait ce constat terrible : entre les guerres, les maladies et la sous-scolarisation, les enfants de la région sont parmi les plus défavorisés au monde.

Publié le 15 septembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Une réunion ministérielle s’est tenue les 5 et 6 septembre à Dakar sur la situation générale des enfants dans les quinze pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Faiblesse des taux de scolarisation, mariages et grossesses précoces, ravages du sida : à travers trois indicateurs, éclairages sur les ressorts d’un paysage sinistré.
Pourquoi les filles sont-elles moins scolarisées que les garçons ?
Le taux moyen de scolarisation est de 59 % pour l’Afrique subsaharienne. Avec des variations allant de 30 % pour le Niger et 36 % pour le Burkina Faso, jusqu’à 69 % pour la Gambie et 64 % pour la Côte d’Ivoire(1). Mais cette éducation confisquée touche en majorité les filles, qui représentent 60 % des 110 millions d’enfants non scolarisés des pays en développement. Une inégalité entre les sexes avant tout qualitative : les filles restent souvent cantonnées au cycle primaire, que très peu achèvent. On connaît les raisons les plus courantes invoquées par les parents : l’instruction scolaire leur paraît souvent superflue au regard du futur rôle social réservé aux adolescentes. Sans compter que pour beaucoup de familles, les filles instruites ne respecteraient plus la tradition, refuseraient les mariages traditionnels et voudraient même choisir leur mari ! Autre argument de poids mis en exergue par les parents, ils ont besoin du travail de leurs filles pour garantir leur équilibre budgétaire.
Mais des facteurs plus inattendus participent à cette désaffection. D’abord la quasi-absence de l’enseignement en langues locales dans les écoles primaires demeure un frein non négligeable. Imaginerait-on envoyer à la maternelle un petit Français pour lui dispenser des leçons entièrement en wolof ou en swahili ? Ensuite l’école coûte cher, et les États font de plus en plus supporter les dépenses d’instruction « publique » aux parents – ce qui peut aller, en milieu rural, jusqu’à la construction de l’école et au salaire de l’instituteur. Mais ce sont les attitudes des enseignants qui ont les implications les plus significatives. Des études réalisées dans plusieurs pays(2) montrent combien les enseignants, hommes et femmes d’ailleurs, estiment les garçons plus doués pour les études que les filles. Plus grave, il n’est pas exagéré de parler de pandémie de violence et de harcèlement sexuels dans les établissements africains. Les élèves sont les premiers responsables, mais de plus en plus les professeurs abusent de leur position hiérarchique. Sur les milliers de jeunes filles ayant abandonné leurs études en raison d’une grossesse précoce, nombreuses sont celles qui ont cédé aux avances de professeurs leur promettant d’augmenter les notes. Les collégiennes d’Abidjan ont si bien intégré le phénomène qu’elles considèrent les MST comme des « Moyennes sexuellement transmissibles » !
Pourquoi des mariages et des grossesses si précoces ?
Dans treize des vingt pays subsahariens où une Enquête démographique et de santé a été réalisée, la proportion des femmes âgées de 20 à 24 ans qui ont eu un enfant avant 18 ans atteint ou dépasse 30 %. Dans cette même tranche d’âge, 8 % ont connu une maternité précoce au Rwanda, mais 53 % au Niger. Quant au mariage avant 18 ans, les extrêmes vont de 11 % en Namibie à 83 % au Niger. En Afrique subsaharienne, les femmes se marient en moyenne à l’âge de 19,5 ans.
Traditionnellement, si elle a lieu dans le mariage, une grossesse précoce, rarement identifiée comme problème, semble au contraire souhaitée pour la jeune mariée et vue comme une preuve de sa fécondité. Une grossesse préconjugale reste en revanche accueillie différemment selon les milieux sociaux. La hantise de la stérilité conduit souvent à encourager la femme à faire la preuve de sa fertilité avant la conclusion définitive du mariage. À l’inverse, dans les milieux islamisés où toute relation sexuelle prémaritale et a fortiori toute naissance illégitime sont réprouvées, les familles se montrent favorables au mariage très précoce pour éviter toute grossesse hors union.
Dans certains cas de grossesses survenues hors mariage, les sanctions sociales peuvent se révéler assez sévères, et l’interruption volontaire de grossesse apparaît comme la seule issue pour éviter honte publique et rejet de la société. Les avortements clandestins deviennent donc de plus en plus fréquents. Des sondages menés dans des centres de santé font ressortir un ratio d’avortements (soit le nombre de grossesses interrompues sur le nombre total de grossesses) de 20,5 % à Bamako et de plus de 30 % à Abidjan(3).
Cependant, une décision d’avorter n’est pas toujours motivée par des difficultés matérielles ou par la crainte du tollé social, mais aussi, par exemple, par le désir de poursuivre des études. Pour mémoire, si la vaste majorité des adolescentes sexuellement actives en Occident ne sont pas mariées, elles le sont bel et bien dans les pays du Sud. L’exemple du Niger le prouve : plus de la moitié des filles âgées de 15 à 19 ans ont déjà eu des rapports sexuels (63,5 %), mais très peu de filles n’ayant jamais été mariées sont sexuellement actives (4 %). Et c’est paradoxalement la jeune fille mariée qui, au Sud, se révèle être la plus vulnérable de sa tranche d’âge. Parce qu’elle est détachée de son environnement familier et de ses appuis traditionnels familiaux, parce qu’elle a souvent été unie par arrangement donc sans son consentement, parce qu’elle doit faire face à une première grossesse sans y être préparée.
Pourquoi le sida touche-t-il aussi les enfants ?
L’âge moyen du premier rapport sexuel en Afrique subsaharienne se situe entre 15 et 17 ans, filles et garçons confondus. Dans la région, on compte onze millions d’enfants orphelins du sida, 2,6 millions vivant avec le VIH, et 3 000 nouvelles infections chaque jour(4). Les jeunes sont d’autant plus exposés qu’ils ont des partenaires multiples, plus âgés et souvent infectés. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la violence à l’égard des femmes et des filles joue un grand rôle dans la flambée de la maladie. Il s’agit ici de viols commis par les enseignants, mais aussi par les militaires et les miliciens, utilisés sciemment comme armes de guerre.
Imprégnés d’idées reçues, les adolescents n’ont qu’une connaissance très superficielle des maladies sexuellement transmissibles. Les garçons refusent dans une large mesure de se servir du préservatif (« On ne va pas manger une banane avec la peau ! » répètent à l’envi les jeunes Ivoiriens des quartiers populaires) et, à l’inverse, oser pour les filles proposer le port du préservatif à un mari ou à un compagnon retourne contre elles le soupçon d’infidélité. Mariées, elles risquent même de se voir chassées du domicile conjugal ! De leur côté, la grande majorité des parents ne s’aventurent pas à parler de sexualité, les mentalités restant hostiles au débat sur la prévention.
Au-delà du désastre sanitaire, le sida ébranle les bases de tout un système culturel. Dans le cas de familles aux deux parents décédés de la maladie, on voit des grands-parents obligés de transgresser un véritable tabou : il leur faut très tôt parler de sexe aux jeunes pour les pousser à se protéger. On assiste aussi à de nouveaux phénomènes : des communautés entières ne se déplacent plus pour l’enterrement d’un parent (un comble quand on connaît la place tenue par la mort dans ces sociétés), parce qu’il y en a trop, parce qu’on a peur de se voir confier les enfants laissés orphelins.
Mais on doit beaucoup imputer la propagation de la maladie aux traditions de pudeur et à la culture du secret encore très forte dans la région. Enfants et adolescents refusent de consulter un médecin ou de se rendre au planning familial : ils ont honte ou peur de rencontrer des personnes plus âgées qu’ils connaissent. Le quotidien ougandais The Mirror rapporte qu’entre 6 % et 20 % des femmes d’Afrique subsaharienne utilisent une pilule contraceptive sans en informer leur mari !(5)

1. Rapport PNUD 2003.
2. Cameroun, Guinée, Malawi, Rwanda, Sierra Leone, Kenya.
3. Chiffres de 1999.
4. Rapport Onusida 2002.
5. Chiffre de 2000.

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