Tribunal pénal international pour le Rwanda : l’onu n’a plus de temps à perdre
La prison à vie. C’est la peine requise, mi-juillet, par le procureur camerounais William Egbe contre trois anciens responsables rwandais, jugés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) basé à Arusha, en Tanzanie. Ils sont accusés d’avoir incité à la haine ethnique avant et pendant le génocide d’avril 1994, dont le bilan s’élèverait à un million de morts. Deux des accusés – Ferdinand Nahimana et Jean Bosco Barayagwiza – sont d’anciens responsables de la Radio télévision libre des Mille Collines (RTLM), tandis que Hassan Ngeze, le troisième, est l’ex-directeur du journal extrémiste Kangura. Selon l’acte d’accusation, la RTLM et Kangura ont incité au génocide des Tutsis et des Hutus modérés. Le procès dit des « médias de la haine », qui est en cours, est l’un des plus importants de cette juridiction onusienne fondée le 8 novembre 1994, quelques mois après les massacres.
Avant ces trois accusés, plusieurs anciens dignitaires rwandais ont déjà été jugés. Le 4 septembre 1998, le TPIR a notamment condamné Jean Kambanda, ancien Premier ministre, reconnu coupable de génocide et de crimes contre l’humanité, à une peine d’emprisonnement à vie. Le condamné avait plaidé coupable. Des anciens ministres, un ex-président de l’Assemblée nationale, des hauts gradés des Forces armées rwandaises (FAR), des gouverneurs de régions, des journalistes ainsi que des religieux sont, eux aussi, appelés à la barre.
À la mi-août 2003, le TPIR, qui siège depuis la fin de l’année 1995, avait fait arrêter 66 personnes ; 62 d’entre elles étaient alors en détention, dont 56 à Arusha et 6 autres purgeant leur peine au Mali. Parmi elles, 19 étaient en procès alors que 31 autres attendaient d’être jugées. Quatre détenus étaient en appel alors que deux autres, déjà condamnés, devaient être transférés. Enfin, depuis sa création, le TPIR a libéré trois personnes. Malgré ces avancées notables, le Tribunal ne cesse de faire l’objet de critiques, notamment de la part du gouvernement rwandais, qui juge les procédures particulièrement longues. Les relations entre le Rwanda et l’institution judiciaire se sont envenimées après que Carla Del Ponte, procureur du TPIR nommé le 15 septembre 1999 pour un mandat de quatre ans, a annoncé l’ouverture d’enquêtes sur des exactions imputées aux soldats de l’ex-rébellion intégrés dans l’Armée patriotique rwandaise (APR). Ces militaires qui constituaient le bras armé du Front patriotique rwandais (FPR), au pouvoir à Kigali, auraient, en combattant les auteurs du génocide, commis eux-mêmes des massacres. Le gouvernement de Paul Kagamé ainsi que plusieurs organisations non gouvernementales basées au Rwanda ont méthodiquement fait campagne contre le magistrat helvétique, allant jusqu’à refuser de coopérer avec le tribunal. Kigali, qui a bénéficié dans sa croisade de l’appui de la Grande-Bretagne et des États-Unis, a fini par obtenir gain de cause. Carla Del Ponte, qui est aussi procureur du Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (TPI), se consacrera exclusivement à cette dernière fonction à partir du 15 septembre. Elle sera remplacée à Arusha par le Gambien Hassan Bubacar Jallow.
L’affaire a indigné certaines ONG qui, le 7 août dernier, ont adressé une lettre aux membres du Conseil de sécurité de l’ONU pour leur demander de tout faire pour sauvegarder l’indépendance du TPIR. Dans ce courrier, la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH), le Lawyers Committee for Human Rights, la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho) et Human Rights Watch reconnaissent toutefois « l’existence de problèmes de management à tous les niveaux de l’institution, une direction hésitante et l’absence d’une stratégie efficace de poursuite [des criminels] par le bureau du procureur ». Elles demandent des changements majeurs pour que ce tribunal mis sur pied pour juger les « crimes commis par des Rwandais sur le territoire du Rwanda et sur le territoire d’États voisins, ainsi que les citoyens non rwandais pour les crimes commis au Rwanda » en 1994, ne déçoive pas les espoirs placés en lui. Il n’y a plus de temps à perdre : la date limite pour les dernières inculpations est fixée au 14 septembre 2004, et l’ensemble des travaux doit se clore en 2008.
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