[Tribune] Organiser des élections le plus vite possible au Mali serait une grave erreur

La perspective d’élections rapides est le moyen le plus sûr de faire ressortir ce que chacun des acteurs politiques maliens a de plus antinomique à l’intérêt général.

Place de l’indépendance, le 18 août 2020, jour du coup d’État. ©DAOU Bakary Emmanuel

Place de l’indépendance, le 18 août 2020, jour du coup d’État. ©DAOU Bakary Emmanuel

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  • Gilles Olakounlé Yabi

    Économiste et analyste politique, Gilles Olakounlé Yabi est le fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest (www.wathi.org).

Publié le 25 août 2020 Lecture : 5 minutes.

Le Mali de 2020 n’est ni la Suède, ni le Canada, ni le Ghana, ni le Botswana ou le Cap-Vert. C’est un pays en crise profonde depuis 2012. C’est un pays en guerre, qui fait face à des groupes armés, divers et variés, sur les deux tiers au moins de son vaste territoire. C’est un pays dont les forces armées ont perdu des centaines d’hommes ces dernières années. C’est un pays où la cohésion sociale et les relations de confiance entre les communautés se sont gravement effritées au rythme de massacres de civils inimaginables il y a encore quelques années.

Le coup d’État du 18 août est intervenu dans ce pays-là. Il était évitable. Il aurait dû être évité. Il ne le fut pas. Cela est regrettable. Mais ce ne sont pas les lamentations sur les coups d’État récurrents en Afrique qui changeront quoi que ce soit au passé et au futur du Mali.

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Éviter de nouvelles erreurs

Ce coup d’État doit être analysé avant tout dans le contexte de la crise au Mali. Et ce qui est urgent aujourd’hui, c’est de ne pas commettre d’erreurs au moment de définir les modalités de la transition qui s’ouvre après le renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). La Cedeao insiste déjà clairement sur la priorité à donner au retour à l’ordre constitutionnel et à l’organisation rapide d’élections, donc à une transition qui soit la plus courte possible. C’est une voie qui serait au mieux improductive, au pire dangereuse.

Organiser des élections pour sortir des crises politiques, des conflits violents, des périodes de transition après un coup d’État, c’est une recette que l’on aime bien. Elle a généralement l’assentiment et même la préférence des partenaires extérieurs les plus influents à la recherche d’interlocuteurs qui seraient légitimes parce que démocratiquement élus. On attend ensuite que des miracles se produisent, que la gouvernance politique et économique change après une élection, quel que soit le président élu, quelle que soit la qualité du processus électoral et quelle que soit la vacuité du débat politique pré-électoral.

IBK a été renversé en août 2020 comme le fut Amadou Toumani Touré (ATT) en mars 2012. Il est utile de rappeler que les reproches faits à sa gestion du pouvoir sont très semblables à ceux qui avaient été faits à ATT. Résumons cela à la mauvaise gouvernance, malgré les inconvénients de ce concept fourre-tout. Il faut en déduire que le départ d’IBK avant le terme de son mandat ouvre la porte à différents scénarios, du plus optimiste, celui qui verrait s’amorcer une rupture avec la mauvaise gouvernance, au plus pessimiste, celui qui verrait un effondrement encore plus massif et difficilement réversible de l’État malien.

Mettre en place des organes de transition acceptables

Aujourd’hui, la priorité est de tout faire pour que le scénario du pire ne se réalise pas. Il faut mettre en place rapidement des organes de transition acceptables pour tous les acteurs maliens. Cela ne devrait se faire que dans le cadre de consultations larges entre acteurs politiques, représentants de la société civile et militaires, avec un accompagnement bienveillant et informé de la Cedeao, assez différent de ce que les chefs d’État, ultimes décideurs de la communauté, ont donné à voir avant et juste après la chute d’IBK.

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Il faut ensuite définir une feuille de route de la transition, qui prévoit un travail de fond sur les ajustements possibles et les moyens d’accélération de la mise en œuvre de l’accord de paix issu du processus d’Alger, sur la sécurisation de l’ensemble du territoire et sur les réformes institutionnelles à intégrer dans une nouvelle Constitution. La tentation est toujours forte de reporter tout ce qui semble difficile et crucial au lendemain des élections présidentielle et législatives. Dans le contexte du Mali d’aujourd’hui, cela relèverait – au mieux – d’une fuite en avant irresponsable.

La troisième exigence, qui découle logiquement de la précédente, est la nécessité de se baser sur le calendrier réaliste de mise en œuvre de cette feuille de route pour déterminer la durée de la transition. Et pas l’inverse, qui consisterait à décréter une transition d’un an par exemple, et à se poser ensuite la question de ce qui pourrait être réalisé dans ce délai. On sait très bien qu’un tel choix aurait comme conséquence de concentrer toute l’attention des organes de transition et de tous les acteurs politiques, et même des militaires, sur la préparation des élections, et accessoirement sur les milliards de francs CFA qui y seront engouffrés.

Aller le plus vite possible aux élections est le moyen le plus sûr de faire vite ressortir ce que chacun des acteurs politiques maliens a de plus antinomique à l’intérêt général.

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Enfin, il faut exiger que la transition soit un moment de restauration de l’intégrité personnelle comme critère fondamental dans le choix des personnalités en charge des plus hautes fonctions publiques, qu’elles soient politiques ou administratives. On ne peut pas continuer à se voiler la face : une des causes profondes du délitement politique, sécuritaire, économique, social, éducatif de l’État malien, c’est la banalisation de toutes les formes d’enrichissement illicite.

Un nouvel État efficace et bienveillant

Il n’y a certes pas de recette pour procéder à un assainissement en mode accéléré de la vie politique pendant une période de transition. Mais on peut avoir comme ambition d’envoyer à la société un signal de rupture en mettant en place un mécanisme de sélection des dirigeants des organes de la transition, qui permette d’examiner à la loupe leurs parcours individuels et d’écarter tous ceux sur lesquels pèsent des soupçons d’enrichissement illicite. Pour les personnes qui ont occupé des fonctions dans l’appareil de défense et de sécurité, le « screening » doit également servir à écarter toutes celles qui ont pu être associées, de près ou de loin, aux nombreux épisodes de violences à l’égard des populations civiles dans le Nord et le Centre sous le couvert de la lutte contre le terrorisme.

La période de transition doit marquer le début d’une lutte crédible contre la culture de l’impunité. Aller le plus vite possible aux élections est le moyen le plus sûr de faire vite ressortir ce que chacun des acteurs politiques maliens, anciens ou émergents, a de plus antinomique à l’intérêt général. Le Mali en crise a besoin de construire, avec ce qu’il a aujourd’hui comme ressources humaines mobilisables, un nouvel État efficace et bienveillant ainsi qu’un nouveau système politique démocratique. Si une transition focalisée sur l’organisation rapide d’élections permettait d’enclencher un processus crédible et durable dans ces deux directions, cela se saurait.

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